Le charme ténébreux, le regard pétillant, Daniel San Pedro fait partie de ces artistes lumineux et passionnés qui mettent tout de suite à l’aise d’un mot, d’un geste. Confortablement assis sur une banquette cosy de l’un de ces bars branchés parisiens au style résolument industriel, de sa voix légèrement fêlée, chaude, le sémillant hidalgo revient sur ses premiers pas de comédien, de metteur en scène, et retrace une carrière faite de belles rencontres et d’opportunités enrichissantes.
Né à Mérignac au cœur de l’Aquitaine, Daniel San Pedro est un espagnol de pure souche. Riche de sa culture française, il n’en oublie pas ses origines. Elles font parties intégrantes de sa personnalité. Citadin, il aime retourner sur les terres arides de ses ancêtres, des paysans castillans. « Si j’ai vu le jour en France, raconte-t-il, je reste très attaché à mes racines ibériques. Mes parents, tous les deux issus du monde rural, sont arrivés en France à la fin des années 1950. Ils ont quitté leur pays, espérant trouver ailleurs une vie différente, meilleure. J’ai toujours eu le sentiment qu’ils avaient pris cette décision par instinct de survie. Je ne sais pas si c’était très conscient, mais ils voulaient offrir un autre avenir à leurs enfants. » Dès sa naissance, le futur comédien a toujours été élevé dans une double culture. « C’était très important pour mes parents, explique-t-il. Ils avaient compris l’importance de s’intégrer à ce nouveau pays qui les accueillait. Sans renier nos origines, nos coutumes, nous avons appris en parallèle les deux langues, les deux cultures. Il faut s’imaginer, qu’à l’époque, l’Espagne n’était pas à la mode comme de nos jours. Le pays meurtri par des années de franquisme était à l’agonie. On était un peu les « ploucs » de l’Europe. Le petit racisme ordinaire c’était notre quotidien, quand j’étais enfant. Heureusement, avec cette double éducation, on pouvait passer soit pour des Français, soit pour des Espagnols. » Encore aujourd’hui, c’est pour le comédien bilingue, un réel avantage. Il peut ainsi jouer dans les deux langues. Il n’est pas rare d’ailleurs de le voir dans de nombreux classiques de la langue française, tels des pièces de Marivaux ou, plus récemment, dans Monsieur de Pourceaugnac de Molière, mis en scène par Clément Hervieu-Léger.
Le théâtre en point de mire
C’est tout jeune que la fibre théâtrale s’est réveillée chez Daniel San Pedro. Très vite, il s’est senti à part. Il ne trouvait pas sa place dans un système éducatif trop cadré, trop carré pour ce jeune garçon bouillonnant d’imagination. « Je me sentais en décalage, se souvient-il. Cela me rendait malheureux. Assez rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait que je trouve une porte de sortie, une autre voie. Dès la maternelle, la seule chose qui m’intéressait vraiment, c’est tout ce qui avait attrait au monde du spectacle. Quand on préparait celui qui clôturait l’année scolaire, c’étaient de vraies bouffées d’oxygène pour l’enfant que j’étais. » A cette époque, le comédien en herbe n’a pas encore conscience que cela peut être un métier. Il faudra attendre ses 13 ans pour qu’il assiste à sa première représentation d’une pièce de théâtre. Ce sera un vrai choc, une vraie révélation. Après le spectacle, l’adolescent s’attarde, traîne en coulisses et fait la connaissance avec les comédiens. A leur contact, il découvre les rouages de ce métier. « Vu mon enthousiasme, explique-t-il, ils m’ont encouragé à emprunter cette voie et m’ont conseillé de prendre des cours de théâtre. Ils ont été très à l’écoute, m’ont rassuré et m’ont donné la force d’en parler avec mes parents. J’appréhendais un peu ce moment. En effet, ils venaient d’un milieu très rural de la Castille et n’étaient pas du tout au fait de ce métier. Pourtant, ils ont eu confiance en moi et m’ont toujours soutenu. Je n’ai appris que récemment qu’il y avait une tradition de théâtre amateur dans ma famille. En effet, mes quatre grands-parents et mes arrières grands-parents venaient de villages où il y avait une tradition de théâtre populaire, de tréteaux. Ils étaient des membres actifs de ces manifestations et jouaient régulièrement des saynètes devant les autres villageois. Bien que le gène saltimbanque ait sauté une génération, j’ai l’impression étrange d’avoir bénéficié de leur bonne étoile et de leur goût du spectacle. » Morts trop tôt, Daniel San Pedro n’a jamais eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec eux.
