Arrivée en novembre dernier à la tête de l’énorme bâtisse de marbre, située au cœur de Nice sur la promenade des Arts, la rayonnante Muriel Mayette-Holtz ne ménage pas ses efforts pour réveiller ce lieu, endormi depuis la mi-mars. Tout feu, tout flamme, elle est déjà dans l’après COVID. Une saison en trois temps, un festival, l’ancienne administratrice du Français redonne vie, avec sa fougue et sa bonne humeur légendaire, au théâtre.
Comment s’est passé la fermeture du TNN ?
Muriel Mayette-Holtz : Ce n’est jamais simple de fermer un tel lieu, qui est par définition un endroit où les gens se retrouvent, partagent et échangent, en ce temps de pandémie, sans savoir quand on le rouvre. Cela implique, et c’est la première chose importante, une rupture avec le public. C’est d’autant plus délicat, que je venais d’arriver. Je commençais à peine à prendre mes marques, cela a donc interrompu l’élan que j’avais avec l’équipe. Et, j’avoue, que c’est particulièrement violent, surtout quand tu vois que l’intérêt des spectateurs semblait être au rendez-vous. Très vite, étant plutôt une combattante, j’ai essayé de trouver des solutions pour mettre à profit ce temps de pause et ne pas perdre le lien avec ceux qui nous soutiennent et avec les populations qui vivent alentour. J’ai donc mis en place pas mal de petites formes sur les réseaux sociaux, tels des lectures, des documents audio et vidéos mémoire du lieu, et de spectacles.
Juste avant que les théâtres ferment et que le confinement commence, nous allions avec Rachid Benzine, dans les classes de différents établissements niçois dans le cadre d’un projet pédagogique d’écriture autour de Lettres à Nour. Les élèves étaient conviés à s’exprimer avec leurs mots sur la question du terrorisme et devaient rédiger un texte à ceux qui partent en Syrie rejoindre l’État islamique. L’objectif final était de faire une lecture théâtralisée des plus beaux textes. Malheureusement nous n’avons pas pu le faire. Nous avons donc décidé d’en lire certains en ligne. Afin d’offrir un final digne de ce nom à cette bouleversante initiative. En parallèle, n’arrivant pas à me résoudre voir cette grande bâtisse à l’abandon, j’ai continué à aller tous les jours au théâtre et j’ai décidé de transformer le foyer en atelier de couture pour fabriquer des masques. Cela a duré trois semaines. C’était chouette. Maintenant, je suis dans l’après. Je me concentre sur comment nous allons pouvoir re-accueillir du public.
Quelles sont vos pistes de réflexion ?
Muriel Mayette-Holtz : Ce qui est compliqué à l’heure actuelle, quand tu gères une grande salle comme le TNN – 900 places – ou comme mon voisin direct, le Anthéa – Antipolis théâtre d’Antibes – 1200 places – , c’est de ne pas connaître les conditions qui vont nous permettre d’accueillir du public. Il est très difficile de programmer à vue, d’autant que nous devons faire attention à ne pas trop dépenser. Plus la jauge est importante, plus on risque d’aller dans le mur financièrement. Comme nous sommes subventionnés, nous nous devons d’être raisonnables et responsables, on est donc obligés de faire des choix artistiques en prenant en compte le coût des spectacles, mais aussi comment habiter les grands plateaux sans que cela fasse vide. Ce sont des équations très complexes. Pour l’instant, il est très difficile d’imaginer une pièce avec une distribution pléthorique. Du coup, j’ai imaginé de rouvrir le lieu en trois temps, qui seront comme les fameux « trois coups » qui annoncent le début du spectacle. Pour commencer, nous allons faire deux mois gratuitement dehors, puis deux mois consacrés aux créations avec un prix unique et sans placement et nous verrons bien quelle sera la jauge autorisée, et enfin je commencerai ma programmation en décembre. Ensuite, nous verrons bien, ce qu’il sera possible de faire ou pas.
Ce qui est très paradoxal dans cette période, c’est que l’on n’a jamais eu autant besoin de culture que pendant ce confinement, mais que c’est la grande oubliée des politiques. Peu de gens se sont élevés pour la défendre. Alors que dans la solitude que les gens ont rencontrée, en restant enfermés chez eux, ils ont aspiré à se nourrir émotionnellement, culturellement et intellectuellement. C’était vital. Il est donc plus que nécessaire de reprendre. Toutefois, nous devons faire très attention aux conditions dans lesquelles nous le faisons.
Comment va s’organiser votre première étape de remise en route du théâtre ?
Muriel Mayette-Holtz : Afin que les choses se fassent le plus naturellement possible et éviter les risques de contamination, j’ai pris la décision de mettre en place de petites formes en extérieur. L’important est de se reconnecter au public et pouvoir faire retravailler les artistes. J’ai d’ailleurs dans cette optique développé un projet préexistant et engagé six comédiens à l’année, dont deux sortent de l’ERACM et deux autres de l’École d’Asnières, et un auteur-metteur en scène, associé Édouard Signolet.
