A la tête de la Scène nationale de Chalon-sur-Saône depuis quelques mois, Nicolas Royer retrousse ses manches depuis le début du confinement, avec pour seul objectif de rester ouvert malgré la crise sanitaire. Ingénieux, inventif, il rêve le théâtre, comme le cœur battant de la cité, un lieu de vie où tous se retrouvent pour partager, échanger, rire et s’émouvoir. Un beau projet à découvrir lundi 29 juin !
Comment s’est passé le confinement ?
Nicolas Royer : Clairement, cela n’a pas été simple, mais comme pour l’ensemble des structures culturelles. A Chalon, nous avons fait le pari depuis le début de cette crise de rester un théâtre ouvert. Nous avons tenu bon, soutenu dans cette démarche par le territoire et ses habitants. Tout a commencé par la mise en place d’un atelier masques. Cette première initiative a fait boule de neige L déclenchant un certain nombre d’autres effets, d’autres actions. La vie n’a jamais quitté les lieux. Du coup, dès l’annonce du déconfinement, le 11 mai, nous sommes repartis sur les chapeaux de roues, accueillant des artistes en résidence, trois équipes, pour être précis, ont investi les lieux, créant un cabaret itinérant avec Léna Braban que l’on joue aux pieds des balcons dans les EPHAD et construisant les décors de Fracasse de Jean-Christophe Hembert, dont nous sommes avec les Célestins à Lyon, coproducteurs. En parallèle, nous préparons, ardemment la soirée de lancement de la saison prochaine, qui aura lieu lundi 29 juin à 20h.
Face à la mise en coma artificiel de tout un secteur, comment réagissez-vous ?
Nicolas Royer : Je suis plutôt stupéfait par ce que j’ai vu, par les prises de positions de chacun. Derrière de beaux discours, d’initiatives intéressantes, je crois que, globalement, le monde de la culture a raté son positionnement Covid. En tout cas, n’a pas su saisir correctement l’opportunité que la crise nous a offerte d’être imaginatif, de réinventer d’autres formes et d’être pourquoi pas un peu rebelle par rapport à la place que nous réservait finalement notre ministère de tutelle. Je suis intimement convaincu qu’on ne peut pas tout attendre d’en haut. Il faut que nous soyons les propres moteurs de nos destinées. Nous avons la chance d’avoir un système assez protecteur – intermittence, subvention, chômage partiel, etc. – , par rapport à d’autres pays voisins, il est donc important de pas être tout le temps dans l’expectative. Beaucoup de tentatives de se réinventer sont passées par le numérique. Pourquoi pas. Mais c’est un métier, et ce n’est pas le nôtre. Nous ne devons pas oublier que nous sommes acteurs du spectacle vivant. A terme, je me pose la question : est-ce que la pléthorique offre de captations qui a été faite durant le confinement n’est pas contreproductive ? J’ai un peu l’impression que cela met en pâture notre art, qui est celui de la rencontre.
Par ailleurs, j’ai l’impression que cela nous repositionne à ce même endroit de l’entre-soi. Je ne suis pas sûr que cela nous ai fait du bien. Je crois plutôt que c’était l’occasion pour nous d’aller vers d’autres publics, de les intéresser à nos pratiques. On le fera peut-être à l’avenir, je le souhaite en tout cas. Puis, surtout, nous n’avons pas su nous fédérer derrière une parole commune. C’est à la fois une force, qui montre la vitalité de notre secteur, mais aussi une faiblesse. En province, on s’est senti un peu loin des préoccupations parisiennes. Gérer de la même manière la crise, alors que les situations, rien qu’en terme de densité, sont totalement différentes, est un vrai problème.
Quand on voit comment le secteur de la santé, fragilisé par des années de réformes préférant à la qualité des soins la rentabilité, a réagi, passant outre de nombreuses règles, pour être présent, on ne peut être qu’admiratif. Et malheureusement faire le constat, que nous n’avons pas su avec l’Éducation nationale, nous trouvez, nous rencontrer, nous réinventer autour d’un projet commun, qui semblait pourtant évident. Les théâtres étaient vides et à l’heure de la distanciation sociale, ils étaient des lieux parfaits pour accueillir des élèves. Cela ne s’est pas fait. Nous avons trop attendu de nos tutelles. C’est dommage. Après en tant que jeune directeur, j’ai peut-être aussi cette volonté, cette force de pouvoir et vouloir tout réinventer. Je ne suis pas encore usé. Tout me semble possible.
Comment va se passer l’été à l’Espace des arts ?
Nicolas Royer : Du 1er juillet au 15 aout, l’Espace des arts va être ouvert au public dans le cadre d’atelier, des ateliers pour tous les élèves en décrochage, à raison de cinq par groupe. Cette crise a aussi révélé d’énormes failles. Le gouvernement a fait énormément pour aider les personnes âgées et c’est une bonne chose, mais a abandonné sa jeunesse. Non que l’éducation n’ait pas fait son job, bien au contraire, mais fort est de constater que nos adolescents sont très vite désœuvrés, dès qu’il nous pas de cadre. On va donc essayer de recréer un lien avec eux autour des cultures urbaines, mettre en place des espaces d’expressions en lien avec l’espace de rues, qui regroupe au sein du théâtre, un certain nombre d’artistes allant de slammeurs à des hip-hopeurs, en passant par des rappeurs mais aussi par la jeune danseuse circassienne Justine Berthillot. A la fin de l’été, suite à tout cela, devraient voir le jour des créations et de productions artistiques.
