Adapter au théâtre un monument du septième art et de la comédie musicale, en le réinventant, demande doigté, maîtrise, audace et génie. Si Robert Carsen n’en manque clairement pas, certaines bonnes idées sur le papier ont parfois dû mal à passer le cap de la pratique. En plaçant le spectateur à l’époque du Noir et Blanc, le metteur en scène signe un spectacle en dégradé de gris qui reste somme toute assez monochrome. Malgré une brochette d’artistes particulièrement talentueux, des situations cocasses qui font mouches et un humour plein de nuances et de finesses, il manque la petite étincelle qui permettrait à cette production de passer d’agréable et drôle à inoubliable.
L’argument : L’histoire se déroule à Hollywood, à la fin de l’ère du cinéma muet.
D’origine modeste, Don Lockwood, ancien danseur, musicien et cascadeur est devenu une star du cinéma muet. A son grand dam, Lina Lamont, son insipide et antipathique partenaire, est persuadée qu’ils forment un couple à la ville comme à l’écran. Alors que Le Chanteur de Jazz, le tout premier film parlant, connaît un succès fulgurant, le directeur du studio R.F Simpson n’a d’autre choix que de convertir le nouveau film du duo Lockwood Lamont. L’équipe de production est confrontée à de nombreuses difficultés, notamment l’insupportable voix de crécelle de Lina Lamont.
Le meilleur ami de Don Lockwood, Cosmo Brown, a l’idée d’engager Kathy Selden pour doubler la voix de Lina et de transformer The Dueling Cavalier en comédie musicale intitulée The Dancing Cavalier…
La critique : La fameuse ritournelle, que nous avons tous fredonné un jour, « I’m singin’in the rain, Just singin’ in the rain. What a glorious feeling, I’m happy again. » retentit d’un souffle nouveau sous les ors du Théâtre du Chatelet. Après Un américain à Paris, c’est au tour de la comédie musicale qui a définitivement consacré Gene Kelly au firmament hollywoodien d’être adaptée pour être jouée sur scène. Et qui de mieux que l’exigeant canadien Robert Carsen, déjà auteur en 2010 du très réussi My Fair Lady, pouvait s’atteler à cette dure tâche ?
Écrit par Betty Comden et Adolph Green, ce monument du septième art retrace le passage du cinéma muet au cinéma parlant à travers la carrière de trois comédiens : Don Lockwood, star du muet, habile caméléon capable de s’adapter à toutes les situations ; Kathy Selden, comédienne en devenir quasi inconnue dont les multiples talents vont reconnus par ses pairs et le public ; et enfin Lina Lamont, dont la beauté et l’ego surdimensionné ne survivront pas en raison de son abominable voix de crécelle.
Afin de replonger les spectateurs à la fin des années 1920, âge d’or du cinéma muet hollywoodien, le metteur en scène a imaginé une scénographie dans les tons de gris gommant les couleurs flashy des années 1950 et rappelant ainsi l’époque du noir et blanc. Costumes et décor sont à l’unisson de ce choix audacieux et malheureusement, le show aussi. En perdant la couleur, ce Singin’in the rain a aussi perdu un peu de son swing et de sa verve. Ne boudons pas pour autant notre plaisir, Robert Carsen a plusieurs flèches à son arc. Sa principale réussite est d’avoir créé au Théâtre du Châtelet une véritable machine à remonter le temps. A peine assis, nous sommes propulsés au cœur d’un Hollywood flamboyant mais révolu pour assister à l’avant première du dernier film du couple star du muet ,Don Lockwood et Lina Lamont. Tout comme le film de Stanley Donnen l’avait fait en son temps, la comédie musicale nous invite dans les coulisses de l’usine à rêves de l’Amérique. Les décors sont somptueux. En un clin d’œil on passe d’une roulotte servant de loge aux artistes, aux jardins de Versailles, en passant par la galerie des glaces et une rue de Los Angeles sous la pluie. C’est magique. C’est Hollywood à Paris. On y croit …. presque.
Bien qu’artiste accompli- belle voie, jeu de jambes impeccable, et jolie présence scénique – Dan Burton a bien du mal à faire oublier le charismatique Gene Kelly. A sa décharge, c’est quasiment impossible. Heureusement, il est très bien épaulé par une troupe fabuleuse de danseurs et des compères talentueux. Emma Kate Nelson est absolument divine dans le rôle de l’impérieuse et capricieuse Lina Lamont. Daniel Crossley compose avec brio un Cosmo Brown tout en nuance bien que sautillant un peu moins que l’original. Quant à Clare Halse, elle a la dure tâche de reprendre le rôle de l’irrésistible et délicieuse Debbie Reynolds, et s’en sort avec les honneurs en incarnant une Kathy Selden touchante et craquante. La grande révélation de ce spectacle est Jennie Dale, à qui l’on doit un morceau de bravoure et une partie de claquettes endiablée. Dans son rôle de professeur de diction, elle fait un triomphe.
Malgré tout cela, on ne retrouve pas la magie et l’énergie du film. La monochromie visuelle finie par déborder et ternir l’euphorie de cette comédie romantique pétillante par excellence. En suivant peut-être de trop prés la trame de l’œuvre originale à quelques exceptions près (le personnage de Cyd Charisse et son glamour a totalement disparu) sans la réinventer, Robert Carsen offre un spectacle de qualité drôle et fort sympathique … auquel il manque le petit plus, ce grain de folie, qui a ancré dans nos mémoires Le Singin’in the rain de 1952.
Singin’in the rain
au Théâtre du Châtelet
du 12 au 26 mars
Reprise du 27 novembre 2015 au 15 janvier 2016
Chorégraphie originale du film
: Gene Kelly
Chorégraphie originale du film
: Stanley Donen
Scénario : Betty Comden et Adolph Green
Chansons : Nacio Herb Brown et Arthur Freed
Direction musicale : Gareth Valentine
Mise en scène et lumière : Robert Carsen
Costumes: Anthony Powell
Chorégraphie : Stephen Mear
Décors : Tim Hatley
Orchestre : Orchestre de chambre de Paris
avec : Dan Burton, Daniel Crossley, Clare Halse, Emma Kate Nelson, Robert Dauney, Jennie Dale, Matthew Gonder, Matthew McKenna et Karen Aspinall.