Au Rond-Point, Catherine Schaub adapte avec finesse Pompier(s) de Jean-Benoît Patricot, drame contemporain inspiré d’un fait réel impliquant le viol par des pompiers d’une jeune femme limitée intellectuellement. Questionnant notre rapport au handicap, à la dureté froide d’un système judiciaire sans âme, le duo de comédiens, Géraldine Martineau et d’Antoine Cholet, prend aux tripes et secoue nos consciences.
Le décor est austère. On est au tribunal. Dans une salle froide, grise, deux êtres attendent d’être appelé pour déposer. L’ambiance est électrique. D’un côté la plaignante, une jeune femme, mignonnette, de l’autre, l’accusé, un homme bien fait. Elle a un corps d’adulte mais l’esprit naïf d’une enfant. Il a la stature du pompier, mais en a-t-il l’étoffe, l’éthique ? Il ne devrait pas être en contact, se parler. Pourtant, ils vont un peu plus d’une heure durant échanger, elle pour essayer de comprendre, se libérer des doutes qui la hantent, lui pour tenter de sauver sa tête, changer la réalité glauque en conte de fées.
Tout a commencé au bal du 14 juillet. Elle est éblouie par l’uniforme. Il est attiré par ses formes accortes. Les signes ne trompent pas. Elle est sous le charme du musculeux jeune homme, lui, honoré par tant d’attention à son égard, plus pratique, plus cynique, la voit comme une partenaire de sexe. Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Après tout, elle ne dit pas non, elle en redemande, revient régulièrement à la caserne qu’il soit là ou pas d’ailleurs. Elle n’est pas farouche. La banquette arrière du camion de pompier l’excite. Par tendresse, par inclinaison passionnelle, elle accepte tout de ce charmant militaire, même l’indicible, offrir son corps à d’autres.
La vérité est tout autre. Derrière, le silence de la jeune femme se cache une réalité bien plus sordide. Limitée intellectuellement, elle ne sait pas qu’elle peut dire non, que tout cela n’est pas bien, que ce n’est pas de l’amour. Le combat est déloyal, cruel. Elle refuse de céder, il use de tous atouts, du charme à la menace, pour éviter que son vrai visage soit découvert.
Sans pathos, Jean-Benoît Patricot s’empare de ce fait divers des plus vils et en détricote habilement les tenants et aboutissants. Ne prenant pas vraiment parti, il dresse le portrait en creux de deux êtres qui n’ont rien à voir avec l’image qu’ils renvoient aux autres. Elle semble normale, elle ne l’est pas. Il semble gentil, aimable, contrit, l’est-il vraiment ?
Soulignant la netteté du propos, son âpreté, Catherine Schaub signe un huis-clos féroce, qui frappe juste, précis. Faisant écho au machisme prégnant, virulent, violent de nos sociétés occidentales, Pompier(s) dénonce un bien triste état de fait, la difficulté pour les victimes de viol de faire reconnaître le crime.
Insidieusement, un certain malaise attrape le spectateur, réveille son humanité, sa compassion. Non, rien n’est normal dans cette histoire somme toute banale. L’interprétation au cordeau des comédiens, leur présence scénique sont la pierre angulaire de la pièce et font qu’on se prend au jeu. Géraldine Martineau, irradiante, Antoine Cholet, ténébreux, correspondent parfaitement à l’archétype de leur personnage. La sauce prend, remue les consciences, réveille nos indignations. Le mal est là, ancré dans nos quotidiens Ne pas oublier, se révolter, refuser est un acte citoyen que le texte de Jean-Benoît Patricot, monté intelligemment par Catherine Schaub rappelle avec force. Bravo !
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Pompier(s) de Jean-Benoît Patricot
Théâtre du Rond-Point – salle Jean Tardieu
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Jusqu’au 13 octobre 2019
Du mardi au Dimanche à 18h30
Durée 1h20
Mise en scène de Catherine Schaub assistée d’Agnès Harel
Avec Antoine Cholet, Géraldine Martineau
Scénographie de Florent Guyot
Lumières de Thierry Morin
Costumes de Julia Allègre
Crédit photos © Giovanni Cittadini Cesi