Surnommé l’hyperactif musical, Julien Daïan a toujours mille projets dans la tête. En parallèle à la préparation d’un troisième opus pour son quintet de Jazz et des musiques de pub qu’il compose à la demande, il travaille avec deux de ses proches amis à un nouveau concept d’album Hip hop : Coolangatta. Riche de différents courants musicaux, son parcours créatif s’inscrit dans son époque. La musique de ce jeune saxophoniste de formation, séduit par son dynamisme, sa sincérité, et sa spontanéité…
Confortablement Installé à la terrasse d’un de ses cafés préférés au cœur du 14e arrondissement, Julien Daïan a l’attitude nonchalante des habitués. La voix grave, la musique dans les veines, et le verre de blanc en main, ce jeune trentenaire, aux allures de bobo parisien, a grandi à Marseille.
Initiation musicale
Né dans XVIIe arrondissement de Paris, jusqu’à ses 17 ans, il ne connaît de la capitale que ce qu’il a pu voir à l’occasion de vacances chez ses grands-parents. De son enfance dans le quartier d’Endoume, il a gardé en mémoire les harmoniques de l’accent, et la joie de vivre. « Quand j’étais enfant, se souvient-il, je ne faisais pas encore de musique. Par contre, j’en écoutais beaucoup à la maison. Mon père, un vrai parisien, était fan de pop américaine. J’ai donc été bercé aux tubes de Steevie Wonder ou encore les Beattles. Mais c’est ma mère, un ancien mannequin, qui m’a donné le goût du Jazz. Bien que le son soit plus « féminin », avec elle, j’ai découvert les mélodies de George Benson et de Miles Davis. Quant à mon frère aîné, c’est au rock qu’il m’a initié, vers mes 16 ans, avec des groupes comme Return to Forever et Uzeb. » La tête remplie de sons, d’harmoniques, et d’arrangements mélodieux, c’est à la batterie que le jeune Julien fait ses premiers pas en tant que musicien, après avoir pas mal squatté l’un des multiples « synthés » que son père achetait, même s’il en jouait peu. « A 16 ans, raconte-t-il, sous l’influence de mon frère et de ses copains, je me suis mis au saxo. Je voulais faire comme eux. Ce n’était pas la seule raison : chez un disquaire marseillais, j’avais découvert l’album Life on the planet groove de Maceo Parker. C’était décidé, en quittant Marseille pour Paris après le décès de ma mère, je me suis inscrit à des cours pour jouer de cet instrument à vent. » Loin des parcours classiques, c’est sur le tas que Julien Daïan a appris à jouer du saxo. Il en est de même pour son initiation au jazz. Sa plongée dans cette musique complexe s’est faite avec le temps. Après avoir écouté les musiciens préférés de sa mère, il découvre Charlie Parker, Jacky mc Clean et Wynton Kelly. C’est une vraie révélation. Entré au conservatoire, à l’âge de 20-22 ans, il intègre une classe jazz au conservatoire du 9e arrondissement. En parallèle, pour rassurer son père, le futur jazzman suit des cours de droit – il ira jusqu’à la maîtrise sans pour autant valider son année – et se pose, pour un temps, sur les bancs d’une école de commerce.
Saxo Forever
Pendant toutes ces années d’études, les vraies et uniques passions de Julien Daïan sont le jazz et son saxophone. Rien ne vaut les heures passées en compagnie de son instrument de prédilection et de son acolyte Boris Jeanne, plus connu sous le nom DJ Borz. Depuis l’âge de 18 ans, ces deux-là sont inséparables. « Depuis qu’on se connaît, s’amuse le jeune trentenaire, on fait du son, plutôt électro, et on tente de faire des disques. Je suis la caution « musique ». Je m’occupe des instruments. Je joue du piano, du saxo et je touche à toute la partie instrumentale. Boris, lui, s’occupe de tout ce qui est programmation (notamment électronique), et production : ça fait maintenant 15 ans que notre numéro de duettiste fonctionne. Nous sommes comme un vieux couple. On se retrouve toujours sur chaque projet, que ce soit avec le quintet pour composer les musiques de pub, ou sur d’autres productions, nous sommes quasi-indissociables. »
Dans les premiers temps de leur rencontre, les deux complices montent un groupe de musique électro du nom d’ ERNESTE. Le tandem a eu son petit succès avec un titre, sorti sur une compilation en Allemagne. « On était jeunes, à l’époque, se remémore-t-il, on faisait ça pour le « fun ». On devait signer avec un label spécialisé musique électro : ça ne s’est pas fait. On a continué notre bonhomme de chemin. C’était l’époque des « live sax ». Parallèlement au travail avec Boris, je jouais pas mal dans des clubs avec des DJ. C’était avant le conservatoire, puis les jams. »
Quintet, trio, et autres formations
Une fois en atelier avec d’autres musiciens, les choses ont changé. L’idée de s’associer à eux pour monter un groupe de Jazz a progressivement fait son chemin. De cette volonté est né le Julien Daïan Quintet. « Cela fait presque 10 ans, se souvient-il, avec un soupçon de fierté dans la voix, que nous l’avons monté. Et depuis, c’est toujours la même bande de musiciens. Evidemment, Boris nous a rejoints rapidement, et on a associé son univers DJ à la musique Jazz. Deux albums sont déjà sortis et on travaille actuellement à un troisième opus. »
A côté de cette formation purement jazz, la rencontre avec un rappeur, Tejan Karefa, sur le deuxième album du Quintet, a donné l’envie à Julien Daïan et son double, Boris, de créer une nouvelle formation associant leurs trois talents autour d’un son Hip Hop. C’est le Projet Coolangatta. A l’écoute des premières notes, on est convaincu. Le projet est abouti. On est transporté dans l’univers de ce trio de choc… L’état d’excitation du saxophoniste est à son comble : il a clairement hâte de faire découvrir cette nouvelle production, et cette nouvelle facette de son art de faiseur de son.
