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La vengeance faite femme(s)

A l'Odéon, Simon Stone signe une sitcom aux airs de tragédie élisabéthaine.

S’emparant de tragédies des dramaturges élisabéthains, John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare et de leur contemporain espagnol Lope de Vega, l’Australien Simon Stone détourne les codes et offre, sous forme d’un soap-opéra, visible selon trois parcours différents dans trois espaces distincts, une revanche salvatrice aux femmes bafouées, blessées, cassées par la violence des hommes et du patriarcat. 

La foule de spectateurs se masse dans le foyer des Ateliers Berthier. Ticket en main, chacun patiente avant d’entrer dans la salle, divisée en trois espaces scéniques. Certains sont déjà munis d’un carton sur lequel est inscrit une lettre – A, B ou C correspondant au parcours qu’ils vont suivre – , d’autres sont encore dans l’attente. C’est l’ouvreur.se qui va les diriger vers tel ou tel décor, le bureau, le restaurant ou la chambre. Ensuite, à chacun son histoire. 

Trilogie_187635-03-09ch184_©-Elisabeth-Carecchio_@loeildoliv

C’est tout l’attrait de ce spectacle particulièrement ardu conçu par l’Australien Simon Stone. Avec un plaisir indicible de jeune prodige, d’enfant gâté du théâtre, il a imaginé un triptyque tragique qui puise sa veine dramatique dans les œuvres de John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare et Lope de Vega. S’éloignant de leur héritage teinté de misogynie, il donne le pouvoir aux femmes, leur permet de reprendre en main leur destin, dans une sitcom « so » hollywoodienne au goût amer de la vengeance.

Abusées sexuellement par Jean-Baptiste, un falot (Eric Caravaca), qui ne s’est jamais vraiment remis de la mort de sa jeune sœur dont il était éperdument amoureux, sept femmes brisées vont se liguer contre cet homme pour faire payer violence, humiliation et honte de l’avoir trop longtemps laissé faire. Si le texte, le scénario finalement fort banals n’ont rien de transcendantaux, c’est dans la manière dont il met en scène ce drame contemporain aux accents élisabéthains qu’on frôle le génie. En effet, il a imaginé un système scénique de haute précision. Réparti en trois groupes distincts, le public, qui est convié à changer de décor à chaque entracte, assiste, certes, au même spectacle, mais dans des configurations différentes. Ainsi, en fonction du parcours, l’ordre chronologique des faits diverge, ce qui offre une compréhension de l’histoire, une appréhension du drame tout autre. 

Ainsi, trois fois de suite, les comédiens rejouent la même partition passant d’une salle à l’autre, d’un rôle à l’autre. Et oui, parce que loin de s’arrêter en si bon chemin dans la perversion, la sophistication, Simon Stone a augmenté sacrément la complexification en changeant la distribution féminine dans chacun des 3 parcours. Pour les sept actrices, on frôle, chaque soir, la schizophrénie. Passant en un clin d’œil, à l’insu du public, qui malheureusement ne voit qu’une infime partie du travail, et pas forcément la plus passionnante, la plus enivrante, elles passent du rôle de la mère dépressive, à celui de la serveuse dépassée, avant de se glisser dans la peau de la secrétaire complice de crime. 

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Ce travail de dentelle voulu par le metteur en scène australien explique que l’Odéon-théâtre de l’Europe ait dû reporter, à plusieurs reprises ,la première. Le spectacle, qui tient plus de la performance – invisible – que de la pièce de théâtre, après une semaine d’exploitation, semble toujours en rodage et montre encore ses faiblesses. Au-delà de l’égo de l’artiste virtuose, il reste de cette expérience singulière, le talent incandescent de ce septuor de comédiennes. De Valeria Bruni-Tedeschi à Servane Ducorps, en passant par Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard et Alison Valence, toutes révèlent une capacité d’adaptation hors du commun et une énergie vibrante sidérante. 

Même si l’on reste sur sa faim, que la tragédie escomptée manque de sel et patine quelque peu dans quelques flottements, on ne peut que saluer l’engagement, sans faille des équipes techniques et artistiques mises durement à l’épreuve. Le temps devrait affiner l’ensemble et faire de cette trilogie de la vengeance, l’un des événements les plus insolites de la saison.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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La Trilogie de la vengeance de Simon Stone d’après John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare, Lope de Vega
Odéon – théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier
1, rue André Suarès
75017 Paris
jusqu’au 21 avril 2019 
durée 3h45 (avec deux entractes)

mise en scène de Simon Stone, artiste associé, assisté de Florence Mato & Lila Kambouchner
avec Valeria Bruni-Tedeschi, Éric Caravaca, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, Alison Valence et la participation de Benjamin Zeitoun
Collaboration artistique et traduction française de Robin Ormond
Scénographie d’Alice Babidge & Ralph Myers assistés de Jane Piot
Costumes d’Alice Babidge assistée de Florence Mato & Lila Kambouchner
Lumières de James Farncombe
Musique et son de Stefan Gregory
Perruques d’Estelle Tolstoukine
Assistantes à la mise en scène Florence Mato, Lila Kambouchner

Crédit photos © Elisabeth Carecchio

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