Véritable performance qui fera date, la rétrospective dédiée à Diego Velàzquez dans les ors du Grand Palais a quelque chose d’unique, de majeur. En dehors du Prado « of course », c’est la première fois qu’une exposition réunit en un même lieu autant de tableaux de ce génie de la peinture espagnole. La modernité de son œuvre fascine. La scénographie sobre, lapidaire, souligne les touches délicates, justes du pinceau et rend sans nul doute hommage à la puissance de son art. C’est un coup de maître. Eblouissant.
L’argument : L’exposition consacrée à Diego Velázquez au Grand Palais entend présenter un panorama complet de l’œuvre de l’artiste, qu’Edouard Manet qualifié du « Peintre des Peintres », depuis ses débuts à Séville jusqu’à ses dernières années et l’influence que son art exerce sur ses contemporains. Elle se donne en outre pour mission de porter les principales interrogations et découvertes survenues ces dernières années, exposant, dans certains cas pour la première fois, des œuvres récemment découvertes.
La critique : Diego Velàzquez fait partie de ses peintres que le monde entier connaît et constitue une figure incontournable de l’histoire de l’art. Une rétrospective autour de son œuvre, ailleurs qu’à Madrid, relève de la gageure d’une part car l’artiste fait l’objet d’un culte mondial, le moindre faux pas et c’est le pilori assuré, d’autre part, car la France est très pauvre en tableaux du maître et que le Musée du Prado est peu préteur. Ainsi, Les Ménines, sa plus célèbre composition, et d’autres œuvres majeures sont assignées à résidence et ne sortent jamais de leur écrin madrilène. Malgré la tâche difficile, ardue, quasi impossible, Les Galeries nationales du Grand Palais en association avec Le Kunsthistorisches Museum de Vienne ont relevé le défi avec panache. L’exposition est une jolie réussite et permet d’admirer pas moins de 57 peintures du maître.
Didactique sans être pesante, sobre et minimaliste, la scénographie laisse la part belle aux œuvres de l’artiste, de son mentor, de ses contemporains et de ses élèves. On entre dans le vif de sujet comme en religion, avec déférence et dévotion. Les premiers tableaux exposés ont d’ailleurs tous trait à l’église. Quelques saints par ci, quelques vierges par là. Ce sont les années d’apprentissage de celui qui n’est pas encore Velàzquez. Suivent des natures mortes, parfaitement exécutées. On est saisi par le trait léger presque inachevé donnant à l’ensemble une réalité. Arrive la première œuvre « choc ». Elle nous prend aux tripes, elle touche notre âme avec violence et éblouissement. C’est la Mulata. Une esclave, comme il y en avait temps dans l’Espagne du XVIIe siècle, si belle, si jeune, si bouleversante. La légende du peintre est en marche.
Les salles défilent doucement, lentement. Les chefs d’œuvre nous retiennent. La magie de l’artiste opère. Parfois on s’égare. D’autres peintres nous captivent. Les deux saints de José de Ribera, peu connus, sont d’un tel éclat, d’une telle magnificence. Qu’un temps, notre esprit s’arrête pour admirer le travail délicat de cet autre maître espagnol. Puis la balade folle, intime reprend dans l’univers de l’Artiste sévillan. Les premiers portraits font leur apparition. Ils sont criants de vérité, de réalisme. Si Diego Velàzquez est certainement l’un des plus grands portraitistes de l’histoire de la peinture, c’est qu’il sait saisir les individus, les âmes. La plus part de ses œuvres sont empreintes d’une troublante vérité. Sans fard, il peint le réel, les êtres tels qu’ils sont. C’est d’ailleurs ce que lui fera remarquer Innocent X lorsqu’il verra pour la premier fois le tableau qui le représente : « Troppo vero! » (trop vrai). Cette œuvre, conservé à Rome à la Galerie Dorai-Pamphilj, est l’un des clous de cette exposition. Elle est magistrale. L’homme vêtu de rouge et de fines dentelles nous domine de son regard, nous scrute inquisiteur, puissant. Il est sans concession. Il est majestueux. il est le Saint-Père.
Hormis deux voyages en Italie qui marqueront l’un et l’autre le travail de l’artiste, Diego Velàzquez est un sédentaire, un peintre de cour. Une majorité de ses tableaux sont destinés à la famille royale et au tout puissant Philippe IV. Si Les Ménines manquent à l’appel, on peut toutefois se délecter de quelques morceaux de choix, morceaux de Roi : les portraits hyperréalistes, troublant de vérité du Monarque, de ses deux héritiers – le joufflu Baltasar Carlos, le malingre Felipe Prosper – et de sa fille, la hiératique Marguerite-Thérèse.
Quelques tableaux ont un goût d’inachevé, les touches de pinceaux se font discrètes, minimalistes. Le trait reste précis, élégant. Ils sont d’un modernisme étonnant. C’est le cas notamment de l’Allégorie féminine.
Au détour d’une salle, dans une sorte de boudoir, nous attend l’unique nu du peintre, la fameuse Vénus au miroir à laquelle fait échos une magnifique statue antique de L’Hermaphrodite endormi. Le rebondi des fesses en miroir est du plus bel effet. Mais indéniablement, l’œuvre de Velàzquez hypnotise. Le déhanché langoureux, voluptueux attire l’œil comme une promesse, une offrande d’amour, alors que le visage reste flou, incertain. Rare tableau est aussi sensuel, extatique.
Le parcours initiatique dans l’œuvre de l’artiste s’achève, presque à contre cœur. Quelques tableaux de son gendre, Juan Bautista Martinez del Mazo, restent anecdotiques, dans l’ombre éternel du Maître.
La fin est proche. Et pourtant une dernière surprise attend le spectateur. Dans une dernière salle, la lumière tamisée laisse entrevoir deux splendeurs. Au centre, immense, imposant, un tableau représentant un magnifique cheval blanc. Sur le côté, comme pour nous dire adieu, ou au revoir selon, un autoportrait de l’artiste de toute beauté.
Enigmatique, réaliste ou charnel… Diego Velàzquez est un peut tout cela. Il est grand, puissant, intemporel… immortel !…
Galeries nationales du Grand Palais
Velàzquez
Jusqu’au 13 Juillet 2015
Ouverture : dimanche et lundi de 10h à 20h
Du mercredi au samedi de 10h à 22h
Fermé le mardi
Fermé le 1er mai
L’exposition participe à la nuit européenne des musées le samedi 16 mai : entrée gratuite de 20h à minuit
Commissaire : Guillaume Kientz, conservateur au département des peintures du musée du Louvre.
Scénographie : Atelier Maciej Fiszer