Les cheveux mi-longs, châtain foncés, le regard pénétrant, ténébreux, Julien Derouault est un amoureux du geste et des mots. La langue déliée, il aime parler de son travail, de ses lectures, de tout ce qui le passionne, le touche. Être sensible et réservé, il a la générosité des artistes acharnés, perfectionnistes, qui aiment transmettre, donner. Il vit, danse, il respire « la » chorégraphie. Actuellement en tournée avec Je t’ai rencontré par hasard, qu’il a écrit avec sa complice et compagne depuis plus de 15 ans, Marie-Claude Pietragalla, il entrouvre, le temps d’un instant, les portes de leur compagnie : le Théâtre du corps.
Non loin de là où la Marne se jette dans la Seine, au cœur d’Alfortville, au fond d’une cour, une grande porte de métal dissimule les locaux du Théâtre du corps. Quelques notes de musique percent à travers l’embrasure. A l’intérieur, quelques canapés en cuir « vintage » donnent chaleur au lieu et accueillent les visiteurs. Au sol, un immense tapis de danse noir, au mur, des glaces, une barre. Au centre, Julien Derouault tourne, virevolte. Il répète inlassablement les mêmes pas. Il cherche le geste précis, le mouvement parfait. « Jusqu’ boutiste », il se donne avec énergie, passion. La musique s’arrête. Le moment de grâce s’interrompt, place à la rencontre.
De sa démarche féline, déliée, il approche. Lunaire, sombre, la tête encore emplie des enchaînements qu’il vient d’exécuter, il a la simplicité et l’humilité des grands. L’accent pointu, ce francilien de naissance est venu à la danse un peu par hasard. Le virus attrapé, il ne l’a jamais quitté.
Première expérience
Paris en vague souvenir, le jeune Julien Derouault grandit dans les environs du Mans. Enfant hyperactif, extrêmement sportif, à l’âge de 12 ans, il suit une de ses amies dans un cours de quartier. C’est son premier contact avec la danse. « C’était du Modern Jazz, se souvient-il. J’y allais une heure et demie par semaine. C’était vraiment du loisir, car j’aurais préféré faire du théâtre. Ce n’était pas possible. Je me suis laissé porter par le hasard. A cette époque, je me dépensais dans plein d’autres activités. Je ne m’arrêtais jamais. » Le vrai déclic a eu lieu 3 à 4 ans plus tard. Inscrit à différents stages d’une semaine, organisés partout en France, il a pu tester plusieurs styles de danse différents : du contemporain, ou du classique. « Très vite, continue-t-il, des professeurs se sont intéressés à moi et à ce que je faisais. C’était aussi l’avantage d’être un garçon dans un milieu où il y a beaucoup de filles : on est plus rapidement repéré. L’un des enseignants était Redha, un chorégraphe que j’admirais déjà beaucoup. Je faisais en sorte de suivre tous les cours qu’il dispensait. Il était très dur, ça me forçait à donner le meilleur de moi-même. Venant du sport, j’aimais beaucoup cette approche, qui bousculait la plupart des élèves, car pour suivre il fallait s’accrocher. Il a été direct. Si je voulais aller plus loin, je devais absolument faire de la danse classique. » C’est une base essentielle, le solfège de la danse.
