S’affranchissant des codes, mêlant les styles, entrecroisant fantasme et réalité, Guillaume Vincent signe une pièce hybride, entre tragédie noire et comédie picaresque, unissant habilement Ovide à Shakespeare. Porté par une troupe de comédiens hauts en couleurs, ce spectacle intense, vibrant et hilarant séduit et fascine. Un moment hors du temps à découvrir sans tarder. Passionnant !
Sur un rideau noir pailleté s’étale, en lettre de lumières, le nom de cette première partie consacrée aux Métamorphoses d’Ovide. Musique, noir, la scène se révèle. Le plateau est presque nu. Des silhouettes envahissent l’espace. Un décor de carton-pâte, rappelant quelque contrée lointaine, se met doucement en place. Des enfants s’avancent sur une estrade et interprètent, sous le regard fier de leurs parents et de leur étrange professeur de théâtre, le mythe de Narcisse. Témoins particuliers de la naissance de vocations artistiques, nous suivons, à travers les âges, l’évolution de ces comédiens en herbe qui, du primaire au cours de théâtre pour adultes, en passant par le lycée, vont passer petit à petit de l’amateurisme au professionnalisme, de l’amusement léger à l’intensité des émotions. Cette mutation, cette transformation des comportements va s’accompagner d’une prise de conscience du monde qui les entoure.
En imbriquant tangible et irréel, Guillaume Vincent souligne à quel point le monde garde en lui la même noirceur au fil des siècles. Il ancre les légendes recueillies par Ovide dans l’actualité, dans la catégorie « faits divers ». Rien d’improbable, en effet, que voir une fille amoureuse de son père, un mari prêt aux pires bassesses pour s’accoupler avec la jolie sœur de sa femme : n’oublions pas que nous sommes au théâtre, qu’ici, tout est illusion. Ainsi, derrière les murs sans âme d’une salle des fêtes défraîchie, apparaît, un court instant, dans un halo de lumière, la silhouette troublante d’un hermaphrodite. Un peu plus tard, la princesse Procnée, muée en femme de ménage (fascinante Emilie Incerti Formentini), en mégère épuisée par la dure réalité d’un quotidien banal et triste, erre en somptueuse tenue élisabéthaine dans son étroit meublé.
Jouant des mots, réinventant les mythes, le jeune auteur et metteur en scène s’amuse des jeux de miroirs mettant ainsi le théâtre en abîme et rendant un hommage vibrant et drôle aux troupes d’amateurs. Malgré la cruauté sordide des actes, il sait faire émerger situations burlesques et pantomimes qui nous saisissent par leur incongruité et nous divertissent. Avec ingéniosité, il brise ainsi la noirceur des crimes, offrant espoir et humanité au monde de brutes qui nous entoure.
Loin de s’arrêter en si bon chemin, Guillaume Vincent complète sa vision du théâtre et des arts vivants par une re-visite âpre, romanesque et hilarante,du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Après un court entr’acte, il quitte, un temps seulement, les tragiques Métamorphoses d’Ovide, pour les amours passionnelles, contrariées et frictionnelles des elfes, des fées et des jeunes athéniens. Cassant les codes – Titania (épatante Estelle Meyer) et Obéron (flamboyante Candice Bouchet), sont deux femmes – , passant du rock aux arias de Purcell, accentuant à l’envi le cocasse des situations burlesques, il nous entraîne dans un univers sans foi ni loi où tout se mêle avec malice et virtuosité. Le fantastique côtoie le théâtre engagé, la tragédie l’humour potache. Malgré quelques longueurs inhérentes au romantisme exacerbé de jeunes amants, le metteur en scène montpelliérain compose une œuvre dense, intense et hilarante, un hommage vibrant au théâtre, qui charme et ensorcelle.
L’union magique entre Ovide et Shakespeare, déjà esquissée dans le Songe d’une nuit d’été avec l’insert de Pyrame et Thisbé dans l’intrigue, est d’autant plus réussie que les comédiens s’en donnent à cœur joie pour faire naître en nos âmes, en nos cœurs, l’illusion d’un irréel tangible, d’un réel fantasmé. Le charme mutin d’Elsa Agnès et d’Elsa Guedj enchante. Les fanfaronnades enfantines et la suavité ténébreuse de Makita Samba et d’Hector Manuel captivent. La présence scénique intense, la profondeur de jeu d’Estelle Meyer et d’Emilie Incerti Formentini saisissent. Les facéties drolatiques de Gérard Watkins séduisent. Les gesticulations en tous sens, les mimiques exagérées, et les répliques assassines de Florence Janas achèvent magistralement le tableau et déclenchent à tous les coups des salves de rire.
Sans attendre, laissez-vous embarquer pour quatre heures intenses de spectacle, détendez vos zygomatiques et laissez-vous séduire par cette pièce hors normes, tout autant tragique qu’hilarante.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Songes et métamorphoses d’après Ovide et William Shakespeare
Les Ateliers Berthiers -Odéon
1, rue André Suares
75017 Paris
jusqu’au 20 mai 2017
du mardi au samedi à 19h30 les dimanches à 15h00
durée 4h05
une création de Guillaume Vincent
Dramaturgie Marion Stoufflet
Scénographie François Gauthier-Lafaye Collaboration à la scénographie James Brandily et Pierre-Guilhem Coste
Lumière Niko Joubert Collaboration à la lumière César Godefroy
Composition musicale Olivier Pasquet et Philippe Orivel
Son Géraldine Foucault Collaboration au son Florent Dalmas
Costumes Lucie Durand Collaboration aux costumes Elisabeth Cerqueira et Gwenn Tillenon
Assistant à la mise en scène et répétiteur enfants Pierre-François Pommier
Régie générale et vidéo Edouard Trichet Lespagnol
Régie plateau Muriel Valat et David Jourdain
Régie micros Rose Bruneau
Perruques et maquillages Justine Denis et Myrtil Brimeur
Marionnette Bérangère Vantusso
Moulage Anne Leray
avec Elsa Agnès, Paul-Marie Barbier, Candice Bouchet, Lucie Ben Bâta, Emilie Incerti Formentini, Elsa Guedj, Florence Janas, Hector Manuel, Estelle Meyer, Alexandre Michel, Philippe Orivel, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles Van de Vyver, Gérard Watkins, Charles-Henri Wolff
et la participation de David Jourdain, Pierre-François Pommier, Muriel Valat
et en alternance les enfants :
-Baptiste François, Bastien Faba Vonki-Teulé, Capucine Gilson, Mathilde Vaux
-Darius Van Gils, Gaspard Martin Laprade, Mia Luppens–Sfez, Kadiatou Barry
-Anton Froehly, Georges Barse, Pola Chéron-Bonnet, Hora Fourlon-Kouayep
Crédit photos © Elizabeth Carrecchio