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Lina Lamara, la pétillante faiseuse d’illusions

Auteure de >em>La Clef de Gaïa, Lina Lamara se libre dans une interview confession.

Virevoltante, la « belle Andalouse », comme disait sa grand-mère, irradie de son sourire charmeur, de sa présence lumineuse, l’espace qui l’entoure. Alors que la dernière représentation, au théâtre des mathurins de son spectacle musical autobiographique, La clef de Gaïa, vient de s’achever, Lina Lamara a accepté, le temps d’un café, de nous parler de son parcours, de ses envies et de ses projets.

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Radieuse, joviale, Lina Lamara est une jeune femme de son temps. Parisienne d’adoption, elle a élu domicile dans le quartier bouillonnant d’Oberkampf. C’est donc dans un de ses restaurants favoris, spécialisés dans l’épicerie italienne, qu’elle nous a donné rendez-vous. L’air est frais, mais le lieu est convivial, chaleureux. Il ressemble tant à cette comédienne-chanteuse qui offre sa joie de vivre à tout ce qui l’approche. Née à Lyon, il y a un peu plus de trente ans, la belle gouailleuse a fait du chemin depuis sa jeunesse sur les bancs des écoles de la Croix-Rousse jusqu’aux tréteaux du théâtre des Mathurins.

Le chant, une passion enfantine

Depuis que Lina Lamara sait parler, elle chante. « Toutes mes émotions, se souvient-elle amusée, je ne les exprimais que par la musique, la mélodie. Du coup, rapidement, mes oncles, mes tantes prenaient plaisir à me faire écouter différents styles allant du blues, au jazz, au pop-rock. C’est comme cela que j’ai découvert les standards noir américain. Cela a été un vrai déclencheur. Cette façon de laisser entrevoir son âme, ses sentiments profonds, par le chant, la voix ; cela a quelque chose de l’ordre du divin, pourrait-on dire. J’ai su que c’était cela que je voulais faire. » Bonne élève, la pétillante jeune fille fait une scolarité exemplaire dans sa ville natale et suit un parcours littéraire. En parallèle, elle s’inscrit à une chorale de Gospel, ainsi qu’à l’école de musique de Villeurbanne. « C’est déjà décidé, explique-t-elle. Je voulais conquérir Paris. Le Bac en poche, j’ai fait un pacte avec ma mère. Elle acceptait que je monte à la capitale pour tenter ma chance en tant que chanteuse, si je continuais à poursuivre mes études. Ainsi, la journée, j’usais mes jeans sur les bancs de la Sorbonne où je suivais des cours de droit, et le soir, je poussais la chansonnette. » À 21 ans, la voix chaude, rocailleuse de la « belle Andalouse », a été repérée par un producteur indépendant. « J’ai donc commencé à ses côtés, raconte-t-elle avec beaucoup d’humour, de recul, à travailler des textes, des mélodies. C’était loin de mon univers, l’expérience a été horrible. Le son, qu’il me proposait d’exploiter, une sorte de RNB très commercial, ne me convenait pas du tout. Je n’étais pas prête, ce n’était pas moi. J’ai tout arrêté. »

La comédie musicale, une expérience formatrice

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À peine, se remet-elle de ses émotions, que la jeune artiste en devenir tombe sur une annonce présentant le concours de l’école de comédie musicale de Pierre-Yves Duchesne, qui vient juste d’ouvrir ses portes. « Quand j’étais enfant, se remémore-t-elle, on m’a abreuvée des vidéos de Dirty Dancing, de Grease, de Flashdance. J’adorais ce genre de film. C’était un univers qui me plaisait, qui me donnait la pêche. L’opportunité de découvrir l’envers du décor, de ne pas m’enfermer uniquement dans le chant, mais d’apprendre de nouvelles choses, comme la danse, le jeu, m’intéressait. J’ai postulé et je suis rentrée à l’ AICOM en 2004. Un vrai déclic s’est opéré en moi. Je pouvais faire le métier qui me convenait, me plaisait sans pour autant être une vedette. » Travailleuse acharnée, Lina Lamara prend plaisir à faire 36 heures par semaine de chant, de danse, de théâtre, jusqu’à l’épuisement pendant un an et demi. Feu follet, gazelle toujours en quête d’absolu, elle veut plus. « J’avais besoin d’un nouveau challenge, de vibrer, explique-t-elle. Le jeu, la comédie, c’est un domaine que j’entrevoyais à peine. J’ai rapidement eu l’envie de travailler des textes, d’entrer dans la tête des auteurs, de me glisser dans la peau des personnages que je devais interpréter. Je me suis donc inscrite au cours d’acting de Jack Garfein (cofondateur de l’Actor’s Studio à New York). À 82 ans, toujours alerte, il enseignait son métier à une trentaine de personnes dans le 19e arrondissement de Paris. Avec lui, j’ai découvert et étudié notamment la langue de Tennessee Williams, d’Anton Tchekhov et de William Shakespeare. Il m’a appris la méthode Stanislavski. Cela a été une révélation. J’ai commencé à appréhender ce que c’était qu’être comédien. À l’époque, je me considérais comme chanteuse qui voulait parfaire son interprétation pour donner plus de force, de puissance à ma voix. Cela a tout changé. Je pouvais être bien plus que ce que j’espérais. 

