Pour l’ouverture du Festival Montpellier Danse, d’étranges créatures hybrides, tout droit sorties de quelques tableaux de Jérôme Bosch, de quelques bacchanales décrites par Dante dans son Enfer, peuplent le plateau. Puisant dans un imaginaire fantasmagorique et inquiétant où les corps humains sont déformés, Jacopo Godani signe un ballet apocalyptique, poétique et froid plus fascinant que sensuel.
Des sons stridents, pénétrants, d’une nature hostile grondent et résonnent dans l’immense salle de l’Opéra Berlioz. Lentement, le rideau noir se lève faisant apparaître un plateau dépouillé autant que singulier. Côté court, des tubulures métalliques forment des sortes de cages, de perchoirs. Côté jardin, de longues plaques de plastique forment un écran géant qui nimbe d’une lumière irisée un espace scénique plongé dans une angoissante pénombre. Des coulisses émergent des humains presque nus, aux gestes déliés, désarticulés portant pour la plupart des harnais. Les corps s’attirent, se mêlent, semblent se fondre pour former une sorte d’être unique, curieux aux multiples membres. Autour d’eux, des hommes à tête de chien et d’autres en costumes futuristes surveillent leurs faits et gestes, encadrent leur danse orgiaque. Sont-ils les gardiens d’un enfer terriblement réaliste ? Les vigies dominatrices d’un peuple à la dérive ?
Plongeant les spectateurs dans un monde apocalyptique, presque sadomasochisme, Jacopo Godoni esquisse le portrait d’une humanité réduite en esclavage, seul moyen pour faire perdurer l’espèce en voie d’extinction. Les images subliminales de squelettes d’animaux, depuis longtemps disparus de la surface de la Terre, en sont les principaux éléments annonciateurs. Conjuguant danse classique et ligne chorégraphique résolument contemporaine, l’artiste italien, directeur depuis 3 ans de la Dresden Frankfurt Dance Company, signe un ballet insolite où les corps de ses danseurs virtuoses semblent se tordre avec une fascinante facilité. Si parfois le propos se perd quelque peu dans une rhétorique indéchiffrable, dans une écriture à la fois riche, pléthorique, mais aussi clinique et redondante, les tableaux qui se succèdent enchantent, subjuguent un auditoire conquis par autant de sombre beauté, d’angoissant esthétisme.
Cultivant le paradoxe jusqu’à son paroxysme, Jacopo Godoni invite à découvrir un bestiaire futuriste, où les nymphes imitent la démarche des poules, où des exosquelettes transforment les hommes en satyres, où les êtres de chair, de sang ont perdu le goût de l’autre préférant aux caresses les coups de poing et de pieds. Si l’univers fantasmé par le chorégraphe tend vers une déshumanisation contre nature, la présence scénique de ses danseurs donne corps à l’ensemble.
Extinction of a Minor Species se joue de nos ressentis et alerte sur la possibilité d’un avenir des plus monstrueux. Un ballet hypnotique qui perd en émotion charnelle ce qu’il gagne en perfection et sophistication glaçante.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Extinction of a Minor Species de Jacopo Godani
Festival Montpellier Danse 2018
Opéra Berlioz / Le Corum
Esplanade Charles de Gaulle
34000 Montpellier
jusqu’au 23 juin 2018
Vendredi et samedi à 20H
Durée 1h15
Direction artistique, chorégraphie, lumière, décor, costumes, concept musical, structure et dramaturgie, concept vidéo projection : Jacopo Godani
Musique : 48nord (Ulrich Müller & Siegfried Rössert), Strings Parts, Live performed by Kubus Quartett, Rodion Shchedrin, Basso Ostinato for piano, Musikverlag Hans Sikorski, Hambourg, Live performed by Hermann Kretzschmar (Ensemble Modern), Live performed by Hermann Kretzschmar (Ensemble Modern), Improvisation sur le piano par Hermann Kretzschmar (Ensemble Modern)
Animation 3D et illustrations : Amir Andikfar, Jonas Lauströer
Avec 18 danseurs : Felix Berning, Tamás Darai, Daphne Fernberger, Gustavo Gomes, Anne Jung, Clay Koonar, Barbora Kubátová, Amanda Lana, Zoe Lenzi, Viktoria Nowak, Michael Ostenrath, Claudia Phlips, Vincenzo De Rosa, Carola Sicheri, Joel Small, David Leonidas Thiel, Sam Young-Wright, Ulysse Zangs
Crédit photos© Dominik Mentzos