Les débuts sur les planches
Le parcours scolaire terminé, le jeune artiste est face à un dilemme. Si le théâtre est sa passion, il hésite entre une inscription au Conservatoire en France ou en Espagne. Sur un coup de tête, il s’installe à Madrid. « Quand on a une double culture, raconte le comédien amusé, parfois, on ne sait plus vraiment qui on est et où on habite. Je vis en France, je suis bien intégré, mais malgré tout, il me manque un petite quelque chose d’ibérique. Ce n’est pas une histoire de nationalité car, lorsque je suis en Espagne, Paris me manque. Il faut dire que j’y vis depuis presque trente ans. Donc, quand il a fallu choisir un lieu pour étudier, j’ai longuement hésité avant de porter mon dévolu sur la cité madrilène. Je n’y suis pas resté très longtemps, je n’ai même pas fini le cursus, un premier contrat à Paris ayant décidé autrement de mon avenir. » A 21 ans, Daniel San Pedro débarque dans la ville lumière dont il rêve depuis qu’il est tout petit, avec des étoiles plein les yeux.
Suite à des auditions, il est retenu pour jouer un des rôles principaux dans Il campielo de Goldoni, mis en scène par Laurent Serrano. Puis, très vite, tout s’enchaîne. Ses valises à peine posées, on lui propose d’intégrer la troupe du théâtre de la Porte Saint-Martin pour jouer dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière dans le cadre des matinées classiques. « J’ai pu rapidement m’installer à Paris et prendre un appartement, se souvient-il. J’avais à peine commencé les représentations à la Porte Saint-Martin que j’ai été repéré par Jean-Luc Revol. A cette époque, il montait La Princesse d’Elide de Molière. Mon style lui a plu, il m’a engagé aussitôt. Courant trois lièvres à la fois, j’ai lâché Madrid sans trop d’hésitation. »
Une étoile montante du Théâtre Français
Les années 1990 pointent leur nez et la carrière de Daniel San Pedro s’envole. Il n’a pas 25 ans. « Je n’ai pas arrêté de jouer ou de tourner depuis, s’amuse-t-il, humble et étonné. J’ai eu beaucoup de chance. Je dois beaucoup aux différentes rencontres qui ont jalonné mon parcours professionnel. Jean-Luc fait partie de ces personnes auxquelles je dois beaucoup. Nous avons travaillé ensemble sur au moins 5 créations dont L’heureux stratagème de Marivaux et Les Trente Millions de Gladiator d’Eugène Labiche. Mais, notre plus belle collaboration, c’est sans conteste La Tempête de William Shakespeare. » Créée au théâtre de la Criée à Marseille, la pièce a eu un immense succès critique et public. Avec Michel Duchaussoy dans le rôle de Prospero, elle est restée à l’affiche un mois, à guichet fermé. Malheureusement, la reprise parisienne, l’année d’après, a été marqué par une triste tragédie et la belle dynamique n’a jamais été retrouvée. « Michel (Duchaussoy) avait d’autres engagements, se souvient l’artiste alors qu’une ombre sombre passe dans son regard, il a fallu trouver un autre Prospero. Très vite, Jean-Luc sollicite Jean Marais. Il a 84 ans, il se sait en mauvaise santé. Qu’à cela ne tienne, il accepte le rôle. Les premières répétitions sont fabuleuses. Les cheveux blancs, le visage marqué, il est magnifique. Comédien perfectionniste, il arrive, le texte su impeccablement. C’est un véritable enchantement de travailler avec lui. Mais voilà, la maladie le rattrape et s’aggrave rapidement. » Tout est resté en suspens. Il était impensable de le remplacer. On est en 1997. La mort l’emporte un an après. Le spectacle s’arrête net et ne sera jamais joué à Paris.
