Visage angélique barré d’un tatouage qui mord sa lèvre inférieure, Claudius Pan, son nom de scène, est un homme-orchestre, un touche-à-tout surdoué. Comédien, auteur, dessinateur, musicien à ses heures perdues, il s’attelle, après la réalisation de plusieurs courts et moyens métrages, remarqués dans différents festivals, à son premier long, Absolu. Jeune artiste pressé, refusant les carcans, il passe par le crowfounding pour financer son travail. Rencontre.
Après quelques jours de grisaille, le soleil clair de février pointe son nez et donne à Paris des airs de printemps. À deux pas du cimetière du Père Lachaise, Claudius Pan attend dans un café au nom baroque, évocateur rappelant les belles odalisques, le libertinage courtois. Regard bleu azur, sourire blanc, éclatant, le jeune homme, à peine 28 ans, dégage une aura douce, lumineuse. Pourtant, il faut se méfier de cette image d’enfant sage, très rock dans sa vêture, le jeune artiste a déjà vécu mille vies. Artiste underground, alternatif, modèle, vidéaste, comédien, musicien, performeur, il allie talent, virtuosité et charme. Troublant, déroutant, il brouille les pistes pour mieux nous cueillir, nous saisir, nous surprendre.
Né à Saint-Etienne, d’un père français, commandant de police et d’une mère anglaise, il grandit dans un milieu rural. « Gamin, se souvient-il, j’étais plutôt solitaire. J’ai donc développé un univers, un imaginaire, où j’aimais, me perdre, pour mieux me trouver. Rapidement confronté à la mort, à une certaine forme de noirceur, de tristesse, je n’ai eu d’autre choix que d’ouvrir dans mon esprit, dans mes rêveries, un ailleurs où je pouvais trouver du sens à ce que je vivais. C’était mon refuge, mon abri loin du monde extérieur. » Passionné de cinéma, mais ne fréquentant que rarement les salles obscures, il passe des heures devant son téléviseur et use jusqu’à épuisement les bandes magnétiques de ses nombreuses cassettes VHS. « Je ne me lassais jamais, confie-t-il de sa voix douce, légèrement zozotante, de voir les films de Burton, de Spielberg. J’étais bouleversé par les émotions qui me parcouraient. J’analysais comment c’était fait, je décortiquais les plans-séquences. Véritable porte vers un ailleurs, le 7e art m’a permis de découvrir la littérature puis la musique. » Bercé de pop anglaise et de classique, Claudius Pan n’a rien oublié des dimanches où son père écoutait inlassablement opéra, requiem, fuite, etc. Mais ce sont les bandes originales composées par John Williams, qui ont sa prédilection de jeune garçon.
Vers 13 ans, l’artiste en herbe fait ses premières armes avec une caméra numérique. Avec son meilleur ami, il sillonne la campagne alentour, colle les écouteurs de son baladeur à la sortie son et filme. « C’était du bricolage, raconte-t-il avec un sourire désarmant, mais à l’époque, il n’existait pas de logiciel de montage, on faisait avec les moyens du bord, directement à la caméra. J’ai très vite su que c’était ça que je voulais faire plus tard. Mais je pensais que c’était tout simplement impossible. » Rêvant toujours d’ailleurs, porté par son imaginaire foisonnant, il commence à prendre des cours de théâtre en amateur. Le jeu est comme une seconde nature. Ne pas être soi, prendre un bâton c’est déjà composé un rôle, celui d’un preux chevalier prêt à défendre son honneur. Replié sur lui, Claudius Pan trouve ainsi un moyen de s’exprimer, de dépasser son trouble. A 16 ans, il intègre une compagnie stéphanoise. Seul adolescent dans une troupe d’adultes, on lui propose de jouer Roberto Zucco, dans la pièce de Bernard-Marie Koltès. « J’ai eu beaucoup de chance, explique-t-il. Le spectacle a eu son petit succès. Les retombées presse étaient encourageantes. J’étais plutôt névrosé et ce personnage me permettait de me libérer, de véhiculer, le trop-plein d’émotion qui m’envahissait. » Confiant en son avenir, il monte à Lyon et s’inscrit à une école privée de Théâtre. Il suit les cours pendant deux ans. À la sortie, impatient, incapable d’attendre qu’on vienne le chercher, il crée sa propre compagnie et commence à monter ses propres projets. Il a 19 ans.
Un drame va tout bouleverser. Son meilleur ami, son premier amour décède. Le choc est trop dur, trop violent. Incapable de surmonter la douleur, il quitte la France. « Je suis parti, raconte-t-il, vivre Aux États-Unis dans une communauté d’artistes, les Radical Faeries. C’est le premier groupe international queer né au sein de la contreculture des années 1970. Je suis resté deux ans avec eux, à vivre en auto suffisance, déconnecté de tout, et surtout du système dominant que l’on connaît. Grâce à eux, j’ai commencé à créer mon personnage, nourri de tous les outils dont je suis fait, peinture, écriture, musique, etc. » Au fin fond du Tennessee, est né Claudius Pan, nom de scène, nom donné par ses frères marginaux. S’inspirant de penseurs comme Walt Whitman, ou d’artistes comme Bowie, le jeune homme sort de sa chrysalide, riche d’un univers propre, d’une identité qui n’appartient qu’à lui. Avide d’expériences nouvelles, il continue son périple à travers le monde en dehors de tous sentiers battus. Durant deux ans, il vit avec des « trains hoppers », sorte de Pirates des temps modernes sillonnant l’Amérique sur des trains de marchandises. Loin de s’arrêter en si bon chemin, d’Inde à la Nouvelle-Zélande, de la Roumanie à l’Angleterre, le jeune homme a la bougeotte et voyage à travers le monde sans un sou en poche, vit un temps avec une tribu de l’île d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie.
