L’Ultime pièce écrite à Venise par le dramaturge italien, Une des dernières soirées de Carnaval signe ses adieux à la Sérénissime. Avec grâce et délicatesse, Clément Hervieu-Léger s’empare de cette mise en abyme du théâtre drôle autant que mélancolique et invite à une réjouissante plongée au cœur des rapports humains. Un bijou tragi-comique fascinant !
C’est la fin du carême. Le carnaval bat son plein sur les ponts, les canaux vénitiens. Dans la maison du tisserand Zamaria (admirable Daniel San Pedro), une fête se prépare. Homme d’affaires affable, il a invité ses amis, ses parents, ses collègues à venir boire du vin, à manger des raviolis, à jouer, à danser. A ses côtés, sa fille, la virevoltante Domenica (éblouissante Juliette Léger), attend avec impatience les premiers invités, et tout particulièrement l’attrayant Anzoletto (lumineux Louis Berthélémy), un jeune et prometteur dessinateur dont elle s’est entichée.
La soirée s’annonce sous les meilleurs auspices. Les femmes sont en verve, rivalisent de coquetterie, les hommes taquins, fanfarons. L’ingérable Abla (impayable Aymeline Alix) ne cesse de se plaindre. Lazaro (remarquable Jean-Noël Brouté), son falot de mari se plie en quatre pour l’insatisfaire toujours. L’accorte Marta (rayonnante Clémence Boué), épouse émancipée du séduisant Bastian (épatant Guillaume Ravoire), intrigue, en douce, en entremetteuse zélée. Filleule de Zamaria, l’effarouchée et jalouse Elenetta (désopilante Charlotte Dumartheray) ne cesse de chercher querelle à son mari Agustin (amusant Jeremy Lewin) qui le lui rend bien. Pour assaisonner le tout, le facétieux Momolo (inénarrable Stéphane Facco), un vieux garçon amoureux de la douce Tognina (charmante Adeline Chagneau) mais incapable de se fixer, amuse la galerie de ses gaudrioles, parfois salées. Une seule ombre au tableau vient entacher les réjouissances, le départ annoncé pour Moscou d’Anzoletto, double scénique de l’auteur, avec la cougar française, Mme Gatteau (radieuse Marie Druc). Mais qui sait la nuit de carnaval ne fait que commencer, tout est possible, le pire comme le meilleur.
Croquée avec malice par Goldoni, la petite bourgeoisie vénitienne vibrionne, papillonne. Soucieuse de ses affaires qu’elle gère avec sérieux, elle n’en oublie pas de se laisser vivre, de s’amuser, de s’enivrer. Jamais méchant mais observateur sans concession du monde qui l’entoure, le dramaturge italien égratigne les vieux pères incapables de laisser partir leurs filles vers les rivages chatoyants de l’amour, les marchands rêvant d’amasser toujours plus d’argent, les envieux qui médisent sur leurs concurrents. Cette société, il la connait bien. Il en fait partie. Avant de quitter sa patrie chérie pour les rives de la Seine, ayant perdu le combat du théâtre contre son principal détracteur et rival, le traditionaliste Carlo Gozzi, il lui rend un vibrant hommage teinté de drôlerie et de mélancolie.
S’emparant de cette pièce rare mais jubilatoire du maître vénitien mort bien tristement à Paris en 1793, Clément Hervieu-Léger cisèle avec élégance et justesse une mise en scène qui fait entendre magnifiquement ce texte vif, drôle. S’appuyant sur sa troupe virtuose, plus libre qu’au Français, il donne le meilleur de lui-même et signe l’une de ses meilleures créations.
Avec fougue et pétulance, les amours se font, plus rarement se défont, les amitiés se renforcent. La joie de vivre est communicative, le franc parler est de mise. Ça joue, ça danse, ça se chicane, ça se moque gentiment, ça frissonne et s’amuse avec une liberté folle. En filigrane de cette réjouissante soirée où Venise et ses habitants sont célébrés, se dessine une veine plus mélancolique, celle d’un futur apatride, qui, miné par les quolibets mettant en doute son talent, n’a d’autre choix que d’abandonner ses amours naissantes pour aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte.
Joliment accompagnés par un duo de musiciens (Clémence Prioux et M’hamed El Menjra) et un chanteur lyrique (Erwin Aros), les douze comédiens, parfaitement dirigés par le jeune sociétaire de la Comédie Française, s’en donnent à cœur joie, enchantent. Il n’en faut pas beaucoup pour que la salle, sous le charme, se lève, monte sur scène et danse quadrille et menuet dans un bal final de toute beauté.
Une des dernières soirées de Carnaval n’a rien perdu de sa force. Étonnamment moderne, la pièce est un ravissement qui séduit par sa fraicheur, sa fausse légèreté. Sans l’ombre d’un doute, l’un des coups de cœur de cette saison foisonnante.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Une des dernières soirées de Carnaval de Carlo Goldoni
Création au Théâtre de Carouge – Genève
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis Boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Jusqu’au 29 novembre 2019
Du mardi au samedi à 20h30, les samedis en matinée à 15h30 et le dimanche à 16h
Durée 2h15
Tournée
Du 4 au 14 décembre 2019 aux Célestins, Théâtre de Lyon
Les 17 et 18 décembre 2019 à la Scène Nationale d’Albi
Les 16 et 17 janvier 2020 au Théâtre de Bayonne – Scène Nationale du Sud-Aquitain
Du 21 au 24 janvier 2020 au Théâtre de Caen
Les 28 et 29 janvier 2020 à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle
Le 1er février 2020 au Théâtre de l’Olivier, Istres
Le 4 février 2020 aux Théâtres en Dracénie, Draguignan
Les 7 et 8 février 2020 au Théâtre Sortie Ouest, Béziers
Le 11 février 2020 à l’Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne
Le 13 février 2020 au Tangram, scène nationale d’Évreux
Les 18 et 19 février 2020 au Théâtre Saint Louis, Pau
25 février 2020 à l’Avant Seine, Théâtre de Colombes
Les 27 et 28 février 2020 au Théâtre de Suresnes Jean Vilar
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger assisté d’Elsa Hamnane
Texte français de Myriam Tanant et Jean-Claude Penchenat (Actes Sud-Papiers)
Avec Aymeline Alix, Erwin Aros, Louis Berthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Adeline Chagneau, Marie Druc, Charlotte Dumartheray, M’hamed El Menjra, Stéphane Facco, Juliette Léger, Jeremy Lewin, Clémence Prioux, Guillaume Ravoire & Daniel San Pedro
Décor d’Aurélie Maestre
Costumes de Caroline de Vivaise
Lumières de Bertrand Couderc
Chorégraphies de Bruno Bouché
Maquillages et coiffures de David Carvalho Nunes
Réalisation sonore de Jean-Luc Ristord
Conseil musical d’Erwin Aros
Crédit photos © Brigitte Enguerand