Tout n’est qu’ordre et beauté, légèreté, calme et volupté, comme dirait Baudelaire. Sous les voûtes rondes et blanches du Panthéon, l’artiste circassien grenoblois nous invite à un voyage au pays des rêves. Flirtant avec les équilibres, se jouant des lois de la physique, il signe un spectacle déambulatoire hypnotique et onirique qui émerveille les sens et envoûte nos âmes. Un moment de grâce !
La nuit tombe doucement sur les murs du célèbre monument parisien qui renferme les fantômes de tous les grands hommes qui ont marqué l’histoire de notre pays. Sans bruit, l’immense porte du temple de style néoclassique s’ouvre permettant aux spectateurs de pénétrer au cœur du bâtiment. Un cercle de lumière parfaitement placé sous l’immense coupole, attire l’œil. Tous se dirigent vers ce lieu qui met en parallèle, sous un éclairage diaphane, le fameux pendule de Foucault et une étonnante femme « Culbuto » (déroutante Yurié Tsugawa). Alors que le silence se fait, que le lieu plonge dans une exquise pénombre, Yoann Bourgeois nous propose en guise de prélude, un pas de deux hypnotiques entre ces deux êtres, l’un de sang, l’autre de plomb, entre science dure et art vivant.
Subjugué par cette envoûtante mise en bouche, le public, divisé en quatre groupes, est prié de se rendre devant l’une des quatre séquences qui lui sont ici présentées. Toutes différentes, toutes défient les lois de la physique et nous invitent à de singuliers ballets entre machines infernales et corps en suspens. Dans Trajectoire, la blonde Sonia Delbost-Henry, juchée sur sa balance de lévite, vole, virevolte dans les airs avec une grâce inouïe. Dans Équilibre, le couple formé par Raphaël Defour et Estelle Clément-Bealem tente tant bien que mal de s’attabler sur un plateau que le moindre mouvement peu déséquilibrer. Forcés à une gestuelle minimaliste, délicate, les deux danseurs en porte-à-faux constant s’évitent en permanence du regard jusqu’au sourire de connivence final. Totalement bluffant.
Dans Inertie, Élise Legros et Jean-Yves Phuong jouent les amoureux contrariés. Pris au piège d’un carré de bois tournant, qui n’en fait qu’à sa tête dans un « stop and go » stupéfiant, fabuleux, ils luttent vaillamment contre les forces centrifuges afin de s’unir dans une tendre et ultime étreinte. Mais le joyau de ce spectacle déambulatoire et poétique, est certainement Énergie. Sur une sorte d’énigmatique et tournoyante tour-escalier fait de portes dérobées et de chausse-trappes, rappelant les œuvres d’Escher, quatre acrobates virtuoses (Damien Droin, Émilien Janneteau, Lucas Struna ainsi que le chorégraphe lui-même) apparaissent, s’élancent dans les airs et disparaissent dans un chassé-croisé virtuose des plus fascinants, dans un ballet aérien où les corps se dédoublent, où les pas légers, les courses folles mènent des cimes aux abîmes et inversement dans un tourbillon enchanteur.
Faisant sienne, la maxime de Lamartine, « Au temps suspens ton vol », l’artiste circassien, en magicien des temps modernes, signe une œuvre poétique qui donne vie, le temps d’une soirée, à la bâtisse, vieille de plus de deux siècles, qui veille sur le repos éternel de nos grands hommes. Dans cette ronde magnétique, où par un captivant jeu d’ombres et de lumières s’animent les bas-reliefs de ce temple républicain, il rend un hommage vibrant à notre histoire. Défiant pesanteur, solennité et équilibre, Yoann Bourgeois glisse ses pas dans ceux des personnalités que la République à déifier et fait une entrée éblouissante au Panthéon. Sublime !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La mécanique de l’histoire, une tentative d’approche d’un point de suspension. Exposition vivante au panthéon de Yoann Bourgeois
Théâtre de la Ville – Hors les murs
Monuments en mouvement
Le panthéon
Place du Panthéon
75005 Paris
jusqu’au 14 octobre 2017
du mardi au samedi 20h30
Durée 1h30 environ
conception & mise en scène d’Yoann Bourgeois assisté de marie Fonte
scénographies d’Yoann Bourgeois, Goury
création musicale de Florentin Ginot & Lola Malique
collaboration musicale : Dirk Rothbrust
réalisateur en informatique musicale : Martin Antiphon
son d’Antoine Garry
lumières de Jérémie Cusenier
costumes de Sigolène Petey
costumes de La Balance de Lévité : Ginette
réalisation scénographies : David Hanse & Nicolas Picot (C3 Sud Est)
maîtrise d’œuvre & construction : Amethys, C3 Sud Est, Cenic construction, Ateliers de la MCB°-Maison de la culture de Bourges
en collaboration avec Joël Chevrier (professeur de physique)
avec Yoann Bourgeois, Estelle Clément-Bealem, Raphaël Defour, Sonia Delbost-Henry, Damien Droin, Émilien Janneteau, Élise Legros, Jean-Yves Phuong, Lucas Struna, Yurié Tsugawa
Crédit photos © Géraldine Aresteanu