Silhouette longiligne, mèche rebelle, Clément Bondu a pour quelques jours élu résidence aux Plateaux sauvages, nouveau lieu « hype » et convivial de fabrique artistique parisien, dirigé par la pétulante Laëtitia Guedon. Jeune homme de son temps, curieux du monde qui l’entoure, intéressé par les questions d’écologie, l’auteur d’à peine 30 ans, invite à un exode sensoriel, une (é)migration à rebours des sociétés occidentales ayant bu la terre jusqu’à la lie vers les terres moins dévastées des pays en voie de développement. Rencontre.
Le soleil brille dans un Paris qui entre doucement dans l’automne. A deux pas de la rue de Ménilmontant, l’ancien Vingtième théâtre et le Centre culturel des Amandiers attenant ont fusionné pour donner naissance à un lieu de création artistique, les Plateaux sauvages. Ouvert depuis deux ans, mais en travaux depuis, ce nouvel espace dédié à l’art vivant, à la culture dans tous ses états, vient tout juste de pendre sa crémaillère. Nimbé de lumières naturelles autant qu’artificielle, l’endroit donne envie de se poser, de se laisser porter par un imaginaire foisonnant que permet l’épure d’une décoration 100 % écolo. En revenant au principe architectural de base, conçu dans les années 1960 par Jean Dumont, les salles de répétition, le théâtre, les halls, les terrasses, s’enroulent, d’étage en étage, autour du patio central, qu’un projet participatif devrait aider à (re)végétaliser. Mené de main de maître par la dynamique Laëtitia Guedon, le projet prend enfin son envol et, au vu de la programmation à venir, devrait tenir toutes ses promesses, dont la principale maxime est « Etablir une porosité entre l’art et les pratiques amateurs dans une logique de partage sur le territoire ».
Après, Lou Wenzel et Olivier Balazuc avec Max Gericke ou du pareille au même, c’est au jeune et talentueux, Clément Bondu d’inaugurer les plâtre. Alors qu’il répète L’avenir, pièce qu’il a écrite et présente pour une dizaine de dates du 1er au 12 octobre 2018, il a accepté d’ouvrir les portes du studio pour un premier filage. La salle est vide. Sur le plateau, le comédien se tient debout entouré de deux musiciens. Quelques techniciens s’installent çà et là sur les gradins amovibles pour les derniers réglages. Le noir se fait. Une voix « microtée » dont les graves ont été exagérés rompt le silence et entame une litanie « techno ». Les mots semblent sortis d’outre-tombe. Histoire d’anticipation, futur proche apocalyptique, le jeune homme, presque immobile, conte un drame écologique. Paris n’est plus. Les derniers habitants ont été parqués. Il faut évacuer. La ville est devenue hostile, inhabitable.
La musique techno, les lumières aveuglantes finissent de nous plonger au cœur de ce drame humain, de cet exil obligatoire. Vision sombre, funeste, Clément Bondu, vêtu d’un blouson de cuir marron élimé, scande sa prose. Son corps vibre au rythme des beats, des ponctuations de cette cantate mortifère. Sorte de Cassandre des temps à venir, le jeune auteur, enfermé dans un rectangle que dessine des néons, tente de retrouver, malgré les interdits, son amour perdu au détour d’une rue. Imposant une ambiance digne d’un concert électro, qui n’est pas sans rappeler le travail artistique de Julien Gosselin, il réveille nos consciences.
Peut-être n’est-il pas trop tard ? Peut-être peut-on encore inverser la vapeur toxique, qui envahit le plateau ? Cri de vie, ode à la nature, il se rêve tel un nouveau Tsigane, un migrant à rebours qui quitterait l’ancienne terre promise, maintenant ravagée, l’Europe, pour se retrouver à Lampédusa attendant d’être accueilli par ces contrées que fuient actuellement par milliers des hommes, des femmes, des enfants qui craignent pour leur vie.
En signant un texte éminent poétique et politique, le jeune trentenaire questionne l’avenir, secoue nos certitudes et nous entraîne, porté par son chant fait de répétitions, de songes noirs, fantasmagoriques, dans son foisonnant imaginaire, dans une transe hypnotique. Refusant les étiquettes, il cherche dans chacune de ses créations à générer un univers totalement différent du précédent. Curieux, le regard brillant, il habite son texte et lui donne vie avec une grande énergie. Touché par sa gentillesse, son optimisme, son intelligence du monde, des choses, Clément Bondu séduit, envoûte. Après quelques réglages, cet artiste à suivre qui en a sous le capot prend le temps de parler de ses projets, notamment de Dévotion, la pièce à 14 personnages qu’il prépare avec les élèves de la promotion 2019 de l’ESAD (École Supérieure d’Art Dramatique de la Ville de Paris), de ses autres envies. Alors, tout comme moi, rendez-vous chambre 411, lieu singulier, chimérique, situé entre un hôtel soviétique désaffecté et les plateaux sauvages où notre héros romantique a posé un temps ses valises et laissez-vous embarquer dans ce voyage autant noir qu’empli d’un espoir.
Reportage réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’avenir de Clément Bondu
Les plateaux sauvages
5, rue des plâtrières
75020 Paris
jusqu’au 20 octobre 2018
du lundi au vendredi à 20H
durée 1h00 environ
Texte, conception et interprétation de Clément Bondu
Composition et interprétation musicales de Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau
Régie son : Mathieu Plantevin
Création et régie lumières, régie générale : Nicolas Galland
Crédit photos © OFGDA