Le titre anglais original est Mirror Teeth (Les Dents du Miroir). Les dents sont celle que l’on peut avoir contre la société et le miroir celui qui reflète nos travers. Avec un beau trait d’esprit, Laurent Meininger a changé le titre par Souriez quoi qu’il arrive. Parce que c’est exactement ce que fait cette famille en apparence très ordinaire et pour qui, quoi qu’il se passe, « La vie est belle ! ».
Oh la belle famille que voilà !

La pièce démarre sur cette image du bonheur absolu chez des petits-bourgeois vivant dans « la plus grande ville du pays ». La mère, au foyer bien évidemment, accueille son époux qui rentre du boulot. « Bonjour mon chéri, ça a été au travail ? ». Le mari égraine les platitudes de sa journée qui ressemble à toutes les autres. Dans l’esprit d’une sitcom, nous faisons la connaissance des John et de leur sourire ultra bright : le père James, la mère Jane, le fils John et la fille Jenny. Et oui, que des J ! Le fiston est étudiant en littérature. La petite est une lycéenne de 18 ans « sexuellement active » !
Dans une verve so british, mâtinée d’un jeu de langage à la Ionesco, Nick Gill montre tous les dysfonctionnements de cette famille « ordinaire ». En y incluant un élément extérieur, Kwesi, le petit ami de Jenny, un enfant d’immigré africain désirant s’intégrer socialement et respectueux des règles de sa religion – comme celle de ne pas coucher avant le mariage –, l’auteur fait exploser la bienséance dans laquelle la famille aime soi-disant se complaire. En les sortant de leur zone de confort au troisième acte, les envoyant au Moyen-Orient vendre des armes, il pousse encore plus loin le bouchon ! Jouant avec tous les clichés de la société, l’auteur dénonce les hypocrisies, les stéréotypes, la violence, le racisme, la xénophobie, le patriarcat et l’inceste. Rien n’est épargné et c’est tant mieux !
Un univers impitoyable

Le ton sitcom permet de souligner l’absurdité de ces gens horribles. L’aspect trash devient corrosif. La mise en scène de Laurent Meininger est d’une efficacité redoutable. Sa scénographie l’est tout autant, un plateau vide représentant l’intérieur d’une maison témoin, aseptisé et formel. En partant au Moyen-Orient, ils ont gardé, par confort, la même déco. Le jeu de lumières, signé Anna Geneste, accompagne finement les dérèglements de cette famille qui ne craignait qu’une chose, que le ciel leur tombe sur la tête. Ici, cela sera le toit !
Alain Fromager est impayable dans le personnage du père. Avec ses cheveux longs et ses costumes très année 1970, parlant sans cesse de squash, il fait songer aux personnages d’Harold Pinter ou d’Andrew Payne. Le comédien se fait gigantesque lorsqu’il aborde toutes les horreurs dont est capable John. Jeanne François est remarquable en petite bourgeoise hystérique, égotique et décérébrée, qui ne voit rien et ne comprend rien. Avec ses airs de premier de la classe, Damien Vigouroux est parfait en fiston hypocrite et manipulateur. Loïc Djani est excellent en jeune homme bien propre sur lui qui va se faire laminer par un monde auquel il rêve d’appartenir. Lucile Delzenne est la révélation de ce spectacle. Elle s’est glissée avec aisance dans ce personnage de jeune fille aux formes généreuses et aux aspirations très nettes. Derrière son désir de sexe, son unique fantasme est d’être aimé. Bravo.
Marie-Céline Nivière
Souriez quoi qu’il arrive, de Nick Gill
Spectacle créé en décembre 2024 à l’Espace Bernard Marie Koltès – Metz, scène conventionnée.
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Centre dramatique national du Val-de-Marne
Manufacture des Œillets – 1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine.
Du 25 au 29 mars 2025
durée 1h45.
Tournée
Du 15 au 25 novembre 2025 aux Célestins – Théâtre de Lyon
Mise en scène : Laurent Meininger
Avec : Lucile Delzenne, Loïc Djani, Jeanne François, Alain Fromager, Damien Vigouroux, Stéphane Fromentin (musicien)
Scénographie : Laurent Meininger et Renaud Lagier
Lumière : Anna Geneste
Création son : Stéphane Fromentin
Costumes : Charlotte Gillard
Décors : Yan Cholet
Régie générale, plateau Simon Haratyk
Texte paru aux Éditions Presses Universitaires Du Midi, Nouvelles Scènes (sous le titre Mirror Teeth).