Des pas remarqués au cinéma
Riche d’expériences, Daniel San Pedro s’intéresse à toute forme d’art. En 1996, il fait la rencontre de Paul Carpita, un réalisateur marseillais quasiment tombé dans l’oubli à l’époque. « Cet homme a eu une histoire ahurissante, raconte avec malice le comédien. Très engagé dans les années d’après-guerre, il était l’auteur d’un film incroyable sur les grèves des dockers au moment de la guerre d’Algérie : Le rendez-vous des quais. Malheureusement pour lui, l’œuvre n’a pas plu à la censure et a été saisie C’est à briser sa prometteuse carrière. Par un curieux hasard, dans les années 1990, Jack Lang déterre le long-métrage qui est aussitôt encensé par la critique. Cette reconnaissance tardive a permis à Paul Carpita, 74 ans, de monter un second film, 40 ans plus tard : Les sables mouvants. J’ai eu la chance, alors que je n’avais même pas tourné un court-métrage, qu’il me choisisse pour le rôle principal, un jeune hidalgo qui immigre dans le Sud de la France pour échapper au régime franquiste. » Ce fut, pour l’habitué des tréteaux, non seulement sa première véritable expérience au cinéma, mais aussi une aventure humaine hors du commun, magnifique. Ce passage éclair sur le grand écran n’a pas eu un impact particulier sur le parcours de Daniel San Pedro. « Les projets théâtraux s’étant toujours enchaînés, explique-t-il, je n’ai jamais vraiment eu le temps de tenter une carrière cinématographique. Il m’arrive de tourner de temps à autres pour la télévision ou pour le cinéma, en moyenne une fois par an. Je choisis avec parcimonie. J’ai besoin de m’imprégner de l’histoire, de créer un lien avec les autres comédiens et le réalisateur ou la réalisatrice. J’évite le plus souvent les séries, car c’est un mode de fonctionnement qui ne me convient pas, car, pour des raisons de budget, notamment, on ne prend pas le temps et cela me frustre. »
Un « seul-en-scène » bouleversant
En 2007, c’est une autre rencontre qui va donner un coup de fouet à la carrière de l’artiste espagnol. Alors qu’il se connaissent de vue depuis assez longtemps (l’un étant ouvreur au théâtre de la Criée à Marseille, quand le second était sur scène), les deux artistes font enfin véritablement connaissance. A l’époque, étoile montante de la mise en scène, Ladislas Chollat propose à Daniel San Pedro, dont il admire le travail, de participer à une commande qui vient de lui être faite : monter un « seul-en-scène ». Très vite, entre eux, le courant passe, chacun proposant des textes à l’autre. Assez rapidement, ils se mettent d’accord sur le bouleversant récit d’Israël Horovitz, relatif aux attentats de septembre 2001, Trois semaines après le paradis. « L’ouvrage a pour moi une résonance particulière, livre le comédien. Il me touche de près. En 2001, j’étais à New York. J’ai vu les tours tomber. J’ai vécu les jours qui ont suivi, le cataclysme. Cela m’a profondément marqué, comme tous ceux qui étaient sur place. Si, sur le moment, je n’ai pas mesuré l’impact que cela avait, allait avoir sur moi, rapidement, j’ai compris que le traumatisme ne s’effacerait pas. J’ai alors commencé à rassembler des textes sur le sujet. La plupart étaient journalistiques, jusqu’au jour où j’ai eu entre les mains le texte d’Horovitz, qui n’était d’ailleurs pas une pièce, à l’origine. C’était la compilation des mails qu’il avait envoyés à ses proches sur les conseils de son psy pour exorciser la peur d’avoir cru perdre un de ses fils dans l’une des Twin Towers. Je l’ai proposé à Ladislas. Il a été convaincu et on a monté la pièce. » C’est une création mondiale qui a marqué les esprits et qui a remporté un énorme succès. Si, pour lancer une collecte de fonds pour les victimes du 11 septembre, Horowitz avait lu quelques extraits de cette œuvre très particulière, jamais le texte n’avait été donné en son intégralité. Pour Daniel San Pedro, l’expérience a été éprouvante, mais tellement belle. « Ladislas a fait un très beau travail d’adaptation, se souvient