Alexis Michalik, le magicien des mots, le réinventeur de destin, force à nouveau sa très bonne étoile pour notre plus grand plaisir. En nous invitant dans les coulisses de la création du chef d’œuvre de Rostand, Cyrano de Bergerac, le jeune dramaturge signe une magnifique et époustouflante déclaration d’amour au théâtre. Mêlant habilement réalité et fiction, mélangeant malicieusement les histoires, l’enfant terrible des tréteaux nous entraîne dans un tourbillon de vie passionnée et passionnelle où les scènes se succèdent à un rythme effréné et les décors se modulent à une cadence trépidante, coupant le souffle d’un parterre conquis, émerveillé. Il signe assurément le meilleur spectacle de la rentrée. Un divertissement haut en couleurs de toute beauté.
En cette fin d’année 1897, la vie du très névrosé Edmond Rostand (étonnant Guillaume Sentou) s’enferre dans la désillusion et l’échec. Depuis plus deux ans, il enchaîne au théâtre les fours retentissants et n’arrive plus à écrire la moindre ligne. L’hiver s’annonce morose. C’est compter sans sa bonne fée, la grande et emphatique tragédienne Sarah Bernhardt (cabotine Valérie Vogt). Afin de relancer son jeune protégé, elle force le destin en organisant un rendez-vous entre le dramaturge et Constant Coquelin (tonitruant Pierre Forest), l’un des comédiens les plus en vue de l’époque.
Edmond, totalement paniqué, et aux abois, n’a d’autre choix que de convaincre le grand homme de jouer sa prochaine pièce…qu’il n’a pas encore écrite. Pris au piège de son mensonge, le jeune Rostand n’a que quelques jours pour remettre les premiers actes de sa future tragicomédie. Loin de lui faciliter la tâche, les éléments font se déchaîner contre lui et finalement lui offrir les bases de son plus grand chef d’œuvre.
Une belle inspiration
En nous plongeant au cœur de la fièvre créatrice de la pièce française la plus jouée au monde, Alexis Michalik, nous embarque une nouvelle fois dans un voyage passionnant et fantasmagorique au cœur des mots et du spectacle vivant. Surfant toujours à la frontière entre la réalité et la fiction, il signe une fresque délirante, débridée et décalée qui n’est pas sans rappeler le film très réussi de John Madden, Shakespeare in love. Ainsi par un curieux hasard, le trop sage Edmond va vivre les mêmes tourments amoureux que son héros en jouant les truchements lyriques entre Léo (admirable Kevin Garnichat), son meilleur ami, dragueur invétéré un peu niaiseux et une bien jolie habilleuse, amoureuse des belles lettres (émouvante Stéphanie Caillol).
A la fin de l’envoi, la troupe nous touche
Dans un décor disparate et hétéroclite changeant à la vitesse de l’éclair, le jeune prodige du théâtre fait des miracles et crée l’événement en fondant astucieusement sa prose à celle de Rostand. Menant tambour battant ses douze épatants comédiens, se glissant à tour de rôle dans la peau de personnes connues (Feydeau, Tchekhov ou Sarah Bernhardt, etc.) ou d’inconnus (régisseurs, producteurs corses, actrice capricieuse, etc.), il emporte artistes et spectateurs dans un tourbillon fantastique et effervescent, dans un rêve de théâtre hallucinant, puissant, dans un spectacle émouvant et plein d’un panache héroïque.
Si on loue en premier lieu la plume ciselée d’Alexis Michalik, et la précision d’horloger de sa mise en scène particulièrement enlevée, on ne peut passer à côté du jeu fascinant et décalé intentionnellement des comédiens. Guillaume Sentou est un Edmond névrotique saisissant. Kevin Garnichat, un bellâtre flamboyant. Stéphanie Caillol, une charmante précieuse. Christine Bonnard, une merveilleuse emmerdeuse. Pierre Bénézit et Christian Mulot, deux mafieux corses désopilants. Nicolas Lumbreras, un Courteline élancé et sarcastique. Anna Mihalcea, une admirable femme soupçonneuse et aimante.
Mêlant dérision et jeu au cordeau, toute la troupe est à l’unisson et offre un spectacle réjouissant où l’on rit aux larmes. Le souffle coupé, hilare, des étoiles plein les yeux, le show terminé, le public se lève comme un seul homme et applaudit à tout rompre ce bijou théâtral intense et bouleversant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Edmond d’Alexis Michalik
Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Reprise du 11 octobre au 22 décembre 2024.
Durée 1h50
Mise en scène d’Alexis Michalik assisté d’Aïda Asgharzadeh
Avec Pierre Bénézit, Christine Bonnard, Stéphanie Caillol, Pierre Forest, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Jean-Michel Martial, Anna Mihalcea, Christian Mulot, Guillaume Sentou, Régis Vallée et Valérie Vogt
Scénographie de Juliette Azzopardi
Lumières d’Arnaud Jung
Costumes de Marion Rebmann
Musique Romain Trouillet
Combats chorégraphiés par François Rostain
Crédit photos ©Alejandro Guerrero