Silhouette élancée, vêtue de noir, Lisbeth Gruwez invite à une ronde sans fin, une transe obsédante, des parcours de vies. Telle une toupie humaine, elle tourne, virevolte dans un mouvement magnétique pour conter ces femmes oubliées, mises en retrait de la mythologie à nos jours. Elle déroule le fil du temps pour leur rendre un poétique et vibrant Hommage. Captivant !
Dans un immense plateau de béton gris, vaste salle d’un bâtiment dont la construction semble suspendue depuis longtemps, une femme gracile de dos attend. Longue jupe noire, cheveux auburn bouclés, elle scrute au loin, par delà les immeubles tagués, espérant le retour de son homme, Ulysse, parti guerroyer aux côtés de Ménélas. Impassible, alors que les premières notes enivrantes, entêtantes de Maarten Van Cauwenberghe, second membre du duo Voetvolk, retentissent, elle s‘accroche à son poste d’observation. Puis de guerre lasse, lentement, elle se retourne, dardant de ses magnifiques et perçants yeux bleus les spectateurs. Penelope (fascinante Lisbeth Gruwez) avance, chaloupe. Un dernier regard vers l’horizon avant de s’abandonner à une transe virevoltante, un appel à l’absent, une prière aux dieux pour solliciter leur bienveillance.
Le son imaginé par s’intensifie. Le mouvement prend de la puissance. Lisbeth Gruwez, toupie éternelle, « derviche intemporelle », tournoie sur elle-même encore et encore. Telle une liane, son corps se tend, se tord, se plie. Chaque impulsion lui donne une stature, une émotion. Cette ronde incessante dessine en filigrane une vie de femme unique et multiple à la fois. Tempo lent ou rapide, les coups de sang, les coups du sort s’inscrivent à chaque geste, chaque tour. Mère, elle semble porter un nourrisson dans ses bras, un sourire éclaire son visage. Les traits se referment, triste nouvelle. Guerrière, amante, dans chaque pli de sa vêture, un état d’âme, une posture, une personnalité est gravée.
Reine, sorcière ou magicienne hantant tels des fantômes, les pages de quelques récits mythologiques, femmes d’aujourd’hui refusant l’ombre, l’impressionnante Lisbeth Gruwez, qui fut longtemps l’égérie de Jan Fabre, conjugue les temps dans une danse épurée, magnétique qui saisit les sens, ensorcelle. Attrapant le regard, l’intérêt d’un geste, d’une main levée, d’une cambrure, elle entraîne un public grisé dans une spirale de passions, de sentiment. Un moment rare, obsédant, plein de grâce, qui longtemps tourbillonne dans nos esprits pour notre plus grand plaisir.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Penelope de Voetvolk / Lisbeth Gruwez
Festival de Marseille
La friche de la Belle de mai
41 rue Jobin
13003 Marseille
Création 2017
Chorégraphie et interprétation de Lisbeth Gruwez
Composition de Maarten Van Cauwenberghe
Répétiteur : Lucius Romeo-Fromm
Création lumière : Harry Cole
Scénographie de Marie Szersnovicz
Costumes de Myriam Van Gucht
Crédit photos © OFGDA et © Danny Willems