Mots et notes de musique se mêlent et s’entremêlent en un flot cadencé, jazzy, invitant à une balade en pays inconnus, ceux de l’âme tourmentée de l’écrivain Sylvain Tesson, autant que ceux terrestres des contrées sauvages qu’il visite. En s’emparant de l’œuvre du romancier-voyageur français, Julien Barret et Pierre-Marie Braye-Weppe donnent vie à ses maux et entraînent le spectateur dans un ailleurs mélancolique, poétique d’une rare beauté.
Il y a des textes qui transcendent, qui touchent plus que de raisons car ils répondent à nos propres angoisses, nos réflexions sur le monde, aux fêlures de notre âme. Les romans de Sylvain Tesson ont cet étrange et singulier pouvoir, en tout cas, pour nos deux jeunes artistes, Julien Barret et Pierre-Marie Braye-Weppe. Avec beaucoup d’intelligence, de délicatesse, ils se sont imprégnés des maux si bien couchés sur le papier de l’auteur de Dans les forêts de Sibérie, dont on retrouve des éléments dans ce spectacle surprenant, envoutant.
Écrit comme une ode musicale à cet aventurier, ce nouvelliste, qui ne cesse de dépasser ses limites, quitte à se blesser gravement – une chute de 10 mètres d’un toit en 2014, alors qu’il séjournait en Savoie, a failli lui coûter la vie – , le récit poétique, concocté par nos deux compères, est une sorte de mosaïque textuelle qui mélange habillement différents extraits de romans de Sylvain Tesson ainsi que des poèmes de Charles Baudelaire, Henri Michaux, Fernando Pessoa, Pierre Reverdy, Henri David Thoreau ou encore André Breton, et que souligne très joliment la musique très jazzy, jouée en direct.
Emporté par cette vague de mots, de notes, le spectateur se laisse totalement dériver dans cette fugue permanente. Fuyant les hommes, sa conscience, Sylvain Tesson, l’intranquille, ne trouve le repos que dans le dénuement, la perte de repères, l’immensité de la nature. Ce besoin de solitude, de dire ses fêlures, de liberté totale, loin des carcans d’une société, d’un monde qui ne lui convient pas, est vital, essentiel pour lui, c’est son garde-fou contre la folie qui le guette. Loin de son quotidien, du bourdonnement de la ville, il laisse poésie, lyrisme et mélodie intérieure l’envahir, le subjuguer.
C’est cette épopée intime, personnelle, autant qu’universelle que nos deux talentueux comédiens-musiciens ont souhaité partager dans ce premier spectacle. Quittant le monde terrestre, trop réel, soutenu par la sobre mise en scène d’Olivier Broda et l’onirique scénographie de Julien Barret, ils invitent à une ballade hypnotique, troublante qui titille l’imaginaire, réveille les envies de chacun de découvrir le monde, de voyager en des lieux insolites, presque vierges, de plonger au plus profond de soi pour questionner sa nature profonde.
Ce Prélude à la fugue est une remarquable et touchante partition qui doit autant à l’interprétation habitée, intense de Julien Barret, qu’au jeu et doigté de Pierre-Marie Braye-Weppe. Un moment de théâtre fort rafraîchissant, terriblement humain et profondément bouleversant.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Angers
Prélude à la fugue d’après les textes de Sylvain Tesson
LE Quai CDN Angers Pays de Loire
Cale de la Savatte
49100 Angers
Jusqu’au 18 octobre 2018
Du mardi au vendredi à 20h00 & le samedi à 18h00
Durée estimée 1h30
Mise en scène d’Olivier Broda
avec Julien Barret, Pierre-Marie Braye-Weppe
textes de Sylvain Tesson et extraits de poèmes de Charles Baudelaire, Henri Michaux, Fernando Pessoa, Pierre Reverdy, Henri David Thoreau, André Breton
création sonore de Julien Barret & Pierre-Marie Braye-Weppe
Dramaturgie Leslie Six
Scénographie de Julien Barret assisté de Camille Vallat et Sébastien du Merle.
création lumière et régie : gilles gaudet.
Réalisation cymatique Mehdi Lhommeau
L’axe du loup de sylvain tesson est publié aux © editions robert laffont.
Dans les forets de siberie, Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson ; L’espace du dedans et Déplacements, dégagements d’Henri Michaux sont publiés aux © editions gallimard.
Crédit photo © Sarah Perret