Dans un premier temps, dans un ancien kiosque que j’ai pu investir à deux pas du TNN, tous les soirs à 19 heures du 1er juillet au 22 août, avec un rendez-vous « spectacle vivant », que j’ai baptisé les Contes d’apéro. Les gens pourront s’arrêter pour voir des marionnettes, de la danse, écouter des lectures, des saynètes et même de la musique. La plupart des spectacles proposés seront faits par des compagnies et acteurs du territoire. Ensuite, je vais mettre en scène Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, qui sera donné en extérieur au château sur les hauteurs de Nice, les derniers jours d’août. Le lieu, surplombant la mer est tellement magique, que j’ai décidé d’y créer un festival. Cette pièce signe la clôture des rendez-vous de l’étéet l’édition de lancement.
On a d’ailleurs commencé à répéter, cela fait un bien fou. Et comme nous n’en sommes encore qu’à la lecture, j’ai fait mettre plusieurs tables qui nous éloignent les uns des autres de plusieurs mètres. Ce qui me paraissait très bizarre au début. Finalement c’est pas mal, car cela nous oblige à être plus musclés vocalement pour être audibles, à porter de manière plus soutenue le texte. C’est un exercice certes complexe mais assez intéressant. C’est la seule manière que l’on ait trouvée pour ne pas porter de masques lors des répétitions. Sinon, c’est insupportable quand tu parles, tu as l’impression de t’étouffer au bout d’un moment. Ils seront neuf au plateau et afin de respecter les distanciations sociales, on travaille beaucoup la frustration amoureuse. Le fait d’être en plein air est également un avantage.
Quelle sera la deuxième étape ?
Muriel Mayette-Holtz : Toute fin septembre, début octobre, je vais ouvrir les préambules d’automne. J’y programme cinq spectacles qui sont pour la plupart des créations maison. Le tarif sera unique et attractif. Le but est de faire revenir en douceur le public dans le théâtre. Nous lançons les réservations à partir du 24 juin. Ce qui va nous permettre de prendre le pouls des spectateurs, savoir s’ils ont envie de revenir dans les salles. Le spectacle qui ouvrira est Les Parents terribles de Cocteau, que met en scène Christophe Perton, où je partagerai l’affiche avec Maria de Medeiros et Charles Berling. Ensuite, Edouard Signolet monte deux spectacles. Et pour clôturer ce deuxième chapitre, on accueille La Double Inconstance de Marivaux que Galin Stoev a créé la saison dernière au ThéâtredelaCité, à Toulouse. Ensuite, j’espère que tout sera plus ou moins rentré dans l’ordre et que l’on pourra reprendre une activité normale.
Pour ce qui est de votre programmation ?
Muriel Mayette-Holtz : J’ouvre les festivités avec un spectacle de la Comédie-Française, Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, adapté et mis en scène par Christian Hecq et Valérie Lesort. C’est important pour moi de commencer avec cette grande troupe, car c’est mon école ! Cela fait partie de mon ADN en tant qu’artiste. J’annoncerai le reste de la saison mi-juin et nous ouvrirons la billetterie en septembre. En attendant, j’ai décidé de faire un pré-programme, sous la forme d’une nouvelle policière écrite par Claude Sérillon, dans laquelle se cachent tous les titres des spectacles qui seront présentés jusqu’en mai prochain. C’est essentiel pour moi de mettre en avant les textes.
Comment le confinement a-t-il agi sur vous en tant que femme et comédienne ?
Muriel Mayette-Holtz : je pense qu’il faut que l’on soit beaucoup plus accessible. La crise, j’ai l’impression qu’elle nous a montré à quel point la culture, et le théâtre en particulier, était nécessaire, vital. Ce qui nous manquait, c’est l’autre. Et le théâtre, on voit à travers l’autre. C’est un rendez-vous humain. Il est donc important qu’on retrouve ces moments, que l’on puisse à nouveau partager. Il faut que l’on puisse proposer l’échange entre artistes, créateurs et public. C’est la meilleure manière de magnifier le temps présent de la rencontre. On doit être plus spontané dans notre travail. Je crois que tout cela m’a donné encore plus envie de faire mon métier. En commençant dehors, en permettant aux passants, aux curieux, de s’arrêter, de découvrir, c’est une manière généreuse d’aller vers l’autre. On laisse la liberté à chacun de se laisser porter, emporter.
Quels sont tes autres projets ?
Muriel Mayette-Holtz : A Noël, je mettrai en scène un Feydeau, que nous allons commencer à répéter en juin. J’aime bien monter mes spectacles comme le disait Antoine Vitez, à combustion lente. Je travaille beaucoup à la table. C’est pour cela qu’on va bientôt s’y mettre, pour une durée de quinze jours. On laissera reposer, puis on reprendra après avoir digéré. A la rentrée, je vais aussi mettre en place une école de théâtre pour les jeunes adolescents et un partenariat avec l’Éducation Nationale. Je me suis inspirée du travail que nous avons fait, avec Rachid Benzine, sur Lettres à Nour : je vais donc proposer à des jeunes, qui seront conviés toute l’année au théâtre, d’écrire des textes sous la houlette d’Eric Fottorino. Cette fois le thème sera Lettres à mon père. Nous mettrons en scène les meilleurs textes à la fin de l’année.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Sophie Boulet, © Gaëlle Simon, © Jean-Claude Fraicher, © Marie Liebig et © Brigitte Enguerand