Maître des marionnettes, plasticien hors pair, Johanny Bert présente au Mouffetard, HEN, un spectacle extravagant et « queer », un très gros de coup de cœur avignonnais. Artiste complet et prolixe, rêveur invétéré, il entrouvre le temps d’un café la porte de son imaginaire, de son univers. Une plongée fascinante au cœur du processus créatif.
Enfant du terroir, né en Auvergne à quelques encablures de Clermont-Ferrand, Johanny Bert était loin d’être prédestiné à monter sur les planches. Enfant vif, comme beaucoup de gamins, il a besoin de s’exprimer, de se dépenser. « Très tôt, raconte-t-il, j’ai formulé le désir de faire du théâtre. Mes parents, des artisans, connaissaient mal le milieu de la culture. Mais conscients de mon attrait pour les disciplines artistiques, ils m’ont inscrit à des cours d’art dramatique et ont commencé à m’amener voir les spectacles qui se produisaient alentour. » C’est au Festival d’Ambert, à une heure de la maison familiale, que le jeune adolescent découvre l’univers des marionnettes. « A l’époque, se souvient-il, c’était un grand moment pour les arts de la marionnette. Beaucoup de compagnies, dont certaines venant de l’étranger, venaient s’y produire. Pour moi, cela a agi comme un déclic. J’avais trouvé le moyen de m’exprimer sans me mettre dans la lumière. J’ai compris que c’était une forme de pudeur, un trait héréditaire. »
Les première années
Autodidacte, le jeune homme bricole des spectacles, met en scène de petites formes. il se découvre une passion pour ces êtres inanimés à qui il insuffle la vie grâce à quelques mouvements. Extension de lui-même, il essaye de récréer un univers parallèle lui permettant d’appréhender de comprendre le monde qui l’entoure. Après avoir suivi les ateliers de la Comédie de Saint-Etienne et une formation d’un an avec Alain Recoing, un marionnettiste ayant été longtemps le complice d’Antoine Vitez du temps de Chaillot, Johanny Bert crée sa propre compagnie à vingt ans. « C’était un bonheur, souligne-t-il, d’être initié par cet artiste, qui avait déjà la vision d’un art contemporain où l’acteur dialogue avec son pantin. A ses côtés, j’ai beaucoup appris. Puis j’ai continué en montant mes propres spectacles. Pour moi, chaque création est une aventure, une expérience, un laboratoire. Rien n’est figé tout évolue. »
Au cours de sa déjà signifiante carrière, pas moins d’une vingtaine de productions à son actif, le metteur en scène continue à découvrir de nouvelles pistes, à tester de nouveaux chemins créatifs. « Je me laisse guider par le sujet, explique-t-il. Je pars de ce que je veux raconter et comment je veux le faire. Je vois si cela m’amène vers un objet ou pas. La marionnette n’est pas première, c’est un instrument, un média qui permet de relater une histoire. La base de mes spectacles c’est la dramaturgie, le rapport au public et les interprètes. »
Hen, être vibrant de plastique et de bois
Comédien, Johanny Bert s’est rapidement tourné vers la mise en scène. « Au tout début de la compagnie, se remémore-t-il, j’étais à la fois au plateau et en coulisses. Puis, le désir d’accompagner l’équipe, de porter le projet est devenu plus fort. J’ai joué pour d’autres, mais plus dans mes créations. Avec HEN, je reviens sur les planches. Je ne l’avais pas fait depuis un peu plus de six ans. C’est un heureux concours de circonstance. » Alternant depuis plusieurs années, période de création et de recherche, grandes et petites formes, tournant ses créations à l’international, l’artiste n’avait pas prévu que sa dernière créature devienne un spectacle. « Depuis longtemps, avoue-t-il, j’avais l’envie, à travers une figure marionnétique de traiter en creux le genre, la difficulté à assumer une différence, la douleur de son identité. Mais je ne voulais pas aller vers l’introspection. Ce n’était pas ma volonté. J’avais envie de tester, de voir si j’étais capable d’interpréter un tel personnage, de lui prêter ma voix. Mon équipe m’a donné confiance. On a foncé, aidé par la scène nationale de Dunkerque, dont je suis artiste compagnon. » Dans la foulée des répétitions, le spectacle est créé au dernier Festival d’Avignon le Off, au Théâtre du Train bleu.
