Pour conclure en beauté la tournée anniversaire de ses 50 ans d’existence, le Ballet de Lorraine se pare de mystère et reprend au théâtre national de danse de Chaillot son plus singulier et emblématique programme, Plaisirs inconnus. Composé de cinq pièces créées par des artistes restés volontairement anonymes, il invite à se laisser porter sans a priori par une troupe virtuose. Epatant !
Depuis deux ans que Plaisirs inconnus a été créé, rien n’a filtré. Les danseurs sont inflexibles. Ils restent sourds à toute sollicitation et refusent d’être soudoyés. Petter Jacobsson, le directeur du Ballet de Lorraine, et Thomas Caley, le coordinateur de recherche de l’établissement, font de même et gardent précieusement le secret. Seulscomptent les mouvements, les gestes, les enchaînements exécutés par des danseuses et danseurs au sommet de leur art.
Oubliant tous préjugés, tous préconçus, ce programme concocté avec soin ,pour que chaque spectateur se laisse totalement emporté par les sons, les arabesques, les pas de deux, les portés ou les danses de groupe, est une plongée au cœur d’un esthétisme réinventé, d’une carte blanche chorégraphique exempte de tout effet de mode, de tout marketing. Ne pouvant se raccrocher à un nom, une écriture prédéfinie, le public n’a pas d’autre choix que d’abandonner ses repères pour son plus grand plaisir.
De William Forsythe à Maguy Marin, en passant par Olivier Dubois ou Saburo Teshigawara, tous les grands noms de la danse contemporaine traversent un temps notre esprit, tant il nous semble reconnaître leur style dans tel mouvement, telle gestuelle. Tout cela est bien illusoire, d’autant que jamais ne sera donner la véritable identité de chaque chorégraphe ayant participé à cette soirée placée sous le signe du mystère.
Disons le tout net, Plaisirs inconnus est une belle réussite. Tout y est presque parfait. Chacune des pièces chorégraphiques est un enchantement, tant elle met en avant le talent fou d’une troupe virtuose. Chacune des danseuses, chacun des danseurs, rivalise de maîtrise, de grâce et de perfection. De Justin Cumine à Charles Dalerci, de Valérie Ly-Cuong à Vivien Ingrams, en passant par le charismatique Tristan Ihne, pour ne citer qu’eux, tous s’en donnent à cœur joie et communient à la salle entière leur plaisir de danser, d’être sur scène et de partager cette incroyable expérience.
Si l’on peut regretter que les intermèdes, le prologue et le final soient moins intenses que le reste de ce ballet éclectique, on retient tout particulièrement la magnifique variation chorégraphique sur le Boléro de Ravel, véritable clin d’œil à l’œuvre de Maurice Béjart. Emporté par les redondances de la mélodie, le lent crescendo de cette hypnotique partition, le public conquis applaudit à tout rompre sans attendre la fin superflue du programme. Une bien belle soirée d’anniversaire qui garde jusqu’à la fin le goût du fruit défendu, une bien belle énigme non résolue.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Plaisirs inconnus du Ballet de Lorraine
Théâtre national de danse de Chaillot
1, Place du Trocadéro
75016 Paris
Jusqu’au 25 janvier 2019
Durée 1h15
chorégraphie écrites par cinq chorégraphes mystères
Musique composée par six anonymes
Lumières créées par un anonyme
Costumes confectionnés par six anonymes
Scénographie imaginée par deux anonymes
Avec Jonathan Archambault, Amandine Biancherin, Agnès Boulanger, Alexis Bourbeau, Clara Brunet, Thomas Caley, Pauline Colemard, Justin Cumine, Giuseppe Dagostino, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Nathan Gracia, Tristan Ihne, Vivien Ingrams, Petter Jacobsson, Margaux Laurence, Valérie Ly-Cuong, Amélie Olivier, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Ligia Saldanha, Willem Jan Sas, Céline Schoefs, Luc Verbitzky
Production Ccn – Ballet De Lorraine / Direction Petter Jacobsson
Coproduction Dance Umbrella Et Sadler’s Wells Theatre / Coda Oslo Festival International De Danse / Dansens Hus Oslo
En Partenariat Avec Scènes Vosges
Crédit photos © Arno Paul