A la Scala-Paris, Claudia Stavisky, directrice du théâtre des Célestins à Lyon, s’empare sobrement de la pièce de Bertolt Brecht, l’ancre dans une intemporalité nécessaire pour dénoncer les obscurantismes d’hier, d’aujourd’hui, et offre à Philippe Torreton un rôle à sa démesure. Omniprésent, il est un Galilée plus vrai que nature, une lumière qui éclaire la pénombre ignorante.
Il fait bien sombre dans l’antre padouane de Galileo Galilei (Philippe Torreton). Aux murs, la peinture s’écaille donnant à l’ensemble un côté décati, mal entretenu. Il faut dire que le grand homme, un mathématicien reconnu n’a d’yeux que pour ses livres, ses travaux, ses recherches. Lui qui se dit ignorant, a besoin de temps pour penser, réfléchir, tester ses hypothèses. L’argent, le nerf de la guerre, manque. Il faut donc céder aux injections de madame Sarti (Nanou Garcia), sa gouvernante et maîtresse, prendre plus d’élèves, pleurer auprès de l‘Université quelques subsides supplémentaires. Il faut dire que bien qu’homme de sciences, Galilée ne se contente pas des nourritures spirituelles. C’est un bon vivant qui aime bonne chère et bon vin.
Filou, il vend aux autorités vénitiennes une lunette astronomique, certes améliorée, mais déjà commercialisée en Hollande. Peu importe, il a de quoi, avec son disciple, le jeune fils de Madame Sarti, confirmer la théorie de Copernic : la terre est ronde et tourne autour du soleil. Il n’aura de cesse année après année d’étudier le mouvement des astres. C’est une déflagration sans précédent dans les préceptes ecclésiastiques. L’homme étant l’enfant de dieu, il ne peut être qu’au centre de l’univers. Des années durant Galilée se bat contre vents et marées, contre perfidie et ignorance pour imposer ses vues, ses observations. Rien n’y fait l’obscurantisme est roi. La peur que la raison l’emporte sur la foi, que les fondations même de son pouvoir s’effritent, l’église, encore dominée par l’inquisition, met le haut-là obligeant le scientifique à se rétracter publiquement. L’instinct de survie, le besoin de bien ripailler, la crainte d’être torturé, balayent ses convictions. Abandonné de tous, surveillé par sa propre fille (Marie Torreton), qui veut sauver son âme, il vit loin de tous, reclus. La flamme du savoir ne l’a pas quitté, sous le manteau, il continue, inlassable, sa quête de connaissances.
Écrite en 1938 en pleine montée du nazisme et retravaillée en 1954, la pièce historico-biographique rend compte de la fin d’une époque, celle où les sciences n’étaient que bienfaitrices, humanistes. La bombe atomique met fait à cette douce illusion. Se nourrissant de ces changements du monde, de ces bouleversements idéologiques, Bertolt Brecht imagine une fiction historique où se confronte savoirs et mystique, doutes et dogme religieux, croyance et rationalisme. En faisant du grand mathématicien un homme qui a la tête dans les étoiles mais le ventre repu des nourritures terrestres, il donne chair à ses obsessions, ses inquiétudes sur la folie d’une société qui laisse obscurantisme et autoritarisme prendre le dessus.
Avec peu d’effets, s’appuyant sur la scénographie épurée mais efficace de Lili Kendaka, Claudia Stavisky s’attèle avec succès à faire vibrer le texte du dramaturge allemand, à en éclairer toutes les aspérités, à rendre intelligible les complexités. Jouant sur les clairs-obscurs, elle donne vie au combat intérieur de l’homme entre ce qu’il sait vrai mais doit taire, et ce qui est erroné et qu’il doit faire semblant de croire. La présence magnétique, le jeu intense de Philippe Torreton fait le reste. Tel l’astre solaire que Galilée place au centre de l’univers, le comédien impose sa prestance, éclipsant le reste de la troupe, qui pourtant ne démérite pas.
Bien que particulièrement long – presque trois heures – , le spectacle vaut le détour tant pour ses qualités artistiques qu’intellectuelles, mettant parfaitement en exergue cette lutte ancestrale entre sciences et croyances. Véritable performance d’acteur, ce Galilée est une tribune engagée, un acte militant contre tous les totalitaristes, les sceptiques, les défenseurs de la pensée unique.
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
La vie de Galilée de Bertolt Brecht
La Scala-Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Jusqu’au 9 octobre 2019
Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 17h00
Durée 2h30
Théâtre des Célestins
4 Rue Charles Dullin
69002 Lyon
Du 15 novembre au 1er décembre 2019
mise en scène de Claudia Stavisky assistés d’Alexandre Paradis
avec Philippe Torreton, Gabin Bastard, Frédéric Borie, Alexandre Carrière, Maxime Coggio, Guy-Pierre Couleau, Matthias Distefano, Nanou Garcia, Michel Hermon, Benjamin Jungers, Marie Torreton
scénographie et costumes de Lili Kendaka
lumière de Franck Thévenon
son de Jean-Louis Imbert
vidéo de Michaël Dusautoy
Crédit photos © Simon Gosselin