Fort de ce conseil, à 16 ans, il s’inscrit au conservatoire du Mans, puis l’année du baccalauréat, au Conservatoire à rayonnement régional d’Angers. Avec l’aide de Michel Galvane, il aménage son temps comme une sorte de sport-étude. C’était important pour ses parents qui n’évoluent dans le monde du spectacle. Ne sachant pas si leur fils pourrait vivre de ce métier, ils souhaitaient qu’il décroche le précieux diplôme avant de se lancer à corps perdu dans cette carrière. « Tout est allé très vite, raconte Julien Derouault. Ayant commencé la danse classique tard, j’ai dû redoubler d’effort : ça a été dur, mais j’ai toujours gardé à l’esprit que c’était un passage obligé. Je n’avais pas le choix, j’en avais besoin pour la suite de ma carrière. Si je ne me voyais pas forcément dans le rôle d’Albert dans Gisèle, le virus de la danse classique a fini par me venir avec le temps. » Diplôme en poche, il passe avec succès une audition au Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris, qui l’accepte pour son cursus contemporain. Il refuse l’offre. « Même si c’était ma vocation finale, un domaine qui m’était plus familier, plus naturel, explique-t-il, je savais que ce n’était pas encore le moment. J’étais jeune, j’avais besoin de faire ce que je ne savais pas faire. J’avais l’envie d’apprendre, de me construire. »
Marseille, les premiers pas
C’est dans le sud à Marseille que l’histoire continue. Il y avait une audition pour intégrer les classes de danse classique. Agé de 17 ans, il fonce. « A l’époque, se souvient-il avec malice, j’avais pas du tout le look du danseur classique. J’étais un peu rebelle. J’avais les cheveux longs, je portais un jogging. Le jury semblait interloqué par ma présence. Il se demandait ce que je pouvais bien faire là. Surtout que vu mon âge, je ne pouvais intégrer que la dernière année, juste avant la professionnalisation. Clairement, je n’avais pas le niveau, mais comme il y avait peu de garçons, ils ont accepté que je passe les tests. J’ai eu une chance extraordinaire. Roland Petit, qui ne venait jamais aux auditions, a pointé le bout de son nez. Il a regardé tout le monde. Il s’est dirigé vers moi. D’un ton impératif, il m’a demandé de détacher mes cheveux. Je me suis exécuté, pas très fier. Ses mots ont été directs. Il trouvait ma coupe affreuse. Avec aplomb, je lui ai répondu que s’il me prenait, je me rasais les cheveux : ça lui a plu. Il trouvait que j’avais des yeux de danseur. Il m’a juste dit « ok », je te prends. Puis s’en est allé. » Cette année-là, c’était en 1996, seuls deux danseurs ont été acceptés : un russe, et Julien Derouault.
Crâne rasé, l’artiste en herbe se donne à fond sans ménager son corps, son mental. N’ayant pas le niveau requis, il travaille jusqu’à l’épuisement. Du matin au soir, il passe ses journées enfermé dans les locaux de répétitions du Ballet national de Marseille, situés Boulevard Gabès. Il suit 3 cours par jour, dont celui des enfants. Il fait de la gymnastique à outrance, de la musculation jusqu’à overdose pour façonner son corps. « Physiquement, raconte le ténébreux danseur, J’ai morflé. Je me suis blessé les tibias à plusieurs reprises. J’ai fait des périostites à répétition. Avec le recul, je n’ai pu le faire uniquement parce que je n’avais pas encore vingt ans. La souffrance n’était rien. Ce qui pouvait paraître de la douleur pour le grand public, pour les non-initiés, c’était devenu du plaisir, presque une gourmandise. J’avais un but. La danse était ma vie, je devais me transformer pour adapter mon corps à l’esthétisme du classique. »
Entraînement après entraînement, répétition après répétition, Julien Derouault s’est pris de passion pour cet art majeur. Il en a appris les codes, l’histoire, la rigueur. Une photo de Noureïev en modèle, il s’est plié à sa discipline de fer. « J’étais fasciné par son travail, explique-t-il avec beaucoup de respect. Ce qu’il faisait sur scène était prodigieux. Sa maîtrise impeccable, son aisance, l’étonnante facilité qu’il avait à exécuter des mouvements que je savais particulièrement difficiles, lui permettait de tout donner dans l’esthétisme, dans l’émotion. La technique n’est rien en soi, c’est ce qu’il en faisait qui était prodigieux. C’était un vrai génie. » Très vite, son acharnement a payé. Repéré une nouvelle fois par Roland Petit, ce dernier lui propose