Couv_Sstockholm_Denis__TNBA_Visuel 1_© Pierre Planchenault_@loeildoliv

SStockholm, l’enfermement psychologique par la lorgnette

Dans SStockholm, au TnBA, Solenn Denis explore le rapport entre victime et geôlier.

Reprenant sa première création qui s’inspirait de l’affaire Natasha Kampusch, Solenn Denis, artiste associée du TnBA et dont on a pu apprécier la plume acérée, vénéneuse dans l’excellent Sandre en 2014, puise dans les tréfonds de l’âme humaine, celle corrompue du bourreau, mais aussi celle pervertie de la recluse, et cisèle un texte âpre, brutal qui donne des frissons. Une immersion glaçante dans la relation otage – geôlier !

On entre dans la salle par la petite porte à l’arrière du décor. On traverse le plateau, encore ignorant du drame qui va s’y jouer. Dans une pénombre savamment travaillée, chacun cherche presque à tâtons, une place pour s’asseoir sur l’un des deux gradins qui bornent la scène, ce ring où bientôt deux êtres vont confronter leur regard, leur violence, leur désir, leur droit, leur devoir. Une odeur de terre fraîchement retournée exhale du sol. Tout est fait pour qu’un certain malaise envahisse le spectateur, que des interrogations titillent son esprit. Mais où est-on au juste ?

Le noir se fait. Deux faisceaux de lumière viennent éclairer l’espace, le scruter. Deux jeunes femmes, frigorifiées, pointent le bout de leur nez. Comme deux voleuses revenant sur le lieu d’un crime prescrit depuis longtemps ou comme deux rescapées venant religieusement se recueillir dans une maison devenue relique, elles n’osent entrer. Très vite, les souvenirs de l’un d’elles remontent à la surface, la submergent. Tout bascule. Elle se revoit quelques années plutôt, errer dans cet étrange lieu, qui évoque le dénuement, la pauvreté.

Sstockholm_Denis__TNBA_Visuel 4_© Pierre Planchenault_@loeildoliv

Au centre d’une pièce sans fenêtre, une étroite table en formica et deux chaises sont à peine éclairées par la lumière froide, clinique provenant de néons. Tout respire le vide. Installés, face à face, un homme et une jeune femme picorent dans une même assiette, dissertent de la vie, de la guerre froide, de « chats à fouetter » au propre comme au figuré, de cactus, du film qu’il y avait hier soir à la télé. Tout est assez insolite, bizarre. Cela sonne faux. Sont ils mari et femme, amant, père et fille, ou bien autre chose ?

Alors que l’atmosphère se tend, une forme de perversion se dégage de leur conversation. L’homme s’impose, devient dominant, violent. Récalcitrante, difficilement domptable, la jeune fille le provoque. Elle refuse d’obéir, se cambre, mais finit par céder à ses demandes toutes plus étranges les unes que les autres. Les lignes se troublent, la tension est de plus en palpable. L’orage éclate. Les corps se séparent. Puis tout recommence. Les mêmes dialogues, les mêmes gestes se répètent. L’un est le bourreau, l’autre, une victime.

S’inspirant de l’histoire de Natasha Kampusch, une jeune autrichienne retenue plus de huit en captivité par son ravisseur,drame qui avait secoué l’Europe en 2006, Solenn Denis signe un texte brut, cinglant, taillé à la serpe, sans compromission, sans fioriture. De sa vision presque clinique, elle plonge dans les névroses de deux êtres, les noirceurs de leur âme, creuse au plus profond afin de décortiquer les mécanismes qui régissent le couple prisonnière – geôlier, la genèse du syndrome de Stockholm. Sans excuser la violence du crime, l’enfer de la séquestration, elle esquisse dans ce récit âpre la frontière fragile entre fantasme et passage à l’acte, entre soumission et rébellion, entre amour et haine.

De cette promiscuité imposée, de cette servilité infligée, une relation trouble née modifiant les sentiments de l’un et de l’autre, corrompant leur regard, leur faculté de jugement. Portée par Erwan Daouphars, magistral, autant doux qu’inquiétant, et Faustine Touran, follement enfantine, terriblement mature, accrochée coûte que coûte à une possible libération, qui ne pourra exister que dans la mort de l’un des deux, SStockholm prend aux tripes, secoue les entrailles. Un spectacle déroutant, décapant dont la brutalité est nécessaire, la rudesse salvatrice !

Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux


affiche-sstockholm_TNBA_@loeildoliv

SStockholm de Solenn Denis
TNBA
Studio de création
3, Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
jusqu’au 1er février 2019
du mardi au vendredi à 20h00 et le samedi à 19h00
durée 1h20

Mise en scène du Collectif Denisyak
Avec Erwan Daouphars, Faustine Tournan & Solenn Denis
Scénographie d’Éric Charbeau & Philippe Casaban
Création lumière d’Yannick Anché
Création sonore de Jean-Marc Montera
Regard chorégraphique d’Alain Gonotey
Construction décors de Nicolas Brun & Stéphane Guernouz
Ce texte, publié aux éditions Lansman, a reçu la Bourse d’encouragement du CNT 2011 et le Prix Godot 2012.
Reprise de production Collectif Denisyak et Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Production Compagnie du Soleil Bleu (dans le cadre de la Pépinière du Soleil Bleu-Glob Théâtre)
Collaboration avec le Collectif Denisyak
Coproduction avec l’IDDAC – Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel – Gironde, OARA – Office Artistique de la Région Aquitaine, Glob Théâtre – Bordeaux
Soutien financier de la DRAC-Aquitaine, de l’ADAMI et de la Ville de Bordeaux.

Crédit photos © Pierre Planchenault

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