Des couleurs vives, des motifs floraux, font de son bureau au premier étage du TnBA un havre de paix propice à toutes les fantaisies. Née non loin de Lyon, la fille de paysans a fait un bien beau chemin égrainant son savoir aux quatre coins du monde avant de prendre la tête de cette institution théâtrale bordelaise. Rencontre avec Catherine Marnas à l’occasion de la recréation de Mary’s à minuit.
Comment le théâtre est-il entré dans votre vie ?
Catherine Marnas : Par un très heureux hasard. Je suis d’origine paysanne, autant dire un milieu tout ce qu’il y a de plus éloigné du monde des saltimbanques. Quand j’étais enfant, nous n’allions jamais au théâtre. Je pense d’ailleurs que c’est de là que vient mon désir de faire partager au plus grand nombre mon expérience, de permettre à tous de découvrir toutes les beautés que renferme le spectacle vivant. Tout a commencé au collège. J’avais 10 ans, les cheveux rasés, un corps très androgyne. Bonne élève, tout particulièrement en français, car j’aimais énormément la professeure qui dispensait ce cours, j’étais d’une famille qui croyait à l’ascenseur social, encore possible à l’époque. Un jour, un groupe d’adultes, venu soi-disant évaluer cette enseignante, sont entrés dans la classe. Ils nous ont observés une heure durant. Je suis passée au tableau présenter une scène des Fourberies de Scapin de Molière. J’ai donné le meilleur de moi-même. Je les ai conquis, ils m’ont choisie. D’inspecteurs, il n’en était rien, c’était en fait un metteur en scène et ses assistants, qui cherchaient désespérément un petit garçon pour interpréter Federico Garcia Lorca enfant dans sa pièce la Savetière prodigieuse, qu’ils étaient en train de monter au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. C’est ainsi que j’ai découvert par le plateau le monde du spectacle vivant. Cela a été un vrai coup de foudre, une vraie révélation. Passionnée de livres, j’ai toujours beaucoup lu. J’ai aussi écrit de petites choses, car j’avais cette envie de raconter des histoires, mais jusqu’à cette montée sur les planches, je n’avais pas imaginé que ce n’était faisable autrement que par des mots. D’un coup, j’ai entraperçu tous les champs des possibles : pouvoir faire la même chose, mais avec des corps, des voix, des mouvements et des rythmes. C’était une aventure multiple qui s’ouvrait à moi.
Pourquoi ce choix de ne se consacrer qu’à la mise en scène ?
Catherine Marnas : J’ai commencé en tant que comédienne, mais il est vrai que j’ai toujours su que ce métier n’était pas fait pour moi. Je voulais mettre en scène, ce qui était important pour moi, c’était la possibilité d’écrire l’histoire entière et pas des bribes. Afin de ne pas décevoir mes parents, j’ai continué la fac. J’ai poursuivi mes études jusqu’à la thèse sous la direction de Michel Corvin. En parallèle, j’étais inscrite au conservatoire de Lyon. Ainsi, j’apprenais mon futur métier par le plateau. J’avais un rêve fou, être l’élève d’Antoine Vitez. J’ai donc axé mon mémoire de fin d’études sur les Tentatives de grammaire des déplacements dans les mises en scène d’Antoine Vitez. Cela a été dur, mais le maître, qualificatif qu’il revendiquait et qui lui allait particulièrement, a fini par être séduit, interpellé par cette démarche analytique qu’il prisait fort. Il m’a pris en stage sur Le Prince travesti de Marivaux qu’il était en train de monter. Puis, il m’a engagée en tant qu’assistante sur ses créations suivantes. Une fois que j’ai estimé que j’avais les bases suffisantes, nécessaires, pour me lancer, j’ai monté mon premier spectacle, c’était une adaptation du conte japonais d’Akutagawa Ryūnosuke, Rashōmon.
Dans vos choix de mise en scène qu’elle est importance du texte ?
