Adaptant Le Lien de François Bégaudeau, qui analyse au scalpel les rapports houleux, tendres, entre une mère et son fils, Panchika Velez invite à plonger au cœur de l’humain et de ses contradictions. Ciselant avec finesse les tensions qui font le sel des relations familiales, elle offre au duo de monstres sacrés, Hiegel et Palmade, une gourmandise douce-amère délicatement relevée.
Un samedi gris dans une ville de province, un fils (Pierre Palmade) est venu déjeuner avec sa vieille mère (Catherine Hiegel). Lui est un écrivain connu, névrosé, angoissé. Elle est une fonctionnaire à la retraite, simple, aimante. Entre les deux, c’est électrique, tendu, une relation faite de non-dits, de faux-semblants.
Pour éviter les silences, l’incapacité à se parler, à se dire les choses, elle parle, raconte les petits riens de son quotidien, les petits tracas de sa banale existence. Non que cela ait la moindre importance, mais cela comble le vide. En face, son grand dadais de fils, s’agace, fulmine, n’arrive pas à rester en place, noyé par ce flot de paroles incessant, futile. Ressentant son exaspération, la mère, en admiration totale devant son intello d’enfant, devenu célèbre, continue son soliloque comme si elle craignait qu’en arrêtant de parler, il disparaisse, s’évapore.
L’orage gronde. Il finit par éclater, violent, tragique, féroce. Soûlé, enivré, le fils fait un procès à sa génitrice. Il n’en peut plus de cette relation stérile, de ces dialogues de sourds, de cette inaptitude à communiquer. Intellectualisant les rapports familiaux, les rêvant autres, moins triviaux, plus profonds, il déverse toute sa bile. Lui reprochant de ne pas s’intéresser à lui, de ne pas lire ses livres, de ne les vouloir que pour qu’ils prennent la poussière sur une étagère, refuse de voir derrière ses maladresses, tout l’amour, toute la tendresse qu’elle a pour lui.
S’emparant de ce lien unique, singulier, qui unit une mère charnelle et son fils raisonneur, François Bégaudeau en décortique les moindres détails, les plus petites émotions. De sa plume acérée, fluide, il en réinvente les contours, en redéfinit les règles sans éviter quelques clichés. Prenant, bouleversant, le texte saisit aux tripes, rappelle à certains des situations vécues. Pourtant, faute d’aller au but, aux vrais reproches que cache l’ire du fils, un je-ne-sais-quoi sonne faux rendant l’ensemble fragile et touchant à la fois.
Tout en finesse, la mise en scène parfaitement léchée de Panchika Velez vient souligner la justesse d’interprétation des trois comédiens. Elle donne à l’ensemble une authenticité vibrante, une humanité troublante. En mère désabusée, piquante, en tigresse blessée, mordante, Catherine Hiegel est impressionnante de virtuosité. Face à elle, Pierre Palmade, surfe sur ses angoisses, son mal-être, pour mieux camper ce fils qui ne sait dire que dans la rage tout l’amour qu’il a pour sa mère. Enfin, Marie-Christine Danède joue à son corps défendant, drôle, les pacificatrices, faisant retomber, par sa simple présence étrangère, les tensions.
Véritable plongée en eaux troubles dans l’intimité d’une famille, Le Lien est une tragi-comédie qui ne ménage pas nos nerfs, une montagne russe émotionnelle où rires jaunes et larmes se succèdent à un rythme soutenu. Captivant !
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Rue de la gaîté 75014 Paris
Depuis le 22 janvier 2019 pour 50 représentations exceptionnelles
du mardi au samedi à 20h30 et séances supplémentaires en matinée le samedi à 17h30
Durée 1h30
Mise en scène de Panchika Velez assistée de Mia Koumpan
avec Pierre Palmade, Catherine Hiegel et Marie-Christine Danède
Décor de Claude Plet Musique de Bruno Ralle & Guillaume Siron pour BALOO productions
Lumière de Marie-Hélène Pinon
Costumes de Marie Arnaudy
Crédit photos © J Stey et© Victor Tonelli / Hans Lucas