Sous l’impulsion de Tom Leick-Burns, directeur des lieux, les Théâtres de la Ville de Luxembourg poursuivent leur engagement en direction de la jeunesse. Avec Spring Awakenings, adaptation libre de Frühlingserwachen de Frank Wedekind, Anne Simon convoque la fougue et la fragilité des premiers émois dans un univers doux et clair, qui contraste avec la violence insidieuse et omniprésente des écrans noirs des téléphones portables. Entre fidélité au texte originel et regards neufs récoltés en ateliers, la metteuse en scène, accompagnée du dramaturge Antoine Pohu, signe une création où les voix adolescentes tressent un dialogue vibrant avec celles de la fin du XIXᵉ siècle.
Deux époques, une même quête d’identité

En 1891, lorsque la satire dramatique paraît à compte d’auteur, le texte est aussitôt censuré pour pornographie, car dans ce brûlot, Wedekind bousculait les certitudes d’une société corsetée, abordant sans fard suicide, homosexualité, viol et éveil sexuel. La pièce ne sera jouée à Berlin que quelques années plus tard, en 1906.
Cent trente ans plus tard, si les formes changent, la sidération reste. Aujourd’hui, la surinformation a remplacé l’ignorance, le cyberharcèlement, la pédocriminalité ou l’anorexie s’immiscent dans les interstices d’une adolescence surexposée sur TikTok, Instagram ou OnlyFans. Pourtant, l’essentiel demeure : la quête éperdue d’identité et d’appartenance.
Paroles d’adolescent·e·s
Au fil de la création, Anne Simon et Antoine Pohu ont choisi d’enraciner leur réécriture dans une matière vivante, récoltée lors d’ateliers participatifs avec neuf adolescents volontaires. Pas de relecture imposée du texte de Wedekind, mais l’ouverture d’un espace de parole, d’observation et d’écriture. De cette immersion est née une langue contemporaine, bigarrée et mouvante, mêlant français, allemand, luxembourgeois et anglais, où surgit toute la poésie rugueuse, parfois maladroite, des jeunes générations.
Sur scène, la salle de classe devient théâtre de tous les possibles. On y lit, à haute voix, des extraits du texte original, laissant poindre en filigrane la noirceur tragique de l’œuvre. Ces éclats sombres, comme autant de rappels d’une violence tapie, contrastent avec la tonalité générale de la pièce, pastel assumé, émaillées de musiques originales pop électro signées par l’artiste queer Edsun. Là où Wedekind déployait un drame brutal, Anne Simon préfère l’esquisse sensible entre slam, confidences et chorégraphies légères où les douleurs s’expriment sans jamais plomber l’élan vital du plateau.
Miroir d’une société où le virtuel a pris le pas sur le réel

La structure éclatée de la mise en scène, fidèle à une écriture kaléidoscopique inspirée des codes des réseaux sociaux – les masques transparents transformant chacun en son avatar virtuel – , reflète la manière dont les adolescents d’aujourd’hui appréhendent le monde. Chaque vignette, chaque chanson, chaque saut de langue fonctionne comme un fragment d’univers : on y navigue entre aveux murmurés, scènes de groupe électriques et respirations musicales, dans un tourbillon d’images et d’émotions.
Entourés d’une troupe d’amateur·rice·s et de deux comédiens luxembourgeois chevronnés, épatants – Brigitte Urhausen et Jules Werner –, Jil Devresse, Felix Adams, Nicolas Lech et Milena De La Rubia, doubles des personnages de Wedekind, habitent la scène de leur fragilité et de leurs fulgurances. Ils touchent à l’endroit du sensible et ancrent le plateau dans un monde adolescent tel qu’ils l’imaginent, à hauteur de jeunes adultes.
Ce Spring Awakenings offre une relecture juste, à la fois légère et grave, d’une œuvre intemporelle. Une plongée délicate au cœur des métamorphoses adolescentes, portée par un regard sans jugement, infiniment attentif à la complexité du monde d’aujourd’hui.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Luxembourg
Spring Awakenings d’après l’œuvre de Frank Wedekind
spectacle en allemand, anglais, luxembourgeois et en français
Théâtre des Capucins
Théâtres de la ville de Luxembourg
du 25 avril au 11 mai 2025
Durée 1h40 sans entracte
Mise en scène d’Anne Simon assistée de Daliah Kentges
Texte d’Antoine Pohu
Avec Jules Werner, Brigitte Urhausen, Jil Devresse, Felix Adams, Nicolas Lech, Milena De La Rubia & Ceya Basaran, Sophia El Bedri, Theophile Pernot, Zoran Ravello, Mia Schumacher, Maya Stronck, Taika Viinamäki
Participants au workshop – Aaraw Ambat, Ceya Basaran, Sophia El Bedri, Line Kooy, Mia Schumacher, Alexander Sheil, Maya Stronck, Romain Valarier
Costumes d’ Ágnes Hamvas
Chansons et musique d’Edsun
Musique de Sergio Manique Jr.
Création lumière de Fränz Meyers
Video de Gilles Seyler
Maquillages et coiffure – Joël Seiller
Masque de Marc Morth junior