d’être son stagiaire. Du coup, les heures à la barre s’enchaînent. Le matin, les cours avec les professionnels, l’après-midi, les répétitions, et le soir, les cours, encore et encore. « C’était incroyable, se souvient-il toujours émerveillé par la bonne étoile qui veille sur lui. Je commençais à vivre de mon art. Le salaire était ridicule mais c’était pour moi l’Eldorado. Tous les jours, on m’initiait au répertoire de Roland Petit. N’étant pas né dans le monde de la danse classique, j’ai dû regarder les autres travailler, chercher ailleurs ce qui n’était pas inné. En observant les autres danseurs s’échauffer, répéter, j’ai appris à conserver mon énergie, à ne pas la gaspiller inutilement. »
Danseur dans l’âme
Pris dans un tourbillon incessant, Julien Derouault vit, pense, respire danse. Plus rien ne compte. « Quand on danse, explique-t-il, on est, on ne peut pas tricher. Il y a une vérité intrinsèque avec le corps qu’on ne peut dissimuler. Il suffit d’étudier les gens dans la rue, leurs mouvements, leurs postures, leurs actions pour être au plus près de ce qu’ils sont. Alors qu’on peut se cacher derrière la parole, le corps lui ne peut mentir. La danse, c’est très révélateur de ce que l’on est. » Ces années d’entraînement à Marseille lui ont appris à maîtriser son corps, à le pousser dans ses limites sans jamais les dépasser, à utiliser la fatigue comme moteur d’une énergie nouvelle. « C’est toute l’ambivalence du corps humain, développe-t-il, tellement fragile et pourtant incroyablement modulable, flexible. La danse permet un véritable travail intérieur sur nous-mêmes qui permet de s’ouvrir aux autres, de se sentir mieux dans son être, dans sa peau. Quand, enfin, la technique est acquise, c’est le moment où enfin le métier commence, où l’on peut interpréter, toucher une sorte de vérité, rentrer en connivence avec le public, émouvoir. Pourtant, on a le besoin viscéral de se remettre en question toujours en question, de se remettre à la barre tous les matins. On sait que ces gestes répétitifs, quotidiens, on les fera toute notre carrière. Ils en sont la colonne vertébrale, le rythme nécessaire dont notre corps a besoin pour s’exprimer, créer. » Déjà, pourtant, l’ombre du théâtre revient hanter le jeune homme. Il rêve de donner vie à des personnages, de raconter des histoires.
La rencontre
1998, Roland Petit quitte Marseille. Marie-Claude Pietragalla est nommée à sa place. « C’était une période étrange pour moi, explique Julien Derouault. Mon premier maître partait. Je ne savais pas si je devais rester ou voler vers d’autres horizons. J’avais l’envie de découvrir d’autres choses, d’autres chorégraphes. Je ne connaissais quasiment que son répertoire. J’avais besoin d’envisager différemment le corps, la danse. Puis Pietra arrivait avec un bagage impressionnant. Elevée dans la pure tradition de Noureïev, le répertoire classique n’avait presque plus de mystère pour elle. En tant que danseuse étoile de l’opéra de Paris, elle avait travaillé avec les plus grands chorégraphes contemporains, tels Carolyn Karlson ou Merce Cunningham. Et elle avait déjà proposé plusieurs créations qui avaient eu bonne presse. » Fougueux, avide d’apprendre de nouvelles choses, le jeune artiste s’est vite décidé. Il est resté à Marseille. Très vite, la danseuse étoile de l’Opéra de Paris et lui se sont rencontrés humainement, amoureusement, et artistiquement, évidemment. Les chorégraphes, invités au Ballet national de Marseille, ont très vite eu l’envie de les faire danser ensemble. Le duo était une évidence. Leur histoire commune, leur connivence, étaient en marche. « Dès sa première création marseillaise, raconte-t-il, elle m’a pris pour assistant. Elle m’a fait entièrement confiance. J’avais une bonne vision des autres et j’avais déjà la passion de transmettre. En peu de temps, j’ai pris en charge les répétitions, en soutien des maîtres de ballet. Les chorégraphes me faisaient confiance. Ils reconnaissaient ma capacité d’analyse des mouvements, des gestuelles. » Le danseur fait déjà une place au chorégraphe en devenir. Il imagine des premiers pas, des premiers enchaînements. Le rêve d’enfant devient peu à peu réalité. Nommé soliste en 2000, il est de toutes les créations de Pietra. Leur couple se nourrit de leur complicité, de leur vision commune du monde, de la vie, de la danse.
