La Hchouma de Yann dacosta © Lola Ledoux
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La Hchouma, refuser le droit de cité à l’homophobie

Yann Dacosta imagine un face-à-face pédagogique pour faire du récit autobiographique de Brahim Naït-Balk un support de sensibilisation. Un théâtre dépouillé dont la violence est un fil conducteur.

Au Théâtre de la Reine-Blanche dans le nord de Paris, deux comédiens se passent un ballon de football et avec lui, un témoignage d’une brutalité inouïe. Virilisme, follophobie et violences sexuelles jalonnent un vécu dans lequel le placard a été synonyme de refuge, mais aussi de honte.

Il a fallu des décennies à Brahim Naït Balk pour faire la paix avec son homosexualité. Conditionné à aspirer à un modèle familial traditionnel (et donc hétéronormé), le jeune homme s’est construit dans la peur, l’inhibition, la honte. Entre la campagne franc-comtoise, le Maroc et la Cité des 3000 à Aulnay-Sous-Bois, le jeune homme a peiné à affirmer une identité. Partout autour, le non-dit, le virilisme et l’homosexualité comme figure repoussoir ultime.

© Lola Ledoux
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Des décennies plus tard, il signe un livre-témoignage, Un homo dans la cité, dans lequel il revient sur les violences physiques, verbales et sexuelles qu’il a subies à Aulnay-Sous-Bois. Il y est aussi bien question de la construction de son identité sexuelle que du traumatisme qu’il a hérité de décennies de harcèlement. En creux, ce qui s’écrit, c’est l’impossibilité pour lui d’incarner une performance de genre autoritaire, insensible et machiste, une forme de masculinité à laquelle le respect de ses pairs semble conditionné. On comprend aussi dans ces mots combien la masculinité hégémonique s’écrit en négatif et se définit par ce qu’elle n’est pas. Toutes les caractéristiques dites féminines sont proscrites, décriées, repoussées, à commencer par le fait d’être pénétré. La passivité comme tabou ultime de la sexualité masculine

Yann Dacosta a choisi de faire théâtre du récit de Brahim Naït Balk, dédoublé en plateau avec Majid Chikh-Miloud et Ahmed Kadri. La mise en scène, enlevée, tente de convoquer la violence sur scène, quitte à choquer, car c’est bien de cela dont il s’agit.

Arrachée aux lycées dans lesquels elle tient lieu de support pédagogique pour sensibiliser à l’homophobie, la pièce est présentée sans le débat qui la suit habituellement. Reste une dimension délibérément très explicative. On invite chaque spectateur à saisir la portée de ce qui lui est dit. Avec le degré indiscutable de violence qui transparaît dans le récit de Brahim Naït Balk, on espère créer une forme de consensus.

Les deux comédiens s’y renvoient la balle, littéralement, puisqu’un ballon leur sert tantôt de fardeau, de bâton de parole ou d’objet idéal pour un rapprochement. Le football sert de toile de fond, fédérateur pour les uns, excluant pour les autres.

© Lola Ledoux
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Si on peut se réjouir de voir des spectacles qui se pensent avant tout à destination des publics scolaires, la dimension pédagogique du témoignage trouve pourtant quelques limites. Tirer des enseignements d’un récit de vie suppose d’y lire des antagonismes clairs. Il y a d’un côté ce personnage qui aspire à vivre sa vie sexuelle et amoureuse, et de l’autre, celles et ceux pour lesquels cette simple vérité est insoutenable, tout autant pour ce qu’elle leur renvoie en miroir que pour ce qu’elle dit de la fragilité de leurs modèles de vie.

À l’heure où de nombreux partis d’extrême-droite européens ont capitalisé sur l’homo-nationalisme, à savoir la prétendue défense d’un modèle de civilisation tolérant à l’égard des minorités de genre et des minorités sexuelles contre une menace, forcément extérieure, le récit frappe par sa partialité. C’est sans doute le propre d’un témoignage. Mais les comparaisons entre une homophobie structurante et un racisme très occasionnel dans son parcours peuvent trouver des résonances malheureuses en milieu scolaire. Selon une enquête du Défenseur des droits en 2017, les jeunes hommes identifiés comme noirs ou arabes avaient 20 fois plus de probabilité de se faire contrôler par les forces de l’ordre. Une violence structurelle n’en efface pas une autre.

Le débat après la représentation doit certainement permettre de nuancer ce tableau dans lequel l’homophobie apparaît comme l’apanage des classes populaires, comme si on pouvait tenir des jeunes de cité pour seuls responsables du système structurellement homophobe qui a façonné la vie de Brahim. Mais le récit saisit malgré tout dans ses angles morts, à commencer par la bisexualité, une piste qui n’est jamais envisagée. Restent aussi quelques passages sur les relations avec de forts écarts d’âge ou des analyses sur l’homophobie intériorisée comme nécessairement lié à un désir refoulé dont la mise en scène ne parvient pas à se distancier.


La Hchouma d‘Yann Dacosta d’après Un homo dans la cité de Brahim Naït-Balk, édité chez Calmann-lévy
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris 

du 2 au 19 avril 2025
durée 1h

tournée
12 mai 2025 au Collège Daniel Fery, Limeil-Brévannes
13 mai 2025 au lycée Jean Macé, Vitry-sur-Seine
27 mai 2025 à la Cité Scolaire Valois-Rostand, Angoulême

Mise en scène de Yann Dacosta
avec Majid Chikh-Miloud et Ahmed Kadri
Collaboration artistique – Morgane Eches / Cie For Happy People & Co
Avec la participation de Sebastien Tüller de la Commission OSIG Amnesty International

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