Dans le cadre de la 28e édition du Festival Les Boréales, le musée des Beaux-Arts de Caen rend un bel hommage à la peintre norvégienne, Anna-Eva Bergman. Peu connue du grand public, dans l’ombre de son mari, l’artiste allemand Hans Hartung, elle offre, dans ses œuvres, aux paysages de son pays natal, un éclairage singulier, entre abstraction et magnétisme.
Née en 1909 à Stockholm, Anna-Eva Bergman étudie les arts appliqués à Oslo avant de voyager à travers l’Europe pour parfaire sa formation. De Vienne à Paris, en passant par Dresde en 1931, où elle rencontre Hans Hartung, qu’elle épouse dans la foulée, l’artiste en herbe dessine. Fauchés, ils vivotent, voyagent. Un séjour à Minorque aux débuts des années 30, une séparation, une santé chancelante qui l’éloigne quelques temps de sa passion, des pinceaux, la jeune femme retourne un temps en 1939 en Norvège pour étudier la philosophie. Journaliste, illustratrice, caricaturiste, pour faire bouillir la marmite.
Il faudra dix ans et un nouveau voyage dans le pays de ses ancêtres pour qu’elle revienne à la peinture. Elle se nourrit des paysages lunaires, des fjords, des falaises, de cette nuit qui n’en finit pas, de ce jour pâle qui perdure des semaines, des mois. Les premières œuvres présentées rappellent certains tableaux de Kandinsky. Puis son style s’affirme. Voyageant seule à bord du navire Brand V, elle se laisse subjuguer, hypnotiser par l’immensité de cette nature sauvage. Elle observe mais ne peint pas tout de suite. Elle se laisse pénétrer, envahir. Elle a le besoin de digérer avant de laisser sa main parcourir la toile, les feuilles de papier. Loin de retranscrire la réalité, elle laisse son imaginaire l’emporter. Les images sont surréalistes, peuplées de rêveries, d’être mystiques, de croyances. Le visiteur se laisse attraper, séduire. Impossible de détacher son regard, il se laisse envahir. Évidemment, il plane sur ce travail l’ombre de la guerre, une terre dévastée. Les falaises sont tranchantes, la mer déborde, le ciel déchiré, tourmenté.
Quatorze ans plus tard, Anna-Eva Bergman revient en Norvège, mais cette fois avec son mari Hans Hartung. Après l’éloignement, les deux tourtereaux se sont remariés en 1957. Le voyage se fait en partie en avion. Comme à son habitude, elle contemple, étudie, prend des photographies. Cette fois, elle utilise des feuilles d’or, d’argent, s’empare de formats plus grands pour donner libre court à sa créativité. Les horizons s’étendent à l’infini. Les ciels se font noirs, bleus nuits, bleus rois. Les sols mordorés, gris.
Une frêle exquise, une barque, s’immisce dans ses toiles. Elle file sur les eaux sombres. Un présage d’un ailleurs meilleur, peut-être ou l’évocation d’un passage entre deux mondes, qui sait ? Montagnes, mer, la nature s’expose en grand, se révèle dans sa beauté froide, loin de la présence des hommes. Imperceptiblement, l’artiste glisse vers l’abstraction. On retrouve dans son travail la même aspiration métaphysique que chez l’Américain Rothko.
Avec plus de 80 œuvres issues de la Fondation Hartung-Bergman d’Antibes, toutes inspirées de ses voyages dans le nord de la Norvège, territoires proches de l’arctique, l’exposition conçue par Emmanuelle Delapierre, conservatrice-directrice du Musée des Beaux-Arts de Caen, laisse transparaître la puissance de l’art au féminin, la richesse d’une nature indomptée, sauvage. Avant une belle rétrospective qui devrait être consacrée à Anna-Eva Bergman en 2022 au Musée d’Art moderne de Paris, les cintres de l’institution Caennaise offre une possibilité rare de découvrir les paysages lumineux, les dessins, les esquisses d’une artiste discrète mais dont le travail créatif fascine.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Caen
Passages. Anna-Eva Bergman
Festival Les Boréales 2019
Musée des Beaux-Arts de Caen
Le Château
14000 Caen
Jusqu’au 1er mars 2020
Crédit photos © OFGDA