Loin de s’arrêter sur ses futurs lauriers, il tourne avec un autre trio expérimental qui répond au doux nom de Vanilla sax and the radiators. Batterie et saxo se mêlent dans des « mixes » surprenants, jouant sur les effets de réverbération à la façon d’une guitare électrique.
Ce trublion du Jazz a définitivement abandonné le droit et ses études, le jour où la musique lui a permis de vivre. C’est devenu son métier. Ainsi, grâce à l’argent gagné parce qu’il compose pour les « pubs », il peut se permettre de se faire plaisir et ainsi, jouer ses propres partitions. Son talent associe les différents courants. Ce fan de jazz a grandi en se nourrissant des musiques de son temps. L’électro tout d’abord, puis le Hip Hop, le ragga, le reggae, et enfin toutes les musiques dites « urbaines ». « C’est Boris, explique-t-il, qui m’a réellement appris à apprécier l’électro. En contre-partie, je l’ai initié au Jazz. De nos passions mutuelles, nous avons fait un mix. Et de ce mélange est né notre propre son. »
Le jazz, une passion
Ce passionné de déco aime l’art dans son plus simple appareil. Ses neurones mis à rude épreuve quand il compose – le jazz étant une musique aux accords et harmoniques compliqués, il préfère les bons blockbusters aux œuvres cinématographiques plus complexes. « L’art doit être un divertissement, explique-t-il. C’est aussi une source d’inspiration, bien évidemment. Toutefois, je m’enrichis surtout des gens que je croise et des sentiments un peu naïfs que j’ai. Pour moi, c’est le meilleur terreau pour faire du bon jazz. J’aime les mélodies, recréer avec des notes des images que j’ai dans la tête. Au final, j’ai une approche assez cinématique. Je ne cherche pas la profondeur mais la simplicité. Bien que le jazz se soit embourgeoisé et intellectualisé ces derniers temps, c’est à la base une musique composée par des gens simples, des diamants bruts, qui avaient des vies dures et qui prenaient des pains, mais capables, dès qu’ils touchaient un instrument, de créer des harmoniques compliquées… magiques. C’est le fameux paradoxe du jazz. »
Si, pour certains, cette musique est désuète et élitiste, il est bon de rappeler que les grands standards de jazz sont des reprises des chansons de comédies musicales des années 1930-1940. Ainsi, Les feuilles mortes ou C’est si bon font partie des grands classiques. « On retrouve actuellement ce principe où les jazzmans reprennent des chansons écrites par de vrais paroliers pour en faire des «impros », raconte Julien Daïan. C’est le cas de Brad Mehldau, l’un des plus grands pianistes de jazz actuels, si ce n’est le meilleur, qui a repris des musiques du groupe Radiohead. Comme la musique classique, le jazz est à la base une musique populaire, qui, avec le temps, devient plus élitiste. Les jazzmans d’hier sont les rappeurs d’aujourd’hui, des rebelles, des artistes. »
Si ce courant musical prend ces racines dans le blues, il s’est depuis métissé avec de nombreux autres types de musique tels que le rock, le funk ou la soul. C’est en se nourrissant de tout cela et en improvisant que le jazz est devenu ce qu’il est aujourd’hui. En digne héritier de ces grands musiciens, Julien Daïan joue avec les musiques qu’il écoute. A l’aise avec de nombreux instruments, il compose au piano, joue avec plaisir du saxo, mais aussi à la guitare où il s’éclate novice avec des morceaux de rumba camarguaise, inspirés des Gipsy king.
Amoureux de la vie et attentif aux autres, ce ténébreux saxophoniste marque d’une empreinte particulière et naturelle l’ensemble de ses compositions. Il en est de même avec Coolangatta – Album, qu’il écrit, réalise et produit avec DJ Borz et Tejan Karefa. Ce projet est le fruit d’une amitié, il se nourrit de leur relation libre et décomplexée. Le premier EP du trio devrait sortir au printemps. Si vous ne pouvez attendre pour (re)découvrir Julien Daïan et son univers, Le Quintet sera en concert le 13 mai au Musée de la chasse et de la nature à Paris et le 28 août au festival de Jazz de Bandol, qu’organise le jeune saxophoniste. Pour les plus mordus, il joue actuellement tout les samedis soir à 20 heures aux dessous d’Orphée en trio Jazz avec Tommaso Montagnani à la contrebasse et Vincent Bouigues au piano… un seul mot… Foncez, vous serez séduits…
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © James François Reeb