Les débuts sur les planches

Lina_Lamara_©DR_@loeildoliv

Bien que n’étant pas du sérail, n’ayant fait ni le conservatoire d’art dramatique ni les écoles avec pignon sur rue, Lina Lamara commence à travailler. « En France, raconte-t-elle, il y a des cases. Si tu n’es pas dedans, c’est difficile de se sentir totalement légitime. Pourtant, rapidement, j’ai gagné ma vie en participant à des comédies et des spectacles musicaux, tel que Kid Manor, etc. J’ai fait la rencontre de David Rozen de Double D productions. Il a été un mentor. J’ai beaucoup travaillé avec lui. Il trouvait que j’avais des airs de Bette Midler, dont il est un grand fan. Il m’a donc poussée à me dépasser, à perfectionner mon jeu, à suivre des stages. » Forte de ce soutien, Lina Lamara enchaîne les castings. En 2010, elle est prise pour incarner Ermeline Bourdarie dans le soap opéra de France 3 Plus belle la vie. L’aventure dure un peu moins d’un mois. « Cela a été une expérience plus qu’enrichissante, se souvient réjouie la pétulante trentenaire. Grâce à ce feuilleton, j’ai fait de belles rencontres, j’ai été accueillie par des gens généreux, humains. D’Ambroise Michel à Coline D’Inca en passant par Marwan Berreni, tous m’ont transmis leur passion du métier, m’ont parlé de leurs autres projets loin du Mistral. » Retour à Paris après des apparitions dans une douzaine d’épisodes, la trépidante artiste continue à enchaîner les rôles dans les comédies musicales, notamment celles produites par Jacques Duparc.

The Voice

En 2012, Bruno Berbères, directeur de casting de nombreuses comédies musicales et de l’émission The Voice, propose à Lina Lamara de passer les auditions à l’aveugle. « Au début, explique-t-elle, j’étais réticente. Je n’étais pas sûre d’être à ma place. Après, j’ai réfléchi, c’était la première édition, j’ai donc tenté ma chance avec It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown. Le jury s’est retourné, j’ai intégré l’équipe de Jenifer et j’ai perdu aux Battles face à Sonia Lacen. Cela a été une belle expérience, même si le principe de l’émission est un jeu d’échecs qui peut être compliqué à gérer. » Après la lumière des plateaux télé, la jeune comédienne retourne sur les planches et intègre la troupe de La Revanche d’une blonde qui se joue au Palace. En Avignon, elle interprète, Janis Joplin dans la comédie rock de Gilles Ramade, Jim et Janis. Le temps coule, les projets se suivent sans discontinuer. Toujours en 2012, elle est repérée par Ail Vardar, qui lui propose de jouer à ses côtés au Palace dans une comédie de Boulevard, 10 ans de Mariage. « Nouvel univers, nouvelle famille du spectacle vivant, se remémore-t-elle, je m’adapte, mais je ne suis pas à l’aise, j’ai l’impression de ne pas être à ma place. Je suis sur scène, depuis 2004, je travaille sans arrêt avec les autres, pour les autres, mais je me demande qui je suis ? Qu’est-ce que je fais là ? Est-ce que tout cela me ressemble ? Est-ce que c’est cela que j’ai envie de défendre, de dire ? Rapidement, la réponse est tout, mais pas ça. Non que je regrette, ce que j’ai fait, mais j’étais à un moment de ma vie où je voulais d’autres choses. » La décision est prise, en quelques jours, l’artiste arrête tout en 2013 et part bagage sur le dos quelques semaines à Biarritz avant de découvrir les terres andalouses.

