Boucles blondes encadrant son visage sculpté à la serpe, Mickaël Délis, assis dans un sofa rouge, style Empire, regarde, impassible, les spectateurs s’installer. Parfois, un léger sourire, une excitation de voir se remplir la salle, vient éclairer son austère physionomie. Ce n’est qu’apparence. Dès que les mots franchissent ses lèvres, le jeune trentenaire s’anime, s’amuse avec le public. Après un prologue dansé, avorté en raison d’une blessure au pied, il entre dans le vif du sujet : son sexe, sa masculinité, sa virilité. S’inspirant avec malice du Second Sexe de Simone de Beauvoir et de sa structure, il questionne le monde d’aujourd’hui, la place de l’homme dans nos sociétés patriarcales ébranlées par un féminisme croissant, salutaire pour plus d’égalité et de tolérance.
Une vie sans filtre
Tout commence dès son enfance. Vivant chez sa mère, après le divorce de ses parents, il l’entend à longueur de journée répéter, « Tous des salauds, Mickaël ». Phrase qui va longtemps résonner en lui. Crue, sans filtre, elle lui conte par le menu les jours heureux de son mariage, ses ébats amoureux, le corps vigoureux et sexué de son père, les tromperies consenties, puis la séparation, les blessures secrètes, la dépression, les médocs. Très tôt, la jolie tête blonde aux traits trop fins est confrontée au regard peu clément de ses congénères, fillette pour les uns, fils à maman pour les autres. Mais qu’est-ce donc que cette virilité dont son père lui rabâche les oreilles ? À quoi sert ce « chibre », comme il dit, pendant entre ses jambes ? Est-ce un organe de plaisir, un symbole de guerre, de domination ?
Questionnant sans relâche son corps, son expérience, Mickaël Délis puise dans ses souvenirs, se remémore ses années collège, sa complicité avec les jeunes filles de son âge, son incompréhension d’un monde qui le maintient à la lisière d’une hyper masculinité qui ne lui correspond pas, sa première fois qui enfin lui ouvre les portes de l’univers des hommes couillus, puis sa première passion amoureuse pour un garçon, l’acceptation de soi, de son homosexualité, ses liens forts et singuliers avec ses parents. Tout y passe. Il n’élude rien. Il parle de tout, se livre nu avec sagacité, avec subtilité.
L’homme en question
Porté par une mise en scène inventive, sobre, qu’il cosigne avec la pétillante Élisa Ruschke, Mickaël Délis s’amuse des mots, jubile des saillies drolatiques, charnelles, sexuelles qui font rougir et rire aux éclats son auditoire. Jouant tous les rôles, il se glisse avec virtuosité taquine, dans la peau de son psy, de sa mère, de son père, de ce boucher libidineux fier de le compter parmi les hommes à femmes, de cette petite amie « qui casse avec lui », car elle préfère un copain qui joue au soldat plutôt qu’à la poupée, etc.
Redéfinissant la condition de l’Homme, du masculin à l’aune d’un féminisme galopant, conquérant, Mickaël Délis invite avec son Premier Sexe à modifier nos propres perceptions d’un monde intolérant pour tendre vers une société plus égalitaire où l’amour de l’autre remplacerait la peur de l’inconnu. Un bien joli prêche porté par un non moins charmant et talentueux comédien, qui emprunte certes des chemins connus tout en renouvelant la balade. Une gourmandise savoureuse, un spectacle nécessaire !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le premier sexe [Étape#1] de Mickaël Délis
spectacle vu à la La loge en juin 2018
Durée 1h20
Reprise
Du 17 septembre au 27 novembre 2024, les mardis et mercredis à 19h15 à La Scala-Paris
co-mise en scène d’Elisa Ruschke
avec Mickaël Délis
Soutien, consultante, bras droit d’écriture : Chloé Larouchi
Création lumière & régie : Lucas Doyen
Crédit photos © Marie Charbonnier Gilbert