Qu’en est-il de la saison à venir ?
Nicolas Royer : Il était fondamental pour nous, après avoir recréé le lien avec les artistes et les équipes, d’aller vers le public, de stimuler son envie de venir nous voir. Pour cela, il était nécessaire de lui donner une perspective. C’est pour cela que nous annonçons la saison lundi prochain, lors d’une soirée de réouverture, un peu spéciale. En raison des conditions sanitaires, nous ne pouvions pas faire une grand-messe. Nous avons donc opté par une présentation au cours d’une balade par petits groupes dans nos différents espaces d’accueil, dans nos jardins et notre patio. Cela permettra de voir si les gens sont au rendez-vous et s’ils ont la volonté de se réabonner ou s’ils sont encore réticents à revenir au théâtre. On a déjà pu constater, en remettant en route la billetterie, la sidération des gens à entrer dans un lieu qui semble être estampillé Covid – premier endroit à fermer, dernier à rouvrir. Pour rassurer, nous devons donc être inventif, travailler avec les artistes, avec nos tutelles, faire en sorte que le désir de théâtre soit plus important que la phobie de la maladie.
Quant à la programmation, nous avons essayé de décaler à la saison prochaine la plupart des spectacles que nous avons dû annuler au printemps. Nous avons pu en recaser à peu près 60 %. Pour les compagnies que nous n’avons pas pu reprendre, nous avons fait en sorte de les indemniser au plus juste, de manière citoyenne et solidaire.
Quelle sont les grandes créations que l’Espace des Arts va accueillir l’an prochain ?
Nicolas Royer : En octobre nous accueillons la troupe de Jean-Christophe Hembert, qui, après l’annulation des nocturnes du Château de Grignan, créera chez nous Fracasse, son adaptation du roman de Théophile Gauthier. Suite aux discussions que j’ai eues durant le confinement avec Matthias Langhoff, j’ai décidé de produire son prochain spectacle, Bonnet blanc ou blanc bonnet d’après l’œuvre de son complice Manfred Karge. Par ailleurs, en janvier, on organise, sur une dizaine de jours, un festival autour de la jeunesse et de l’adolescence. C’était important pour moi, notamment suite à mes différents constats post confinement. Pour cette aventure, j’ai confié les rênes à Olivier Letellier. Il y aura une partie de son répertoire, un certain nombre d’autres pièces dont le dernier Pierre Guillois, Mars 2037, mais l’idée est surtout de permettre aux spectateurs en herbe, à leur famille de passer une journée entière au théâtre, du petit déj à la nuitée. Il y aura plein d’attractions que ce soit sur les mots, sur le texte, sur la musique actuelle, sur la magie. L’objectif est vraiment de venir comme dans un parc culturel. C’est un vrai engagement, car je crois que si notre jeunesse ne s’empare pas des théâtres comme d’un lieu attractif, nous aurons des lendemains difficiles.
Du coup, il semble que le confinement ait modifié votre regard sur le théâtre ?
Nicolas Royer : Complétement, d’autant que cette réflexion s’est nourrie de discussions avec des artistes. Nous envisageons même de passer un certain nombre de commandes à des auteurs, des sortes de Lehrstück, rappelant les petites pièces didactiques et participatives que Brecht avait inventées. Pour cela, nous nous sommes liés avec le Théâtre liberté de Charles Berling, mais aussi avec Iréne Bonnaud, spécialiste du dramaturge allemand en France.
Pouvez-vous nous parler du cabaret sous les balcons ?
Nicolas Royer : Quand on a pu enfin reprendre une activité, il fallait réfléchir à la création d’une petite forme, facilement transportable et itinérante. Très vite, Léna Bréban, qui voyait ses dates de tournée fondre comme neige au soleil, m’a contacté avec l’envie viscérale de continuer à ? jouer et avec l’idée de créer un spectacle spécialement pour les balcons. De mon côté, j’avais en tête la problématique terrible des EPHAD. On a donc mixé nos réflexions, avec comme objectif que si l’on mettait un protocole en place pour pouvoir présenter une œuvre sous les balcons des maisons de retraite, on pourrait le transposer n’importe où. C’est ce que nous avons fait, aidés en cela par le personnel soignant, touché et ému par l’idée, et avec l’assentiment enthousiaste de Sébastien Martin, président du Grand Chalon. Pendant le confinement, le Cabaret sous les balcons a été répété en visioconférence, avant de pouvoir être créé huit jours durant au théâtre et être convié dans la cour des EPHAD. Avec Léna (Bréban), nous avons fait le choix du cabaret musical, car le dernier endroit restant intact chez les personnes âgées et atteintes de démences est celui de la musique. Et quel bonheur d’offrir à ces résidents, confinés et en manque de visites, un moment de fête, hors du temps, un retour à la vie.
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Benjamin Chelly, © DR, © Christophe Raynaud de Lage