De la douleur de l’exil, du vol d’une vie, d’un amour, Sonia Nemirovsky tire une étonnante et puissante ode à la vie. L’écriture brute, viscérale, est soulignée par la sobre mise en scène de Bertrand Degrémont et Caroline Rochefort , renforcée par les délicates esquisses de Pierre Constantin, qui servent de décor. Le jeu fascinant du duo de comédiens amplifie la violence des mots, des actes et des sentiments. Les mouvements chorégraphiés des corps donnent du rythme à l’ensemble. Le cœur et l’âme chahutés, bouleversés, on sort la rage au ventre… emballé et séduit.
L’argument : Buenos-Aires, 1976. C’est le récit de ce qui aurait pu être une histoire d’amour comme les autres, jusqu’à ce que la jeune femme se fasse arrêter par la junte militaire.
L’histoire d’un exilé et d’une disparue. L’histoire d’un vol. Le vol d’une jeunesse, d’une insouciance, le vol d’un pays…
La critique : le rideau se lève. Une jeune femme (Suzanne Marrot) est assise. Elle fouille dans une valise. Au fond se cache une boîte à musique. Les premières notes s’égrènent. Un instant, son visage se fige. Les souvenirs affluent : son pays, ses racines, son histoire, sa famille. Derrière elle, deux êtres (Grégory Barco et Sonia Nemirovsky) se cherchent. Ils ont quinze, dix-huit ans. Ils sont jeunes. Ils s’aiment. Ils sont insouciants. Ils esquissent quelques pas de danse. Le monde semble leur sourire.
Très vite, ils sont rattrapés par les événements qui secouent l’Argentine. Nous sommes en 1976, la dictature militaire est instaurée. L’atmosphère se fait lourde, pesante. Un matin comme les autres, banal, elle disparaît. Lui, fou d’amour, ne cessera de la chercher. Comme de nombreux compatriotes, on ne saura jamais ce qu’il est advenu d’elle. Rien de logique dans cela, juste de l’arbitraire. Prison, exécution, disparition, c’est l’inconnu, le flou douloureux. Rien de pire que ne pas savoir.
C’est le commencement d’une attente interminable, d’un dialogue impossible. Partagé entre le vain espoir, l’intolérable chagrin et l’insupportable absence, il doit pourtant continuer. Incapable de faire le deuil de cette histoire d’amour naissante, volée, saccagée, il doit partir, quitter ce pays de souffrance, fuir, s’exiler. Il reconstruira sa vie, mais l’absente, la disparue, sera toujours là. Loin d’être une ombre sur son bonheur à venir, il décide de l’intégrer à sa vie. Présente à tout jamais dans son cœur, il rêve de joyeuses retrouvailles et d’imaginaires rencontres.
Au-delà des mots, magiques, puissants, chargés d’une émotion brute, la mise en scène épurée de Bertrand Degrémont et de Caroline Rochefort
invite à ce voyage onirique, aussi douloureux que léger, presque enfantin. Pas de décor, il serait inutile, mais un écran géant sur lequel sont projetés les captivants dessins exécutés, en temps réel, à l’encre de Chine, par Pierre Constantin. D’un trait, d’un geste, il met des images sur les mots. Les corps de nos deux amoureux se mêlent et se fondent dans ces éphémères croquis où s’ébauchent l’Argentine, sa douceur de vivre, sa violence, ses meurtrissures dictatoriales.
Le spectateur est emporté dans un tourbillon de sentiments, des plus noirs au plus heureux. La musique renforce l’ensemble. Les mélodies s’adaptent remarquablement au texte à sa poésie, à sa délicatesse et à sa férocité.
Le duo des comédiens fascine. Leur corps, leurs visages, expriment tour à tour les tourments de l’amour, les furies de la passion, les maux de l’absence, les douleurs du vol… d’une vie, des vies. Les gestes parfaitement chorégraphiés instillent dans nos âmes la violence subie par ces deux êtres, mais aussi, celle subie par un pays, un peuple. L’errance des exilés dans un monde où ils ne peuvent ni pardonner, ni blâmer, s’inscrit avec force et conviction dans le jeu touchant de Sonia Nemirovsky et Grégory Barco.
Laissez-vous séduire par cette ode à la vie, à la mort. Rejoignez le chant des exilés et de ceux dont l’existence a été pillée, volée… Poignant !
Olivier Fregaville-Gratian
Le vol de Sonia Nemirovsky
Festival Avignon Off – Théâtre du Roi René
4bis rue Grivolas 84000 Avignon
Du 7 au 30 juillet 2022 à 13h40, relâche les 11, 18, 25 juillet
Durée 1h05
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
jusqu’au 8 aout 2015
du mardi au samedi à 21h
Mise en scène de Bertrand Degrémont et Caroline Rochefort
Avec Grégory Barco, Suzanne Marrot, Sonia Nemirovsky, Pierre Constantin
production de la Compagnie de la Porte au trèfle