Pour parler de l’oubli collectif des horreurs du XXème siècle, Magrit Coulon et Bogdan Kikena imaginent un musée désert et un personnel en crise existentielle. Un pas de côté séduisant, mais qui ne tient pas ses promesses.
Crise existentielle

Dans le musée européen de la mémoire et de la destruction, on fait les cent pas. Tout semble prêt. La visite semble elle-même bien rodée si on en croit le tour de chauffe d’une des médiatrices. Depuis la salle, on devine son acolyte, parti multiplier les parades, mégaphone au point, pour tenter de rameuter les foules. Seulement voilà, personne ne vient.
La foule délaisse-t-elle les musées ? À quoi bon se souvenir quand une société en voie fascisation boude délibérément son passé ? Le public s’est-il lassé du « plus jamais ça » ? Les deux personnages s’interrogent, s’interpellent et se familiarisent alors que partout ailleurs, on devine de l’hostilité, de l’indifférence.
Aux doutes s’ajoutent la peur. La peur que l’histoire se répète, que les nazis continuent de sévir (une peur légitime si on en croit l’organisation de groupuscules d’extrême-droite ces dernières années), que tout ça ne serve à rien.
La radicalité perdue
De cette situation d’attente, naissent deux personnages types qui, comme un duo de clowns, se complètent aussi bien qu’ils se repoussent dans leurs retranchements respectifs. Lui, guilleret, optimiste et sûrement un peu candide. Elle, procédurière, consciencieuse, tout en retenue.
Dans un premier temps, l’absence permet à Toutes les villes détruites se ressemblent de repenser les structures narratives, de raconter le vide et l’attente sans avoir besoin de les expliciter ; répéter un texte de médiation, pour soi, laisser deviner les œuvres par la poussière qui les recouvre doucement, dévoiler le doute par un simple regard.

Ces crises existentielles qui prospéraient dans la contrainte – l’absence de visiteurs – sont malheureusement minées par une voix off qui explicite les pensées des personnages. À une situation claire se superpose l’explication de ladite situation. Et c’est tout le parti pris de départ qui vole en éclat. Il en va de même pour les non-dits qui finissent par être dits, les occasions manquées qui sont rattrapées. Cette radicalité rare de proposer un récit en creux, une réflexion l’air de rien, est compromise par cette propension à s’en excuser, comme s’il avait fallu s’assurer que chacun comprenne bien ce dont il s’agit.
Des questions en suspens
Chaque spectateur ressort avec un livret qui vient compléter la pièce, la nourrir de documentation photos, de poèmes, de réflexions philosophiques et socio-historiques. Un après-spectacle bienvenu puisqu’il permet de prolonger les questionnements et de briser cet oubli instantané du public une fois qu’il quitte la salle de spectacle.
Restent pourtant quelques questions en suspens. En vérité, l’appellation du musée fait l’objet d’interrogations. Le musée séduit-il encore ? Pourquoi cantonner la destruction à l’Europe ? Faut-il y intégrer les exactions coloniales (et néo-coloniales) dont les États et entreprises européennes se sont rendus responsables ? Ce ne sont pas là des angles morts puisque tous ces doutes sont formulés, plus ou moins explicitement. Malheureusement, ces pistes ne sont pas réellement explorées et c’est la relation des deux personnages qui prime et avec elles, des détails plus accessoires.
Toutes les villes détruites se ressemblent constitue donc une proposition extrêmement prometteuse qui s’évertue à cacher sa propre radicalité en s’aventurant dans des pistes plus périphériques. Et ce, aux dépens, de la narration, de sa tension, de sa cohérence, mais aussi du propos qui finalement perd toute sa dimension politique.
Mathis Grosos – envoyé spécial à Nantes
Toutes les villes détruites se ressemblent de Magrit Coulon & Bogdan Kikena
création le 22 août 2022 à Un festival à Villerville
Tournée
9 au 27 avril 2025 au Théâtre Océan Nord, dans le cadre du Festival Espèce d’espaces
16 au 26 mai 2025 au T2G – Théâtre de Gennevilliers
Dates Passées
2 et 3 avril 2025 au TU de Nantes
16 février 2024 à la Pokop, Strasbourg
Conception de Magrit Coulon & Bogdan Kikena
avec Jules Bisson, Pascal Jamault et Maya Lombard
Écriture et dramaturgie – Bogdan Kikena
Mise en scène et son de Magrit Coulon