Exaltée, Galactia est une peintre libre qui refuse toute compromission et revendique le droit d’exercer son art sans contrainte. S’inspirant de la personnalité intransigeante d’Artemisia, Howard Baker signe une pièce politique fascinante dont le propos serait plus percutant s’il était resserré, mais que la mise en scène ciselée de Claudia Stavisky décline en autant de tableaux saisissants.
Le rideau se lève sur un atelier d’artiste. Abandonné comme un amas de chair sur la carcasse d’une barque rongée par les eaux lacustres de la lagune vénitienne, un Homme nu (tonitruant David Ayala) prend la pose sous le regard scrutateur, inquisiteur de la rousse Galactia (flamboyante et enrageante Christiane Cohendy). Femme de tête, artiste insatiable, jusqu’au-boutiste, elle cherche dans les corps la crudité féroce, la bestialité vorace d’un monde à la gloire du mâle guerrier.
Considérée comme la meilleure peintre de la Sérénissime, bien que controversée dans ses prises de position radicale, son goût pour les chairs ensanglantées, les corps disloqués, elle est choisie par le doge (épatant Philippe Magnan) pour réaliser une œuvre monumentale commémorant l’éclatante victoire des chrétiens sur les Ottomans lors de la bataille navale de Lépante. Loin de célébrer la suprématie militaire, Galactia s’acharne à peindre la réalité de ce combat sanguinaire. Face à ce crime contre la Cité, le gouvernement en place, aiguillonné par des religieux un peu trop zélés, n’a d’autres choix que de tenter de contraindre par tous les moyens, même les plus vils, l’esprit créatif de cette femme trop libre.
En s’intéressant à la lutte séculaire entre art et pouvoir, Howard Barker nous invite à une immersion au cœur de la création artistique, entre aspiration et compromission. Loin de dépeindre un monde manichéen, le dramaturge dresse, de sa plume ciselée, tranchante, poétique, un portrait complexe de la société où les réalités, les vérités de chacun s’imbriquent, s’entremêlent et se confrontent. Abordant sans détour les relations troubles entre ces deux sphères de réflexions, les mécanismes de manipulation des esprits afin de fabriquer une opinion toute faite, ils signent une pièce riche et passionnante dont le propos se perd parfois dans trop de détails superflus et d’anecdotes secondaires.
Avec un regard de plasticienne, Claudia Stavisky s’empare de ce texte fort et compose chaque saynète comme un tableau de maître de la Renaissance. Soulignant la personnalité exacerbée de Galactia, librement inspirée de celle de la peintre Artemisia Gentileschi, elle brosse le portrait rouge sang d’une femme hors norme, agaçante, railleuse et entière qui égale voire dépasse le talent de ses confrères masculins dans une société patriarcale. Portée par une scénographie particulièrement soignée, les mots d’Howard Baker résonnent dans toutes ses nuances, ses coloratures.
Tout comme l’esprit créatif des artistes, Tableau d’une exécution est une œuvre foisonnante qui explose en dégradé vermillon sur la scène du théâtre du Rond-Point. Malgré quelques digressions, quelques longueurs, la pièce, ponctuée par la voix envoûtante de Didier Sandre, séduit par la beauté picturale de l’ensemble.
Olivier Frégaville-Gratian d’amore
Tableau d’une exécution d’Howard Barker – Traduction de Jean-Michel Déprats
Théâtre du Rond-Point – salle Renaud-Barrault
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 28 janvier 2018
durée 2h15
Mise en scène de Claudia Stavisky assistée de Joséphine Chaffin
Avec David Ayala, Frédéric Borie, Éric Caruso, Christiane Cohendy, Anne Comte, Luc-Antoine Diquéro, Philippe Magnan, Julie Recoing, Richard Sammut avec la voix de Didier Sandre de la Comédie-Française
Scénographie de Graciela Galán
Costumes de Lili Kendaka, Maquillage et coiffure de Cécile Kretschmar
Lumière de Franck Thévenon & Son de Jean-Louis Imbert
Dessins et création graphique de Stephan Zimmerli
Vidéo de Laurent Langlois
Crédit photos © Simon Gosselin