L’écriture, une passion secrète

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Depuis longtemps, Lina Lamara a l’envie de coucher sur le papier son histoire, celle de sa famille, ses désirs, ses questionnement sur la vie. C’est un pas qu’elle n’ose franchir. La liberté, l’air chaud des plaines ibériques, agissent comme un baume stimulant. Très vite, les mots viennent. En quelques semaines, la toute première version de La Clef de Gaïa voit le jour. « C’est toujours plus facile, explique la jeune femme, d’écrire sur soi, de parler des choses qui nous touchent, que l’on a vécues. Si je me racontais, au début c’était très distancié, très formel. C’est après avoir discuté avec Cristos Mitropoulos, mon metteur en scène, que Mouima a pris une place importante dans mon récit. C’est un personnage imaginaire qui réunit en son sein, ma mère, mes grand-mères, et le lien qui les unissait. J’ai tout réécrit en partant de mes souvenirs d’enfant à côté de cette femme haute en couleur qui a éclairé ma jeunesse. C’était primordial pour moi de parler de transmission qu’elle soit verticale ou horizontale. Je voulais qu’avec Cristos, on voulait que l’on ressente dans le texte que nous sommes tous faits de l’histoire de nos ascendants et que nous sommes tous connectés les uns, les autres. » Rentrée en France, la détonante chanteuse organise un show case au Bus Palladium pour présenter ses chansons. « J’avais vu les choses en grand, raconte-t-elle amusée, on était neuf sur scène. Un vrai carton, les producteurs, les directeurs de festivals, les amis, sont emballés, mais très vite, ils me recadrent. Impossible d’avoir un tel plateau, cela coûte trop cher. Tous me conseillent de faire plus simple et de réduire la partie instrument à des partitions sur ordinateur. J’étais un peu vexée (rires), mais j’ai repensé tout le spectacle en version acoustique, juste accompagnée du talentueux Pierre Delaup et de sa guitare. »

La clef de Gaïa, le spectacle d’une vie

Fort de ce premier succès, Lina Lamara s’enferme avec Cristos Mitropoulos pour affiner le texte, réécrire, donner vie à cette histoire de petite fille qui grandit à l’ombre de Mouima. « En 2015, raconte-t-elle émue, Mourad Berreni nous ouvre grand les portes du théâtre de l’Echo. C’est d’ailleurs grâce à lui que le décor façon tente berbère voit le jour. J’avais l’idée, mais je ne pensais pas cela réalisable, il m’a conseillée de le construire d’abord en miniature dans un carton à chaussures. C’est ce que j’ai fait. L’aventure a commencé sur des chapeaux de roue. Entourée de Vincent Escure, Pierre Delaup, Tug Calvez, Christian Courcelles et Maxime Roger, nous avons fait 2 festivals d’Avignon et trois théâtres parisiens. Après la Manufacture des Abbesses et le Studio Hébertot, c’est le théâtre des Mathurins qui nous a accueillis jusqu’à il y a peu. C’est vraiment incroyable. » Si le spectacle a changé au cours du temps (4 versions en tout) et que que l’équipe s’est considérablement réduite, la comédienne parle toujours de ce spectacle comme une partie d’elle-même. « Je sais que le texte doit vivre indépendamment de moi, explique-t-elle. On m’a demandée récemment si j’accepterais que quelqu’un d’autre reprenne mon rôle. C’est encore difficile, mais je crois que cela pourrait être possible, mais pas avant deux ans au moins. Toutefois, pour que le spectacle garde sa force, il faudra l’adapter à la personnalité de celle qui reprendra La clef de Gaïa. »

D’autres aventures à venir

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S’étant pris au goût de l’écriture, l’endiablée comédienne prépare un autre spectacle. « Avec mon complice Pierre Delaup, raconte-t-elle avec enthousiasme, c’est en Italie que se dirigent nos errances en quête du père et des liens qui nous unissent à cette autre figure tutélaire de la famille. Ce sont des sujets qui me touchent, car ils sont à la fois intimes et généraux. C’est ce que l’on appelle en langage plus scientifique la théorie de l’émergence, partir de l’infiniment petit vers l’infiniment grand. » Bouillante, impétueuse, Lina Lamara est une artiste entière qui manie avec virtuosité l’humour et le drame. Personnalité hors du commun, femme forte et fatale, le visage souriant, toujours bienveillant, elle se lance dans tous ses projets avec fougue et passion. « C’est difficile pour moi, explique-t-elle, après le succès imprévisible de la Clef de Gaïa, l’ampleur que cela a pris dans ma vie, de relancer un autre projet. J’ai un peu peur, j’avoue, mais c’est important de continuer, d’aller de l’avant. » Loin de s’arrêter en si bon chemin, la jeune trentenaire pense déjà à écrire pour d’autres. Si nous ne la verrons pas à Avignon cet été, nous devrions la revoir très vite sur les planches. C’est une évidence.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Crédit photos © Kriss Logan et © DR

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