Première chorégraphie
Passionné des arts, attiré par le côté charnel de la sculpture, par la mise en lumière des corps, Julien Derouault et Pietra se penchent sur le destin exceptionnel de Camille Claudel et d’Auguste Rodin. Véritables perfectionnistes, ils se documentent, s’intéressent à ces deux êtres qui se sont aimés, déchirés, qui n’ont vécu que pour l’art, amenant l’une jusqu’à la folie. De ses recherches est née Sakountala, en 2000. « Grâce à elle, se souvient-il, j’ai eu accès à l’envers du décor. J’ai dû m’intéresser à tout ce qui tourne autour de la danse, de la création d’un ballet. J’ai travaillé avec les costumiers, les éclairagistes. J’étais autant en contact avec les solistes qu’avec le corps de ballet. C’est comme gérer une petite entreprise. Cette première expérience fut très bénéfique. C’était un nouveau départ, une opportunité d’aller encore plus loin dans ma passion, d’avoir la possibilité de produire de A à Z un spectacle. » Cinq autres ballets ont suivi. Puis le poids de l’administration a eu raison de leur engagement envers le Ballet national de danse de Marseille, car leur créativité en pâtissait. « Ce carcan finit malheureusement par desservir l’artiste et son imaginaire, souligne le chorégraphe. C’est presque pire qu’à l’époque de la censure. Quand Molière devait présenter ses pièces devant le roi, il devait biaiser. Son écriture est maligne, baroque. Il devait aborder les sujets qu’ils voulaient traiter sans déplaire, mais en affirmant son point de vue. Artistiquement, c’est de la contrainte, mais avec laquelle on peut jouer. On le voit tous les jours dans les pays où les artistes ne sont pas libres de tout dire. Il est plus difficile de lutter contre un système qui enferme la créativité dans un ensemble de structures aux mécanismes lents, stricts et inflexibles. » En 2004, ils quittent ensemble la structure pour voler de leurs propres ailes.
Naissance D’une compagnie
Depuis, les deux danseurs chorégraphes ne se sont pas quittés. Ils travaillent ensemble. Ils construisent un bel édifice dédié à la danse, au corps. Ils s’inspirent de tout ce qui les entoure. Entiers, tenaces, passionnés, ils étudient différents courants, du hip-hop en passant par les danses indiennes, le flamenco, ou le contemporain. Ils s’enrichissent des traditions d’autrui, de leurs us et coutumes. Persuadés que le danseur est un élève permanent, ils ne cessent d’approfondir leurs connaissances, d’évoluer, de s’exprimer autrement, de créer. La danse est un patrimoine immatériel qu’il faut préserver, sauvegarder. C’est un art qu’il faut montrer.
C’est pour ces nombreuses raisons, qu’ils ont créé ensemble le théâtre du corps. « En France, explique Julien Derouault, c’est très compliqué d’expliquer que la danse est un art fragile. Il faut en prendre soin. On m’a donné les codes avec soin, avec passion. C’est à mon tour de transmettre cette flamme, cette passion. C’était important pour cela de mettre en place notre propre compagnie, de pouvoir avoir un lieu où l’on pourrait s’exprimer plus librement, malgré les contraintes et les sacrifices que cela impliquait. »
Le rapport au corps
Les muscles ciselés, le corps sec, Julien Derouault n’hésite pas à se montrer sur scène juste vêtu d’un slip blanc. C’est notamment le cas dans Etre ou paraître, qu’il a joué l’été dernier à Avignon pendant le festival. Comme la plupart des danseurs, il semble n’avoir aucune pudeur et être très à l‘aise avec son corps et la nudité. « C’est une fausse image de notre métier, raconte-t-il. Contrairement à ce que la plupart des gens pensent, nous ne sommes ni exhibitionnistes, ni narcissiques, bien au contraire. Mais si nous passons des heures, tous les jours, à sculpter notre corps, c’est pour le montrer, car c’est notre instrument. C’est comme si un peintre voilait ses œuvres. Ce n’est pas gratuit : la nudité, dans un spectacle, doit avoir un sens. Elle doit donner de la poésie à l’ensemble. Le plus souvent, d’ailleurs, les danseurs sont très complexés par le corps, pourtant, nous passons des heures à nous regarder dans des glaces. Pour nous, le miroir est notre œil. il nous permet de mieux nous positionner, d’adapter nos mouvements, nos gestes, de corriger nos postures pour rendre l’ensemble harmonieux, esthétique, pour que tout cela exprime un sentiment, une émotion. Notre corps c’est notre maison. »De ce regard aigu sur notre monde de l’image, sur l’univers virtuel qui envahit nos rapports aux autres, sur la disparition du corps en tant que tel, masqué derrière des tatouages, ou modifié par la chirurgie esthétique, est né la compagnie de Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault.
