Le titre est emprunté au recueil de poésies, édité après la mort de Charlotte Delbo aux Éditions de minuit : Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivant. Dès son retour des camps, cette femme de lettres, qui fut la secrétaire de Louis Jouvet, a décidé que « puisque j’ai eu le privilège d’être témoin de ce paroxysme de l’histoire, d’y participer, la chance d’en revenir et la capacité d’écrire, eh bien, il n’y avait plus qu’à écrire ». Marie Torreton a puisé dans la trilogie Auschwitz et après (composée d’Aucune de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours) et Le convoi du 24 janvier, la matière à ce devoir de mémoire bouleversant.
Vivre et survivre ensemble

Arrêtée en 1943, elle se retrouve estampillée « Nuit et Brouillard ». Les nazis la déportent, ainsi que 230 femmes venues de toute la France et de toutes catégories sociales, à Auschwitz-Birkenau. Ce sera le seul convoi de politiques françaises à être envoyées dans ce « camp de la mort ». Elles entrent, comme elle le raconte avec une furieuse envie de chanter. C’est La Marseillaise qui résonnera ce jour-là. En 1944, Charlotte et ses camarades, encore vivantes, sont envoyées à Ravensbrück, d’où elles seront libérées en avril 1945.
Avec des mots précis, Charlotte raconte le quotidien, la peur, la faim, le froid, la mort qui rôde sans cesse et cette rage de survivre. Cela n’est possible que parce que ces femmes se soutiennent et s’entraident. Mais c’est l’art qui va permettre à Charlotte de tenir. Elle va se souvenir des poèmes appris et les ressasser. Apprendre par cœur Le Misanthrope, dans l’édition Les petits classiques Larousse, qu’une petite gitane lui a « vendu pour un quignon de pain ». Tout comme Germaine Tillon avec son opérette, Charlotte Delbo va pousser ses camarades à sortir de leur routine en rêvant. Elles monteront Le malade imaginaire. Ces femmes sont admirables et s’accrochent à la vie avec cette grandeur d’âme des mères, des filles, des sœurs, des copines.
Un subtil écrin
Pour sa mise en scène, Vincent Garanger a choisi l’épure totale. Seule une servante de théâtre occupe l’espace vide. Les lumières, avec jeux d’ombres, accompagnent très finement les histoires de ce quotidien atroce où parfois des petits miracles leur procuraient des rayons d’espoir. La voix de Marie Torreton nous transporte là-bas et les images surgissent. La très belle idée est que la comédienne dit le texte comme dans un murmure. Si cela demande un effort aux spectateurs, l’écoute qui en ressort est impressionnante. « Et je suis revenue. Ainsi, vous ne saviez pas, vous, qu’on revient de là-bas. On revient de là-bas et même de plus loin. ».
Marie-Céline Nivière
Prière aux vivants, de Charlotte Delbo
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris.
Du 1er avril au 24 juin 2025
durée 1h10.
Adaptation et interprétation – Marie Torreton
Mise en scène de Vincent Garanger
Lumière de Christian Pinaud
Son de Boris Boublil.