Porté par le texte féministe, humain de Michel Bellier, Johanna Boyé signe, avec les Filles aux mains jaunes, une pièce historique, vibrante sur le réveil des femmes qui par nécessité quittent leur foyer pour l’usine. Porté par quatre comédiennes épatantes, le spectacle fait mouche et s’annonce comme un beau succès.
On est en 1914. La guerre avec l’Allemagne vient d’éclater. Les hommes sont mobilisés, envoyés au front. L’heure est grave, il faut se battre pour la patrie. C’est la fleur au fusil donc que tous partent au combat. Les femmes sont inquiètes, mais tout le monde le dit: « La victoire est pour bientôt. » Les mois passent. Le conflit s’enlise. L’argent vient à manquer, la main d’œuvres aussi.
Julie, Rose, Jeanne et Louise n’ont pas le choix, il faut survivre, il faut fournir aux armées les munitions nécessaires pour continuer la bataille, la gagner. Elles poussent les portes de l’usine la plus proche. La fabrication des obus n’a bientôt plus de secret pour elles. Malgré le froid, le jaune des produits chimiques qu’elles manipulent à longueur de journée, qui teinte leurs mains, nos quatre ouvrières ne chôment pas. Elles tiennent le rythme. Elles ne fléchissent pas. C’est le début du taylorisme, du travail à la chaine qui épuise. Il faut tenir pour leurs hommes. L’espoir est niché là au cœur de ces cadences infernales, de cette possibilité d’avoir au bout de leurs doigts l’outil qui mettra un point final à cet enfer.
Le temps passe. La dureté du métier, les conditions inhumaines le manque d’hygiène, les salaires indécemment bas usent leur patience. Louise, journaliste militante chez les suffragistes, est bien décidée à se battre, à témoigner de cet état de fait. La graine de la révolte est semée. Chacune à sa manière prend conscience de l’injustice d’être née femme dans un monde dominé par les hommes. La lutte est en marche. Rien ne pourra plus l’arrêter. Le slogan est tout trouvé, il est malheureusement toujours d’actualité, à travail égal, salaire égal.
S’emparant du texte ciselé, passionnant de Michel Bellier, Johanna Boyé redonne vie à ces femmes, ces ouvrières qui se sont tuées à la tâche, qui se sont battues dans un monde en plein mutation, où enfin elles existent, non comme moitié d’un homme, mais comme des êtres à part entière, pensant, travaillant, suant. Johanna Boyé souligne habillement leur courage, leur rend un bien bel hommage.
S’appuyant sur le décor mobile conçu par Olivier Prost, la jeune metteuse en scène touche au cœur. Elle est aidée en cela par le jeu extraordinaire des comédiennes. Pamela Ravassard est admirable en suffragiste, en intellectuelle de gauche, Brigitte Faure épatante, en « réac » au grand cœur qui a peur du changement, Anna Mihalcea lumineuse en amoureuse éthérée et enfin Elisabeth Ventura, bouleversante en mère courage, hébétée mais qui apprend vite de la vie, des autres.
A n’en pas douter, ces Filles aux mains jaunes ont une belle vie devant elle. La rumeur avignonnaise ne devrait pas tarder à frémir de leur combat.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Les filles aux mains jaunes de Michel Bellier
Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris.
Jusqu’au 31 décembre 2022.
Du mercredi au samedi à 19h, dimanche 17h30, relâche les 24 et 25 déc.
Durée 1h30.
Festival d’Avignon le Off
Théâtre Actuel
80, rue Guillaume Puy
84000 – Avignon
Du 5 au 28 juillet 2019 (relâches le 22 juillet 2019)
Mise en scène de Johanna Boyé assistée Lucia Passaniti
Avec Brigitte Faure, Anna Mihalcea, Pamela Ravassard, Elisabeth Ventura
Costumes de Marion Rebmann
Univers sonore de Mehdi Bourayou
Lumières de Cyril Manetta
Scénographie d’Olivier Prost
Chorégraphie de Johan Nus
Crédit photos © Fabienne Rappeneau