Catherine Marnas : Il est primordial. C’est l’essence de mon travail que de lui donner vie. Si j’ai monté quelques classiques comme la Tempête de Shakespeare, il y a longtemps, et Lorenzaccio d’Alfred de Musset, il y a deux ans, j’ai une nette préférence pour les textes contemporains. J’y suis plus sensible. Ma vraie histoire d’amour, je crois que je peux le dire ainsi, c’est avec les écrits de Koltès. J’ai tout lu de lui, je connais la moindre de ses notes. J’ai monté tous ses textes, j’en ai même créé de nouveau en faisant de savants collages. Je n’ai pas eu le choix, il est mort beaucoup trop tôt. Comme pour le théâtre, cela a été un coup de foudre. Je venais de faire la connaissance de Georges Lavaudant. On était en 1986. Après la Maison de la culture de Grenoble, il prenait la tête du TNP à Villeurbanne. Pour sa première création en tant que directeur, il avait besoin d’un coach, d’une direction d’acteurs particulière pour Bulle Ogier. Sur les conseils de Michel Bataillon, qui travaillait dans l’institution, il m’a choisie. De ce travail, est née une belle complicité qui a donné naissance à plus d’une douzaine de spectacles. Si j’étais son assistante souvent, j’ai toujours souhaité avoir le choix et pourvoir monter mes propres créations avec ma compagnie Parnas. Un jour, où j’errais dans les bureaux duTNP, je suis tombée sur une secrétaire qui était en train de taper un texte, celui d’une pièce à venir. Mue par mon esprit de curiosité, j’ai commencé à lire par-dessus son épaule. J’étais subjuguée par les mots avec cette impression étrange que j’aurais pu les écrire si j’avais cette capacité de coucher mes pensées sur du papier. C’était la scène d’avant de mourir de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès. De ce moment singulier, est née mon histoire d’amour avec ce dramaturge.
Vous qui aimez les mots n’avez vous jamais eu la tentation d’écrire vos propres pièces ?
Catherine Marnas : Je ne crois pas avoir ce talent. J’ai travaillé sur des petites formes, mais souvent à partir d’un matériel existant, comme pour sept d’un coup que j’ai monté en novembre ici au TnBA. Il m’est aussi arrivé de devoir réécrire des bouts de spectacles comme ce fut le cas lors de la reprise de mon exégèse sur Faust. Pour cette œuvre qui tournait autour de la bibliothèque, de la tentation du suicide et de l’impuissance du héros face au savoir, nous avions fait un montage de textes mêlant les plumes de Goethe, de Marlowe, de Klinger et de Calaferte. Au moment de la tournée, la veuve de ce dernier nous avait fait savoir par la SACD qu’elle refusait qu’on morcelle l’œuvre de son mari. Il a donc fallu récrire les parties que nous ne pouvions plus utiliser. Dans l’absolu, je préfère travailler sur des textes existants qui me touchent et me ressemblent.
Comment en êtes-vous venue à prendre la tête du TnBA ?
Catherine Marnas : Pendant longtemps, j’ai refusé de diriger une institution. Je pensais que j’avais besoin de distance avec ce milieu, d’être hors du monde, pour l’observer, le regarder, l’analyser. J’étais une nomade, j’avais cette envie d’être libre, de n’avoir aucune attache. Avec le temps, j’ai ressenti le désir de m’impliquer, de faire entendre ma voix. Je ne pouvais pas clamer partout que j’étais en désaccord avec un certain nombre de choses que les institutions proposées, et ne pas à moment m’impliquer. Cela aurait été lâche. Puis j’avais cette volonté de transmettre, certainement une des nombreuses choses qui ont été exacerbées au contact de Vitez. J’ai toujours eu cette passion pour la formation d’acteurs. Tout au long de ma carrière, j’ai enseigné partout où je passais de Paris à Cannes, en passant par Toulouse, la Chine, le Brésil et le Cambodge. Quand il a fallu que je trouve un point de chute, le fait qu’une école fasse partie intégrante du projet fut décisif. Quand j’ai envoyé ma candidature à Bordeaux, cela a été un point essentiel ainsi que le désir d’implanter un rhizome culturel avec plein de racines dans cette région fort peu pourvue en structures culturelles d’importance. La première scène nationale est à Bayonne.
Comment c’est passé le premier mandat, qui vient de se terminer en décembre ?
