Après Avignon, Julie Duclos présente à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, son adaptation très cinématographique des amours interdites entre Pelléas et Mélisande. Profondément touchée par l’œuvre poétique du prix Nobel Belge, la jeune metteuse en scène continue son exploration de l’intime. Retour sur une aventure humaine.
Comment le théâtre est-il entré dans votre vie ?
Julie Duclos : Il est présent depuis ma naissance, ma mère étant metteuse en scène et mon père comédien. J’ai grandi avec sans me poser véritablement de questions. Petite, j’accompagnais mes parents et passais beaucoup de temps sur les plateaux. C’était un lieu familier. Très vite, étant enfant unique, j’étais amenée à jouer seule, à m’inventer des histoires, à m’ennuyer parfois. C’est des souvenirs précieux et importants pour moi. Très jeune, je fabriquais de petits objets théâtraux. J’inventais des projets en tout genre pour me mettre en mouvement. Un peu plus tard, j’ai eu une caméra et je m’amusais dans ma chambre à faire des montages. Cela a été très fondateur dans ma manière d’appréhender plus tard la mise en scène. Très liée finalement à une forme de solitude, cela m’apportait une respiration dans le quotidien.
Comment choisissez-vous les textes que vous mettez en scène ?
Julie Duclos : C’est vraiment une histoire de coup de cœur, d’instinct. J’ai vraiment besoin d’accoucher d’un projet, d’arriver à son terme pour voir où il m’emmène. C’est un travail de très longue haleine. Je n’ai pas de programme stricto sensu. Je me laisse porter par mon intuition. Avec le recul, je me rends bien compte qu’il y a des thèmes qui reviennent, des matières que je retrouve d’une pièce à l’autre. On finit toujours par creuser un peu le même terreauet donc à faire des choses qui ont des points communs, des ressemblances. Des objets filmiques de mon enfance, j’ai retenu cette idée de collage, de montage que j’applique au théâtre. C’est ce qui m’a amené à mon premier spectacle en 2009, Fragments d’un discours amoureux, d’après Roland Barthes. Puis, la recherche très poussée que j’ai eu avec les acteurs a créé une synergie, une volonté de continuer l’aventure ensemble. Ce qui nous a naturellement emmené vers l’écriture de plateau, l’envie aussi d’inventer ma propre dramaturgie. Ensuite, il y a aussi la rencontre avec un texte, MayDay, une autrice, Dorothée Zumstein, et sa manière de construire une histoire par bribes. Quelque part, cette pièce correspondait à mes attentes, à un moment de ma vie, de ma carrière. Son écriture explosée et poétique m’a obligée à modifier mon travail, à aller vers un langage scénique plus onirique, encore plus visuel. C’est toutes ces petites choses mises bout à bout qui m’ont conduite à Pelléas et Mélisande. Tout est lié par un fil invisible et conducteur. Il y a un vrai cheminement dans mes choix, dans mes mises en scène. Mon désir passe dans toutes ces œuvres et se transforme à leur contact. Monter une pièce est un ensemble qui fait appel à tellement de choses et qui engendre tellement de variables. C’est autant une aventure artistique qu’humaine. C’est un tout indissociable pour moi.
Comment entre-t-on dans l’écriture poétique de Maeterlinck ?
Julie Duclos : C’est un défi même si cela m’a aussi semblé simple dans un premier temps. Je connaissais l’œuvre pour l’avoir étudiée lors de ma formation en tant que comédienne. Toutefois, pour se lancer dans un tel projet, il faut ressentir une sorte d’évidence avec un auteur, une écriture. Il faut si sentir un peu chez soi. En même temps, et heureusement, on ne maîtrise pas tout. Il y a pas mal d’inconnus. C’est ce qui est passionnant tant au niveau de la technique, que de la mise en scène. C’est un travail permanent et continu. Même en tournée, avec les acteurs, on reprécise et recisèle en permanence les endroits de jeu. C’est d’autant plus nécessaire avecPelléaset Mélisande, que l’écriture fonctionne sur un paradoxe, d’un côté la simplicité du verbe, de l’autre une dimension poétique, métaphorique, voire spirituelle. Pour l’aborder, nous avons commencé par un travail d’improvisation, comme pour mes autres projets. L’objectif était que chacun s’approche au plus près de son personnage et ancre chaque situation dansla vie. C’est à mon sens le meilleur moyen pour donner corps au texte, le faire vivre dans le monde d’aujourd’hui. C’était important qu’on puisse avoir un regard contemporain sur l’œuvre de Maeterlinck.
Cette pièce de théâtre symboliste est souvent associée à la musique de Debussy. C’est un choix de votre part de vous en être détachée, ?
Julie Duclos: C’est surtout lié dans notre inconscient collectif. La pièce a été créée bien avant, mais a fini par se faire supplanter par l’opéra créant l’idée reçue que la musique auraitsublimé le texte. Je ne suis absolument pas d’accord avec cela. Les deux œuvres n’ont finalement que peu de chose à voir. C’est très différent de chanter un texte que de le dire. On ne fait pas entendre sa pureté, ses silences de la même manière. Je n’ai pas eu besoin de m’en détacher,pour répondre à votre question, car c’était déjà pour moi une entité à part entière.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Julie Duclos : Pour la plupart, ce sont des personnes que je connaissais mais avec qui je n’avais pas encore travaillé. La seule avec qui j’avais déjà monté des projets, c’est Alix Riemer qui joue Mélisande. Comme pour chaque création, la distribution est une étape que j’aime particulièrement. Elle est souvent prometteuse et ouvre tout un champ de possible. C’est le point de rencontre entre ce que l’on imagine du rôle et ce que l’on perçoit d’un acteur, comment il est dans la vie. Après, je trouve important qu’il situe mon travail, ma manière d’appréhender le théâtre pour qu’il ait envie de tenter l’aventure à mes côtés. Il faut combiner nos désirs. Pour Pelléaset Mélisande, tout s’est fait très naturellement. C’était des rencontres que je qualifierais de poétiques.
Comment pensez-vous l’espace de jeu ?
Julie Duclos : Pour composer cette scénographie qui se déplie à la fois autant en profondeur qu’en hauteur, j’ai beaucoup travaillé en amont avec Hélène Jourdan. Nous avons fait pas mal de maquettes pour confronter mes propres visions de mise en scène à ce qu’il était possible de faire. Il fallait combiner pas mal de chose, du fait qu’il n’y avait pas d’unité de lieu. On passe d’une grotte, à une fontaine, à une forêt notamment. Je tenais à ce qu’on puisse notamment utiliserlehors-champ, qu’on puisse jouer sur le mouvement, la fragmentation qui m’est chère. Il ne fallait pas figer la mise en scène, bien au contraire. Il était important d’ouvrir l’imaginaire.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck
Ateliers Berthier
Odéon Théâtre de l’Europe
1, rue Suares
75017 André Paris
Jusqu’au 21 mars 2020
Durée 1h45
Tournée Du 25 au 29 mars 2020 au Théâtre des Célestins, Lyon et les 2 et 3 avril 2020 au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Mise en scène de Julie Duclos assistée de Calypso Baquey
Avec Vincent Dissez, Philippe Duclos, Stéphanie Marc, Alix Riemer, Matthieu Sampeur, Émilien Tessier et en alternance Clément Baudouin, Sacha Huyghe, Eliott Le Mouël
Scénographie d’Hélène Jourdan
Lumière de Mathilde Chamoux
Vidéo de Quentin Vigier
Son de Quentin Dumay
Costumes de Caroline Tavernier
Crédit portrait de © Delphine Hecquet et crédit photos de © Christophe Raynaud de Lage