La mort est là, toujours plus près. Elle fauche nos proches sans que l’on puisse y faire quelque chose. Pourtant, malgré la tristesse, la perte, les larmes ne coulent pas, seul un rire salvateur nous étreint, nous rappelle que notre cœur bat encore et toujours. En s’emparant de la thématique du deuil, Anna Bouguereau libère, avec un indicible et furieux plaisir, ses démons, ses souvenirs occultés, ses peurs enfouies et invite à la vie. Un seul-en-scène initiatique particulièrement revigorant.
Face au public, trois tables sont recouvertes de fleurs fraîches. Des Lys, dont la forte odeur titille nos narines, des roses rouges, pourpres, toutes rappellent la fragilité de la vie, son éphémère beauté. Du fond de la scène, une jeune femme vêtue de noir (épatante Anna Bouguereau) fait son entrée. La mine contrite, un bouquet à la main, elle avance timidement. Elle semble mal à l’aise, comme si elle n’était pas à sa place. Il faut dire que le jour est particulier. En cet après-midi froide et grise, on enterre sa tante.
Toute sa famille est réunie. Et tout spécialement son cousin, sur lequel elle a toujours fantasmé, accompagné malheureusement de sa femme qu’elle ne peut pas blairer. Tous se recueillent religieusement. Certains prennent la parole. Elle, elle ne peut pas. Sa gorge est nouée. Elle n’arrive pas à pleurer. Le regard complice avec son oncle, lui fait comprendre qu’elle n’est pas seule. Que ce n’est pas grave. Chacun réagit à sa façon. Puis, c’est le drame. Pensant connaître les goûts musicaux de la défunte, son mari met un slow très daté année 1980. C’est l’hilarité générale. Celle qui fait du bien, qui relâche la pression, les nerfs.
En contant les aléas, les noires pensées, les joies, les malaises, les faux pas qui viennent perturber les cérémonies mortuaires, Anna Bouguereau propose une réflexion sur la mort, sur la vie. De sa plume vive, incisive, presque clinique, elle interroge notre regard très occidental sur la perte et réveille tous les fantômes de son passé. Tel son premier amoureux dont elle ne se souvient plus vraiment, mais qu’elle aimerait bien revoir, là, maintenant, pour qu’ il l’emmène loin de ce cérémonial, ou son lien singulier, étroit avec son cousin, avec qui elle aimerait une aventure, même si elle sait que c’est impossible. Tout y passe. Entre rires et larmes sèches, la lumineuse comédienne nous entraîne dans une folle farandole, celle des adieux que l’on cherche à prolonger, celle au tempo plus lent qui permet d’accepter, de comprendre que l’autre n’est plus.
Conquis par les mots, la mise en scène tout en délicatesse de Jean-Baptiste Tur, l’un des membres fondateurs du collectif le Grand cerf Bleu, et la présence incandescente d’Anna Bouguereau, les spectateurs communient et bien au-delà de la mort, célèbrent la Joie d’être vivant.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Joie D’Anna Bouguereau
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis, passage Ruelle
75018 Paris
Jusqu’au 28 octobre 2018
Tous les jours à 19h00
Durée 1h05
Festival d’Avignon Le OFF
Le train bleu
40, rue Paul Saïn
84000 – Avignon
Du 5 au 28 juillet 2019 (relâche les 11 et 18 juillet 2019)
Durée 55 min
Conception, texte et jeu : Anna Bouguereau
Mise en scène de Jean-Baptiste Tur
Collaboration artistique: Alice Vannier
Production :Antisthène
Crédit photos © KarimC