Une collaboration fructueuse
En 12 ans d’existence, le couple crée plus d’une quinzaine de spectacles, tous inspiré de leur lecture, de leur approche de la vie, des liens qui unissent les êtres vivants. « Autoditacte, raconte le danseur, j’ai dû construire ma propre culture. J’ai le besoin d’étudier les sujets sur lesquels on travaille. Je dois m’immerger totalement dans l’univers qui nous sert de cadre. Quand on a monté Sade ou le théâtre des fous, j’ai lu ses livres, je me suis intéressé à tout ce qui touchait le XVIIIe siècle. Je devais me faire ma propre image de cet homme, aller voir derrière le masque de la perversité qui lui colle à la peau. Il a eu une vie incroyable. C’est passionnant. » Féru d’histoire, de littérature et de poésie, le jeune chorégraphe puise dans tout ce qui le touche pour construire des mouvements, des enchaînements, des gestes. Lecteur d’Henri Michaud, il se laisse porter par les mots, les sensations. Esprit libre, il déteste se sentir enfermé, bridé. Il a le besoin vital de laisser son imaginaire s’envoler. Fan de Mirò, il peut rester des heures devant une œuvre de l’artiste et laisser ses émotions guider son regard. Il aime découvrir d’autres mondes, d’autres univers dans lesquels il peut rêver autrement. « De l’aventure olympique, en 2008, où nous avons présenté, en première mondiale, le spectacle Marco Polo, explique-t-il, j’ai gardé certains préceptes de la philosophie chinoise. Pour eux, tout ce qui est figé est mort, la force, c’est la souplesse. C’est tellement vrai. Avec Pietra, nous nous nourrissons de tout ce qui nous a permis d’approcher au plus près du sujet que nous voulions traiter. Ainsi, en nous intéressant au théâtre de l’absurde du Ionesco, nous avons appris à intégrer la 3D, les images dans nos créations. » De ce travail de longue haleine, les deux danseurs ont donné naissance à de grandes oeuvres populaires qui associent différents arts du spectacle, différents styles de danse. Empruntant au cirque, à l’audiovisuel, ils ont su dépasser le cadre pur du ballet et de la chorégraphie, et livrer un peu d’eux- mêmes, de leur authenticité.
Un artiste à l’écoute
C’est la grande force de ce couple sur scène et à la ville. Ils ont su transmettre leur art au public, l’inviter dans leur monde. Généreux, bienveillants, Julien Derouault et sa célèbre compagne savent se donner sans compter, sans fard. « Je suis très curieux des réactions des gens qui viennent me voir danser, explique le chorégraphe. J’écoute la salle, je ressens ses vibrations et je m’adapte pour donner le meilleur, pour être en harmonie avec eux. Dans le « seul en scène », Etre ou paraître, qui mélange théâtralité et danse, c’était important, vital, d’entrer en communion avec ceux qui sont là pour voir la performance, pour être touché par le spectacle. La danse étant perçue comme élitiste par beaucoup, il est très important d’aller vers le public. C’est d’ailleurs très étonnant que le premier des langages, celui du corps, soit devenu si complexe à ressentir par le plus grand nombre. Notre métier est de le rendre lisible, humain, compréhensible, sans renoncer à la qualité, à la beauté. Il faut en finir avec cette fausse idée que ce qui est populaire est simpliste, moins pointu. » Dans cette démarche d’accessibilité au plus grand nombre, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault se sentent influencés par le travail extraordinaire de Maurice Béjart, par les écrits d’André Malraux, par l’action de Jean Vilar. Pour eux, il n’existe pas plusieurs publics, mais un seul. Les grandes œuvres doivent pouvoir être entendues de tous, quel que soit l’âge, le milieu. Tout le monde peut être ému par un geste, un texte, une voix. « Dans notre travail, raconte le danseur, nous essayons toujours d’avoir une poésie du mouvement. On travaille sur le sens du geste. Rien n’est gratuit, tout s’inscrit dans une histoire, un voyage dans lequel nous tentons d’embarquer le public. »
Authentique, vrai, Julien Derouault a cette force rare des gens qui se remettent toujours en question. Jamais affirmatif, il apprend de ses erreurs, des autres, du monde qui l’entoure. Actuellement, il présente Je t’ai rencontré par hasard, le dernier spectacle qu’il a créé avec sa compagne. Du 8 février au 21 février, ils posent leur valise aux Folies Bergère, à Paris. N’hésitez pas à vous laisser emporter dans leur univers onirique et à découvrir l’étonnant et charismatique homme à coté de Pietra.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Pascal Elliott