Catherine Marnas : Ce fut une expérience incroyable. Évidemment, je n’ai pas pu faire tout de ce que j’avais prévu. Il faut dire que j’avais tellement d’envies. Les contraintes budgétaires m’ont obligée à faire des choix. Ce qui était primordial pour moi, c’était de pouvoir toucher des publics différents et de partager autour du théâtre. On a donc mis en place une politique d’externalisation en allant partout que ce soit en prison, dans les écoles ou les EHPAD. J’étais boulimique, car je souhaitais un équilibre entre grandes pièces de référence et créations de compagnies locales. Par exemple, quand j’ai eu la chance de découvrir Ca ira (1) fin de Louis de Pommerat c’était une évidence que je devais le programmer. On n’avait clairement pas les moyens. Ce n’était pas grave. On a cassé la tirelire, j’ai retardé ma création. Et on l’a fait. L’important était de nourrir l’esprit critique et artistique des Girondins. Par ailleurs, j’essaie aussi de mettre en avant les textes d’auteurs contemporains vivants. C’est une des missions d’un CDN comme celui de Bordeaux, à mon sens. Au final, je me suis oubliée. À mon arrivée, j’ai repris Ligne de faille. Et en quatre ans, je n’ai finalement créé que Lorenzaccio. C’est dommage que les élus ne comprennent pas l’importance du théâtre et de l’apport que cela a pour nos sociétés. Faute de moyens, on a dû réduire le nombre de spectacles proposés tout cela en refusant des spectateurs.
Que prévoyez-vous pour cette seconde mandature qui vient de commencer ?
Catherine Marnas : J’ai envie de profiter. Je ne regrette clairement pas tout ce que nous avons fait jusqu’à aujourd’hui pour rendre le théâtre plus accessible à tous, l’ancrer dans la vie de la cité et de la région. Car c’est l’une des missions du CDN d’essayer de toucher d’autres gens, de rassembler au-delà du public habituel. J’ai le souhait de recentrer notre travail autour de la création afin qu’elle donne une vie au lieu. Quand nous avons accueilli le Collectif Os’o, 28 artistes étaient présents en permanence dans le théâtre dont 7 auteurs. D’autant qu’en même temps, Laurent Laffargue répétait son spectacle et Martine Thinières et moi, Mary’s à minuit. Le TnBA était et est une vraie fabrique de théâtre. Si nous avons officialisé Solène Denis comme artiste associée, nous préférons ouvrir nos portes au plus grand nombre. Ainsi, Baptise Amann, Michel Schweitzer, Renaud Cojo savent qu’ils sont toujours les bienvenus dans nos murs, qu’on les soutient. Si financièrement, on ne peut évidemment pas le faire tous les ans, on cherche une autre rythmique.
Après sept d’un coup, vous avez décidé de remonter 17 ans après sa création Mary’s à minuit ?
Catherine Marnas : En fait, tout bêtement c’est le fait qu’il était possible de mettre en place une itinérance avec ce spectacle. Cela a été le déclencheur pour retravailler ce seul-en-scène. Il y a près de vingt ans quand on a créé Mary’s à minuit avec Martine Thinières, je me souvenais combien l’histoire de cette vie ratée provoquée de l’empathie. Les gens se laissaient totalement porter par le délire de cette femme esseulée. Ils étaient émus, tous milieux sociaux confondus. J’ai l’image en tête de vieux paysans à la peau burinée, la larme à l’œil au moment où la lumière se rallume. Le texte, l’interprétation avaient un écho en eux. C’était très impressionnant. Je me suis donc dit que c’était une belle occasion de renouer avec les spectacles que l’on balade partout. Jusqu’à présent, dans ce cadre, nous avions surtout fait des pièces enfants. Il était temps de toucher d’autres générations. Et je pense que le monologue de Valletti s’y prête magnifiquement. Et puis, il y a aussi derrière, cette curiosité de voir ce que cela fait de monter le même texte avec la même interprète des années plus tard. En ça, l’ombre de Vitez me suit toujours. 30 ans durant, il a monté Électre trois fois avec la même comédienne dans le rôle-titre. C’est passionnant, car bien évidemment, la lecture n’est pas la même, le monde a changé. On raconte la même histoire, mais différemment. Au-delà de ce désir de voir comment l’on ré-appréhende le texte, il y a dans cette nouvelle création les contraintes qu’impose sur la création le fait que le spectacle soit itinérant. Pas de bande de son, un décor qui tient dans une camionnette, j’ai été obligé de tenir compte de tout cela, de faire travailler l’imaginaire pour que le voyage dans le monde de Maryse s’opère. Quelque part, c’est un seul-en-scène vintage où la musique est émise par un mange-disque qui modifie les vitesses à son gré, fait pleurer les sonorités, et donne au tout, quelque chose de pathétique qui colle tant au personnage défendu par Martine Thinières. C’est fascinant. On ancre ainsi sa folie douce, noire dans l’humain, dans la vie. C’est un théâtre organique qui comme à l’époque de Molière peut aller de ville en ville.
Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Pierre Grosbois, © Frédéric Desmesures & © Patrick Berger