Mais toute bonne chose a une fin. Sa quête initiatique à la recherche de son moi d’artiste s’achève, Il est temps de rentrer. Claudius Pan a 26 ans. « J’avais compris que je ne pouvais me satisfaire d’être uniquement interprète, explique-t-il, j’avais besoin de m’exprimer, de créer. Grâce à cette parenthèse enchantée chez les marginaux, je me suis offert le luxe, l’opportunité d’avoir une autre Vision du Monde que celle imposée par le système dominant. » La réadaptation n’a pas été simple pour le jeune homme. Sans argent, devenu fantôme, il a mis deux ans à retrouver son identité sociale. « Ce fut une période assez noire, se souvient-il, pour ne pas perdre espoir, je me raccrochais à l’écriture de mon roman quelque peu autobiographique, Carpe Notem, qui raconte mon parcours d’errance, mon besoin de marginalité, dans une Amérique alternative à l’ombre de l’administration trumpienne. Normalement, il devrait être publié en septembre prochain. C’est à cette période que l’on m’a approché pour intégrer le casting de la série les Engagés. » Il y joue Bastien, un jeune Escort, membres d’une association LGBT militante. «Ce fut assez troublant au début, confie-t-il, ça me renvoyait à mon passé, bien avant mon tour du monde. » Rapidement, tout s’accélère, les projets s’enchaînent. De sa relation avec Olivier Py, il garde le souvenir d’un être sensible, qui a su le prendre sous son aile et l’aider à avoir confiance en lui. Mais Claudius Pan est un jeune homme pressé, un battant, un conquérant. Pour exister, se concrétiser, il est temps de se jeter dans le vide, de lancer ses propres projets. « J’ai commencé, raconte-t-il, à réaliser mes premiers courts-métrages. Je faisais tout du scénario à la bande-son. De rencontre en rencontre, on m’a proposé de travailler pour d’autres. C’est ainsi que je me suis retrouvé à faire la musique du spectacle de Gaël Kamilindi de la Comédie-Française, où il revisite le mythe de Galatée, et qui s’est donné à la Pop péniche à l’automne dernier. »
Sélectionné pour participer au festival de film lesbien, gay, bi, trans, queer et ++++ de Paris, Chéries-chéris, il présente son dernier moyen-métrage X comme amour. Révélant son univers mystique, onirique, perché et punk-rock, il ne laisse pas indifférent. Les images léchées, baignées de lumières, les corps nus des comédiens, offerts sensuellement à la caméra, mais jamais vraiment dévoilés, un univers queer « dark », il n’en fallait pas plus pour enthousiasmer les festivaliers et la maison de production Optimale, qui s’est engagée à distribuer l’œuvre sur tous ses supports. Habité par un lyrisme noir, hanté de sombres pensées, ses dessins de corps décharnés en témoigne, il invite à plonger dans les ténèbres pour mieux trouver la lumière, celle qui intense, belle, laisse entrapercevoir la vraie beauté des choses.
Profondément touché par le drame écologique en train de se produire, Claudius Pan s’inspire de l’effondrement à venir du monde tel qu’on le connaît pour écrire le scénario de son premier long-métrage, Absolu. Entier, incapable d’attendre, il a décidé avec ses comédiens, ses collaborateurs, de lancer un crowfunding afin de financer son film. « On n’a plus le temps, explique-t-il. La machine est lancée, le train fonce droit dans le mur. C’est de notre devoir d’artistes, il me semble, de préparer les consciences à ce qui va advenir dans moins d’une dizaine d’années. C’est maintenant qu’il faut le faire. »
Honnête, sincère, usant de ses fragilités comme d’une force, le jeune réalisateur a su s’entourer d’un aréopage d’amis, tous étant les frères et les sœurs qu’il n’a jamais eues. Entremêlant vie privée et artistique, il créer avec eux un endroit de liberté où tout est possible. Très « queer » dans sa manière de penser, il déconstruit sans cesse les modèles qu’on lui a inculqués enfant. A l’image de son long métrage, Absolu, Claudius Pan, l’indépendant, l’unique, tient à tout faire, tout maîtriser. « Je vois mon film comme un corps, souligne-t-il. L’écriture, le scénario en est le squelette. Les comédiens, la chair. La musique, le sang qui irrigue l’ensemble et permet de tout fluidifier. » Alors qu’il s’apprête à tourner dans l’Aveyron, dans quelques jours, les premières scènes, il espère avoir tout fini cet été et pouvoir sortir roman et long métrage en septembre prochain. Sans contexte, Claudius Pan, qu’on a pu voir au Festival d’Avignon, l’an passé dans Pale Blue dot, est un artiste touche à tout à suivre …
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit Photos © raphaël Lucas