Transformés en pantins mécaniques, en poupées de plastique grotesques, les dix-sept danseurs virtuoses de la Batsheva, corps contraints, grimacent, syncopent et répètent à l’envie les mêmes mouvements mécaniques, automatiques. S’inspirant d’un univers sportif cartoonesque, Marlene Monteiro Freitas se perd dans une parodie macabre qui tourne en rond, faute d’une ligne dramaturgique. Eprouvant !
Alors qu’un lourd dispositif de sécurité entoure le théâtre de l’Agora à Montpellier, afin d’éviter tous débordements, les danseurs de la célèbre compagnie israélienne prennent possession de la scène en attendant que le public s’installe, scandant quelques chants contemporains comme pour éloigner le mauvais sort, pour se donner du courage, de la force vitale. Et il leur en faudra beaucoup pour tenir les 90 minutes de l’étrange ballet qu’a imaginé pour eux la jeune chorégraphe d’origine cap-verdienne.
Dans un décor de gymnase, vêtus de tee-shirts et de shorts noirs, rouge aux lèvres, les dix-sept interprètes s’emparent de l’espace, s’éparpillent. Ils se préparent, chacun avec un rituel différent, à un combat sportif, à un match, dont on ne connaît ni les règles, ni le nom. L’un répète, les mêmes mouvements, l’autre s’assoie et médite, un troisième éructe et vomit la bile de stress qui semble l’assaillir. Puis, embarqués par la musique résonnant contre les murs avant de s’envoler dans les airs, ils se regroupent par deux, par trois et répètent mécaniquement les mêmes pas, les mêmes gestes. Si malgré le côté radical, bordélique, l’ensemble a quelque chose d’hypnotique, de magnétique, très vite, les danseurs devenus robots semblent pris dans les rets qu’a dressé, inventé Marlene Monteiro Freitas.
Réitérant, sans cesse les mêmes enchaînements, les mêmes phrases chorégraphiques, s’accrochant à quelques idées, que certains trouveront subversives, sans pour autant essayer de les développer, d’en tirer un fil conducteur qui permettrait de captiver les esprits vagabonds des spectateurs, la grammaire de Marlene Monteiro Freitas se perd dans les nimbes cyborg d’un monde que l’humain semble avoir déserté.
Corps contraints par une gestuelle saccadée faite de courtes séquences mises en boucle, les danseurs de la Batsheva, devenus maître en grimaces grotesques, se glissent dans la peau de quelques clowns tristes, de quelques Playmobils hébétés.
Quelques images retiennent l’attention. Derrière la non-danse, on perçoit la virtuosité singulière de cette troupe émérite. Disons le tout net, Canine jaunâtre 3 intrigue et ne laisse pas indifférent. Provocant pour les uns, pauvre et vide pour les autres, le ballet hystérique et macabre de Freitas laisse sur le carreau une partie du public, qui sort frustré d’avoir vu la Bastheva ainsi forcée, réduite à un numéro de manga énigmatique et impénétrable.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas
Festival de Montpellier danse
Théâtre de l’Agora
18, Rue Sainte-Ursule
34961 Montpellier
du 28 au 30 juin 2018 à 22h00
durée 1h30
Chorégraphie : Marlene Monteiro Freitas
Avec 17 danseurs de la Batsheva Dance Company : Etay Axelrod, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Ben Green, Hsin-Yi Hsiang, Chunwoong Kim, Rani Lebzelter, Hugo Marmelada, Eri Nakamura, Nitzan Ressler, Yoni (Yonatan) Simon, Kyle Scheurich, Maayan Sheinfeld, Amalia Smith, Imre Van Opstal, Erez Zohar
Assistant : Andreas Merk
Espace : Yannick Fouassier, Marlene Monteiro Freitas
Lumière : Yannick Fousssier
Création sonore : Dudi Bell
Recherche : Marlene Monteiro Freitas, João Francisco Figueira
Musique : Amy Winehouse, Back to Black ; Little Big, Big dick ; Heitor Villa-Lobos, Cantilena ; Chico Buarque, Construção ; Salif Keita, Folon ; Uri Caine, Goldberg Variations (J.S. Bach) ; Rihanna, Man Down ; Sergey Mikhalkov, My Edem Edem Edem ; Steve Reich, Music for Pieces of Wood ; Grace Jones (Edited by Marco da Silva Ferreira), Nightclubbing ; Nina Simone, Sinnerman ; Joy Division, She’s Lost Control ; Piotr Ilitch Tchaikovsky, Swan´s Theme ; Gustav Mahler, Symphony No.5 (Adagietto) ; Teresa Teng, The Moon Represents my Heart ; Nick Cave & The Bad Seeds, The Weeping Song ; Edited by Tiago Cerqueira, Rain et Storm
Spectacle organisé dans le cadre de la Saison France-Israël 2018
Crédit photos © Batsheva Company Dance