l’acteur passionné. C’était un spectacle très fort, à la fois pour le public et pour moi. Un « seul-en-scène », c’est quelque chose d’inoubliable, d’intense. Cela ne ressemble à rien d’autre. C’est certainement l’une des choses les plus dures à faire pour un comédien. Cela marque à jamais un parcours, une vie. » Fort de sa réussite, le spectacle s’est joué de nombreuses fois. Dix ans après le 11 septembre, les deux artistes ont eu l’heureuse surprise de voir Israël Horovitz leur proposer de mettre en scène la suite de ses écrits, Après le Paradis, qu’il a rédigé spécialement pour eux, tellement touché par l’intensité fournie et le travail accompli. « On retrouve le même personnage, raconte le comédien. Dix ans se sont écoulés, il fait le point sur sa vie. Le texte est très émouvant. C’est l’un des nombreux talents d’Israël : raconter son histoire et faire en sorte qu’elle devienne universelle, qu’elle touche tout le monde. Autant, Trois semaines après le Paradis n’évoquait que le 11 septembre et ses conséquences, le deuxième récit est plus intime. Il parle de l’homme, de son regard sur le monde. Flattés par la confiance d’ Horowitz, on a monté la pièce et on jouait les deux à la suite. » Ces deux spectacles ayant beaucoup apporté aux deux artistes, ils sont actuellement en pourparlers pour les reprendre dans un avenir proche.
Création de la compagnie des Petits Champs
C’est une autre rencontre qui va, une nouvelle fois, être à l’origine d’un grand pas en avant pour la carrière de Daniel San Pedro. En 1999, il joue au Théâtre du Rond-point dans la reprise d’un des plus gros succès de Marcel Maréchal, Les trois mousquetaires. Dans cette épopée théâtrale de plus de trois heures, faite de combats à l’épée et de courses poursuites, il interprète D’Artagnan. Dans la salle, un jeune homme observe le comédien. C’est Clément Hervieu-Léger. Confrères de longue date, ils se suivent mutuellement et s’apprécient, mais n’ont pas encore eu l’occasion de se parler. C’est chose faite en ce soir de première. Le courant passe et les deux artistes deviennent des amis. « Le véritable déclic aura lieu un peu plus tard, se rappelle le comédien. C’est après que Clément soit venu voir la pièce d’Horowitz, que nos liens se sont resserrés. Nous sommes devenus proches et nous avons commencé à converser à propos de nos métiers, de nos envies, de nos origines paysannes qu’elles aient été pauvres pour moi et plus aisées pour lui. Très vite, on s’est rendu compte que le monde rural avait une importance toute particulière pour nous. Nous avions le même goût viscéral pour la terre. De discussions en discussions, le désir de travailler ensemble s’est fait plus présent. C’est après une visite en Normandie, dans le berceau familial de Clément, que nous avons décidé de monter la Compagnie des Petit-Champs et de l’installer dans l’étable de son grand-père. » C’est un soir en dans une petite ville de Picardie que tout s’est accéléré. Alors que Daniel San Pedro jouait les deux pièces d’Horowitz, Clément Hervieu-léger s’imaginait déjà monter un Marivaux dans le beau théâtre de la cité. A la sortie de scène, le directeur vient les voir, enchanté, et leur propose de les accueillir pour d’autres pièces à venir. Par bravade, sans vraiment y croire, Daniel lui parle du projet de monter L’épreuve de Marivaux. « Sans hésiter, raconte-t-il, il nous dit oui. Tout est alors allé très vite. Pour l’un comme pour l’autre, c’était le bon moment. Nous n’avions plus 20 ans, nous connaissions le métier et nous avions beaucoup travaillé pour les autres. Il était donc temps de tenter nos propres expériences, d’autant plus que nous avions cette envie, chevillée au corps, de réunir autour de nous des gens dont nous aimions le travail, que ce soit en tant que comédien ou que créateur. On a donc rapidement déposé les statuts de la compagnie et on a commencé les travaux pour aménager l’étable et y installer une salle de répétition. » A peine les plâtres secs, les deux artistes se lancent dans leurs projets respectifs. Clément Hervieux Léger monte L’épreuve, alors que Daniel San Pedro, riche de ses racines espagnoles, s’intéresse à la trilogie de Federico Garcia Lorca. Il décide de mettre en scène Yerma. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance d’Audrey Bonnet. Cette nouvelle rencontre va bouleverser notre homme. Pour lui, il y a clairement un avant et un après, tant la comédienne est lumineuse et intense.
