En suspension, « scotché » par les étonnantes performances des six danseurs-acrobates qui envahissent la scène du théâtre de la Ville, le public se laisse embarquer dans la nouvelle ronde de Yoann Bourgeois. En jouant des équilibres, le jeune artiste fascine et envoûte. Celui qui tombe est un « ovni » théâtral d’une beauté rare, fragile, dont la poésie des mouvements coupe le souffle et enivre jusqu’au vertige. Sublime !..
Plongée dans le noir, le silence le plus total s’impose dans la salle du théâtre de la Ville. Un fracas sourd fend l’air. Des craquements se font entendre. C’est un immense radeau en bois clair qui émerge lentement des cintres de la scène. Doucement, il descend, se penche dangereusement, guidé par des filins fous. Dessus, six corps allongés, ballotés au rythme saccadé d’une volonté invisible. Qui sont-ils ? Les derniers rescapés d’une humanité décimée, les ultimes survivants errant sur le radeau de la méduse ?… Peut-être… Sont-ils encore vivants ? On se le demande. Comme de vulgaires sacs de coton, ils subissent sans résistance les balancements incohérents de cette plateforme ivre. Ils glissent, tournent sans volonté, sans force, sans opposition. Cet étrange ballet fascine.
Au son des arias d’une musique classique, ces trois femmes et ces trois hommes s’éveillent. Leur corps se mettent en branle. Ils s’agrippent et s’accrochent. Un seul objectif, rester sur cet îlot de bois, coûte que coûte. Lutter, ne pas tomber. Leur difficile combat, leur étrange calvaire pour garder l’équilibre ne fait que commencer. Le radeau continue sa chute. Les oscillations se font violentes, par à-coups. Le plateau se penche vertigineusement. Nos pauvres hères sont toujours debout. Désespérément, ils refusent l’issue fatale. Ils s’unissent, s’entraîdent. Ils sont solidaires. Par deux, par trois, par six, ils se jouent du funeste destin. Ils font corps. Flirtant avec les équilibres et les chutes, ils dansent, courent, se chamaillent, s’attirent, se lient, mais au bout du compte, ne contrôlent rien.
Dans un bruit, dans un cri, le radeau finit sa chute. Nos six acrobates semblent sauvés.
Leur repos ne sera qu’un court répit. Très vite, le plancher, enfin stable, entame une course folle et se met à tournoyer de plus en plus vite, à voler. Confrontés à la force centrifuge, les corps se plient, s’adaptent et tendent dangereusement à l’horizontalité. Surtout ne pas tomber ! La machine infernale, la fatalité, sont en marche. Rien ne les arrêtera.
Immobile, le public du Théâtre de la Ville est aspiré, embarqué dans cette ronde délirante, insensée et absurde de Yoann Bourgeois.Singulier, totalement iconoclaste et absolument inclassable, le jeune artiste grenoblois signe un spectacle unique en jouant des équilibres avec malice, humour, délice et facétie. Telle une marionnette, sa scène volante, flottante, virevolte au gré de ses humeurs, de ses envies. Il manipule les corps de ces six danseurs-acrobates avec une force intense.
Leur capacité à s’adapter au rude traitement que Yoann Bourgeois leur inflige laisse pantois. On est bluffé par autant de dextérité et de souplesse. Jamais un faux-pas ne vient perturber la mécanique infernale. Marie Fonte, sa complice et sa partenaire dans son premier spectacle L’art de Fugue, virevolte et court avec aisance. Elise Legros est touchante, la frêle Vania Vaneau fascinante, le dégingandé Julien Cramillet amusant, Dimitri Jourde épatant et le charismatique Mathieu Bleton attachant.
Sans voix, bouche bée et parcouru de frissons, le public tremble à l’unisson des artistes. Le vertigineux spectacle de Yoann Bourgeois séduit. Magnifié, l’enchaînement de séquences de toute beauté ensorcelle. C’est prodigieux, fabuleux !…
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Celui qui tombe de Yoann Bourgeois
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75001 Paris
jusqu’au 9 juin 2015 à 20h30
Conception, mise en scène et scénographie: Yoann Bourgeois, assisté de Marie Fonte
Réalisation, Scénographie: Nicholas von der Borch, Nicolas Picot et Pierre Robeli Lumière: Adèle Grépinet
Son: Antoine Garry
Direction technique: Pierre Robelin
Régie générale: David Hanse
Direction de production: Maud Rattaggi
Avec Julien Cramillet, Marie Fonte, Mathieu Bleton, Dimitri Jourde, Elise Legros et Vania Vaneau