Vrai challenge, défi hallucinant, HEN voit le jour, et c’est carton plein. « C’était d’autant plus troublant, souligne le jeune homme, qu’il y a un peu de ce que je suis dans ce personnage extravagant. Si ma vie personnelle ne regarde pas les gens, je mets dans mes œuvres, et particulièrement dans celle-là, mes interrogations sur le monde, mes ressentis, un peu de ce qui fait mon identité. » Passionné d’art lyrique et d’opéra, Johanny Bert fait de la musique un élément essentiel de ses créations. Dans ce dernier opus, le garçon timide qu’il était à pousser la gageure à chanter sur scène. « C’était une vraie épreuve, raconte-t-il. Heureusement que c’est à travers la marionnette. Des amis chanteurs m’avaient prévenu. La voix c’est quelque chose de très personnel. On a littéralement l’impression de se mettre à nu. Il transparait de l’interprète une émotion, une sensation immédiate. Tu ne peux pas tricher elle envoie une vibration de la scène vers le public. C’est très intense. »
Artiste engagé
Homme de conviction, artiste engagé, Johanny Bert travaille par intuitions et necessité. Pour la plupart de ses spectacles, il passe commande à des auteurs. De Guillaume Poix à Marion Aubert, en passant par Magali Mougel ou à Arnaud Catherine, il cherche dans leur écrit une matière qui le fait vibrer, lui donne envie d’insuffler la vie à des mots, de raconter des histoires qui oblige à réfléchir, à s’interroger sur tel ou tel sujet sociétal. Pour HEN, il a fait appel à plusieurs plumes (Prunella rivière, Marie Nimier, Gwendoline Soublin, Alexis Morel, Laurent Madiot) et continue à enrichir le spectacle de nouvelles chansons. Chez lui, rien n’est figé, tout est évolutif. « J’ai toujours pensé mon théâtre, explique-t-il, avec la notion de répertoire en point de mire, avec la possibilité d’enrichir toujours le travail fourni. »
Après le succès de Dévaste-moi, spectacle
en chansigne, élaboré avec Emmanuelle Laborit,
ou la comédienne muette raconte son histoire en chansons à travers son corps féminin,
alors que Le petit bain, né de sa collaboration avec Yan Raballand, continue de réjouir petits et grands, et que HEN commence un tour de chant, qui s’annonce
plutôt important, Johanny Bert travaille
déjà à sa prochaine création une épopée à voir en famille. « Je l’ai pensé, raconte-t-il, comme une journée entière que parents et enfants
partageraient au théâtre. L’idée est de revenir à la notion même qu’aller au théâtre
doit être un évènement autant pour les spectateurs que pour les équipes des lieux.
C’est un peu un projet monstre, mais tellement palpitant. » Cet ovni théâtral,
où un enfant de huit ans questionnera le monde qui l’entoure afin d’agir pour lutter
contre les cataclysmes écologiques à venir, sera créé en octobre 2020 au Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque.
En attendant, courrez découvrir HEN, actuellement
au Mouffetard.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
HEN de Johanny Bert
Le Mouffetard – théâtre des arts de la Marionnette
73, rue Mouffetard
75005 Paris
Jusqu’au 8 février 2020
Durée 1h10
Mise en scène de Johanny Bert
Avec Johanny Bert, Ana Carla Maza, Anthony Diaz, Cyrille Froger
Fabrication des marionnettes Eduardo Felix
Régie son Simon Muller
Régie lumière deGilles Richard
Crédit photos © Christophe Raynaud de la Lage