Le monde rural comme cheval de bataille
Les deux hommes, très attachés à leurs racines terriennes, mènent, depuis la création de la compagnie, un vrai travail de fond : la représentation du monde rural au théâtre. C’est un domaine, très peu abordé. Ils ont toujours voulu mettre en avant le mystère et la poésie de ce milieu qui leur est si cher, sans tomber dans la caricature. « On est assez content de tout ce que l’on a fait en 6 ans, raconte Daniel San Pedro avec fierté. Avec Clément, nous avons réussi à produire une création par an et à réunir autour de nous une belle équipe artistique. S’il y a une certaine fidélité, comme avec Guillaume Rivoire qui est à l’affiche de Monsieur de Pouceaugnac et du Voyage en Uruguay, nous gardons toujours une certaine idée d’exigence dans nos choix artistiques. C’est pour cette raison qu’il n’y a aucun permanent dans la compagnie, en dehors de l’administrateur. » Les deux artistes veulent pouvoir choisir le comédien ou la comédienne qui sera le ou la plus en adéquation avec le rôle. Pour eux, la distribution est une des choses les plus importantes dans le travail car « si tu plantes ou si tu prends quelqu’un par défaut, tu peux mettre en l’air tout le reste. » Bien que l’un soit occupé à la Comédie Française, et l’autre dans de multiples projets dans le théâtre subventionné, ils prennent le temps de s’occuper de leur compagnie et de faire tourner leurs spectacles, que ce soit en France et à l’étranger, que ce soit en ville ou à la campagne.
En résidence à Chateauvallon
Depuis un peu plus de treize ans, Daniel San Pedro travaille, en parallèle à tous ses projets, avec la scène nationale de Chateauvallon, dont les locaux se trouvent à Toulon. Après avoir été artiste associé pendant trois ans, il est resté très fidèle à cette structure qui lui a apporté soutien et nouveaux horizons. « L’équipe est formidable, souligne l’artiste. C’est comme une seconde famille. Elle me suit dans toutes mes créations. Ainsi, Yerma, Les noces de sang et Voyage en Uruguay, ont toutes vu le jour là-bas. Cet appui constant, et son engagement artistique ont été une vraie révélation. Grâce à cette structure, j’ai fait des choses que je n’aurais jamais osé imaginer, et surtout, que je n’aurais jamais envisagé de faire seul. J’ai joué aux pieds de barres d’immeubles, dans des appartements de cités, ou même en prison. J’ai travaillé sur le langage avec des mères qui parlaient mal le français. J’ai monté des spectacles avec des gitans. Humainement parlant, tout cela est très important pour moi. Quitter les dorures des théâtres pour la réalité du quotidien, cela m’a donné une force supplémentaire dans mon travail, dans ma vocation. Quelque part, je redistribue aux gens un peu de ce que l’on m’a donné. »
Dernières créations
A l’occasion de la reprise, ces jours derniers, des Cahiers de Nijinski au Théâtre national de Danse de Chaillot, Daniel San Pedro se replonge dans cette création incroyable où se mêlent théâtre et ballet. « Avant de devenir comédien, explique-t-il, Clément a failli devenir danseur. Il s’est arrêté à la veille d’entrer à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Autant dire que les derniers mots de Nijinski ont toujours signifié pour lui quelque chose de spécial. Cela faisait des années qu’il rêvait de ce projet, Nous avons eu l’occasion de le monter la saison dernière. » Après un beau succés en 2015, Les Cahiers de Nijinski ont très vite affiché « complet » lors de leur exploitation à Chaillot, le mois dernier pour la reprise.
