Réunissant sur un même plateau, la comédienne Macha Méril et l’ex-cantatrice Natalie Dessay, Christophe Lidon fait des étincelles. Avec délicatesse et finesse, il s’empare d’une des pièces, très rarement montée en France, de Stefan Zweig et offre à ses deux immenses artistes des rôles en or de femmes renonçant à tout pour l’homme magnifié, tant aimé. Un moment de théâtre intense et saisissant.
Vienne, 1919. La maison du célèbre poète Karl Franck, mort depuis longtemps, se réveille d’une longue torpeur. Véritable villa musée entièrement dédiée à la gloire du grand homme, le lieu à la magnifique décoration art déco s’apprête à rouvrir ses portes au public. Une lecture y est donnée, celle des œuvres de Friedrich (touchant Gaël Giraudeau), le fils. La soirée, qui est orchestrée de main de maître par la gardienne du temple, la veuve de l’artiste, la belle et rigide Léonore (éblouissante Natalie Dessay), et son fidèle affilié, le biographe de la famille (épatant Bernard Alane) a pour seul but de consacrer le jeune homme comme le digne successeur de cette figure exemplaire et tutélaire dont l’ombre de perfection plane et régit les vies de tous.
Rapidement, le vernis craque. Friedrich a des doutes et souhaite refuser cet héritage, trop parfait, trop lisse qui l’enferme dans une existence qui n’est pas la sienne et dont il ne veut pas. Il ne se sent pas à la hauteur de ce père devenu iconique. L’arrivée surprise d’une ancienne amie de Karl Franck, Maria Folkenhof (merveilleuse Macha Méril), détentrice de secrets compromettants, va tout précipiter. Sa présence suffit à faire trembler l’édifice, la Légende d’une vie.
De son regard acéré, Stefan Zweig croque avec beaucoup de sagacité les caractères bien trempés des protagonistes de ce drame familial. Il sonde leurs âmes, les pousse dans leur retranchement pour qu’ils se libèrent du carcan imposé par la société, ainsi que de la prison dans laquelle ils se sont eux-mêmes enfermés par amour, par dévotion ou tout simplement pour exister. Il esquisse ainsi le portrait d’un monde suranné, d’une bourgeoisie corsetée, où les femmes tentent de s’émanciper de la figure maritale tout en la portant aux nues, les enfants de la tutélaire et fantomatique présence de l’absent.
S’emparant de cette pièce, mal connue en France, du dramaturge autrichien, Christophe Lidon en fait une lecture sensible qui renforce la dimension émotionnelle de cette tragédie humaine. S’appuyant sur les merveilleux décors imaginés par Catherine Bluwal ainsi que sur l’adaptation fine de Michael Stampe, il signe une mise en scène en clair-obscur qui offre un écrin de toute beauté aux cinq comédiens.
Tous excellents dans leur partition et font vibrer les mots de Zweig. Natalie Dessay est impressionnante de vérité en créatrice de mythe, en femme hiératique qui cache tant bien que mal ses profondes blessures. Macha Méril, lumineuse en amoureuse délaissée rêvant de revanche. Gaël Giraudeau habité par le rôle de ce fils en pleine crise rêvant d’ailleurs, d’autre chose. Bernard Alane, tout en rondeur et souplesse, dans le rôle de l’ami fidèle qui a tout accepté même le mensonge pour que rien ne vienne ternir l’image parfaite du poète. Enfin, Valentine Galey parfaite en sœur aimante, en fille dévouée qui, par sa condition de femme, a échappé aux obligations familiales.
Portée par ce casting cinq étoiles, La Légende d’une vie version Lidon touche au cœur et brille de mille éclats. À voir sans tarder !
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
La légende d’une vie de Stefan Zweig
Théâtre du Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
A partir du 12 septembre 2018
Du Mardi au samedi à 20h30 & en matinée le samedi à 17h et dimanche à 15h30
Durée 1h40
Mise en scène de Christophe Lidon assisté de Natacha Garance
Traduction de Jean-Yves Guillaume
Adaptation de Michael Stampe
Avec Natalie Dessay, Macha Méril, Bernard Alane, Gaël Giraudeau et Valentine Galey
Décor de Catherine Bluwal
Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian
Musique de Cyril Giroux
Lumières de Marie-Hélène Pinon