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Les créanciers, comptables rancuniers de l’amour

Au studio de la Comédie-Française, Anne Kessler adapte Les Créanciers d'August Strindberg.

Insidieusement, les mots, tels des couteaux, cisaillent les cœurs malades d’un amour soumis à caution quand il est bafoué. Dépoussiérant l’œuvre noire d’August Strindberg, Anne Kessler joue les gentils et chics machiavels quitte à en gommer le cynisme sulfureux des dialogues. À l’instar du décor froid, la créance de ces amants-là manque d’amertume malgré le jeu nuancé des comédiens du Français.

Derrière un voile blanc qui s’envole dans les cintres du théâtre, un atelier d’artistes se dévoile. Au centre, un jeune homme (Ténébreux Sébastien Pouderoux) en robe de chambre, ouverte sur son poitrail viril et dessiné, est perdu dans ses sombres pensées. Non loin de lui, un homme plus âgé (troublant Didier Sandre), portant un costume de lin clair et des petites lunettes d’intellectuel, darde son regard sur cette grande carcasse juvénile et dépressive, tel un chasseur sur sa proie.

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Rencontré, il y a peu dans cette station balnéaire située sur la Baltique, où la vie coule, paisible, Gustav tente de réconforter son nouvel ami, tout en lui ouvrant les yeux sur la nature démoniaque des femmes. Marié à la trop belle et virevoltante Tekla (cabotine Adeline d’Hermy), auteure d’un roman à succès, Adolf se sent de plus en plus délaissé, abandonné par celle qu’il adule, véritable muse de son art. Petit à petit, le travail de sape du premier, les mots à double sens, les phrases sibyllines, empoisonnent l’esprit enfiévrée du second. C’est le premier round.

C’est autour de la jeune et auréolée écrivaine de faire son entrée. Légère, pétulante, elle ne se doute pas une seule seconde des troubles qui agite son beau mari. Jeux amoureux enfantins, promesses d’adolescents, minauderies et niaiseries, calment un temps Adolf. Mais, très vite son visage se crispe. Entre deux feux, il perd pied et se retire, laissant son épouse perdue et perplexe. Le deuxième round ébranle les certitudes.

Vient alors le dénouement, les masques tombent. Gustav, premier mari de Tekla, vient réclamer sa créance d’amour, le solde de tout compte. La vengeance est terrible et anéantit tout espoir d’issue heureuse. Nos trois protagonistes sont exsangues. Le K.O. est prononcé à la fin de ce troisième et dernier round.

En donnant un coup de jeune aux dialogues ciselés et atrocement vénéneux d’August Stringberg, Guy Zilberstein renouvelle certes le boulevard chic, mais perd un peu de l’essence même de la pièce, son mordant, sa force destructrice. Et malheureusement, la mise en scène épurée, glacée d’Anne Kessler abonde dans ce sens. Préférant à l’âpreté des combats sanglants la douceur feutrée des conversations perfides, elle lisse le propos, l’affadit quelque peu. Cela se ressent sensiblement dans le jeu des trois comédiens, qui ne sont que meilleurs dans les confrontations. La violence des mots et la puissance des interprétations,révèlent magistralement les forces et les faiblesses des personnages.

Même si la frustration est au rendez-vous des amoureux de Strindberg, faute de ne pas avoir ressenti le soufre sournois de ce huis-clos psychologique où la femme débitrice, objet de tous les désirs et de toutes les haines doit payer sa lourde dette, il reste l’élégance d’une direction d’acteurs et la présence de trois comédiens virtuoses.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


AFF-lescreanciers1718-1_@loeildoliv

Les Créanciers d’August Strindberg
Comédie Française – Studio
99, rue de Rivoli
75001 Paris
jusqu’au 8 juillet 2018
du mercredi au dimanche à 18h30
Durée 1h15 environ

Mise en scène d’Anne Kessler
Adaptation de Guy Zilberstein
Traduction d’Alain Zilberstein
Avec Adeline d’Hermy, Sébastien Pouderoux et Didier Sandre
Scénographie de Gilles Taschet
Costumes de Bernadette Villard
Lumières d’Eric Dumas
Son de Mme miniature

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, Col. Comédie Française

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