Un horizon bien rempli
Emporté, enflammé, Daniel San Pedro semble bien incapable de se reposer. Ainsi, Après Le voyage en Uruguay qui commence une belle carrière, il a déjà en tête deux projets dont l’un qui devrait voir très rapidement le jour. Passionné d’histoire et de littérature, il s’intéresse tout particulière à l’histoire de l’Espagne et notamment aux sept siècles de domination arabe. « En étudiant de près cette période foisonnante artistiquement, et pendant laquelle les trois principales religions monothéistes ont vécu en harmonie, raconte-t-il, j’ai découvert un personnage fascinant : Ziryab. Né au neuvième siècle en Irak, il est certainement l’un des plus grands musiciens du monde arabe. Surtout connu des experts, il a atterri à Cordoue après avoir été chassé de son pays par un professeur jaloux de son talent. Très vite repéré par l’Émir omeyade Abd al-Rahman II, qui le prend sous son aile, il révolutionne l’art de vivre. Il crée les premières maisons de beauté, les conservatoires mixtes. Il apporte un raffinement à l’art de la table. Son histoire est tellement captivante, que j’ai décidé de créer une pièce autour de sa vie, en collaboration avec une actrice et un musicien marocains. » En avril prochain, c’est à Casablanca que ce spectacle musical, présenté en arabe, en français et en espagnol, verra le jour. Il devrait très vite être visible dans nos contrées. En parallèle à cette création, Daniel San Pedro sera à l’affiche en septembre 2017, au Théâtre national de Strasbourg où Clément Hervieu-Léger présentera durant 15 jours sa nouvelle création Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce.
Pas mal pris par ses différents engagements, le comédien n’en oublie pas pour autant de clôturer la trilogie de Federico Garcia Lorca. « Je travaille actuellement sur le dernier volet, confesse-t-il. N’ayant pas spécialement envie de monter La Maison de Bernarda Alba, j’ai eu l’idée d’inventer une suite à cette pièce, un futur à ces prisonnières des us et coutumes d’une Andalousie aride et sèche. Je suis en train de travailler sur les destins de ces six femmes livrées à elles-mêmes après la mort de Bernarda Alba, leur geôlière, au moment où la guerre d’Espagne éclate. Ce sera un spectacle musical, mais dont chaque mot sera de Garcia Lorca. Chaque histoire sera écrite à partir d’une compilation de textes du dramaturge espagnol. Alors que le spectacle ne devrait pas voir le jour avant la fin 2018, un compositeur travaille déjà sur les musiques originales. »
Homme de conviction, artiste vibrant et humaniste, Daniel San Pedro n’a pas fini de nous étonner et de nous séduire par son talent pur, touchant, un travail ciselé et précis. Prenez date pour ses prochains spectacles, et laissez-vous emporter.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Cathie Simon-Loudette, © Pringlebtz, © Brigitte Enguérand, © Juliette Parisot & ©François Rousseau