Quelle belle ironie de prendre en titre cette figure de style de l’antiphrase, Les moments doux, pour explorer ce qu’est la violence. Elle est partout, dans les cours d’école, au travail, à la maison, dans les rues. Elle peut surgir physiquement, verbalement, insidieusement. Le spectacle est admirable car il semble poursuivre les débats qui ont pris place dans le questionnement de notre société.
Œil pour œil, dent pour dent ?
En 2015, l’affaire dite des « chemises arrachées » a fait le buzz dans les médias et les réseaux sociaux. Les images passées en boucle montrent deux dirigeants d’Air France chemise en lambeaux fuir sous les huées des salariés en colère. Les commentaires négligent d’expliquer la situation pour ne garder que la violence du geste.
C’est par l’image d’un homme à qui l’on arrache un morceau de chemise que démarre le spectacle. Puis dans un mouvement, apparaît une salle de classe « miniature ». Les enfants s’installent, regardent une image dessinée dans laquelle un kangourou saute à la corde, sous le regard d’un lapin et le tourbillon d’une abeille. Quid de celle-ci ? Que va-t-il lui arriver ? Une manière pédagogique de faire parler les enfants autour de la violence.
Le miroir d’une société
La scénographie impressionnante de Charles Chauvet instaure divers lieux, un bureau en open space dans un coin du plateau, à l’opposé un salon cossu avec divan et bibliothèque, et au fond un espace plus neutre et reposant d’un jardin d’intérieur. De ces trois points, la salle de classe et des modules translucides formant un couloir viennent remplir le centre. Tout est en place pour les différents tableaux mis en scène avec rythme et précision par Élise Chatauret, représentant toutes les formes où la violence peut se glisser.
Pour écrire leur texte, Élise Chatauret et Thomas Pondevie avec les comédiennes et comédiens, ont mené une enquête approfondie auprès d’experts (avocats, sociologues, historiens, philosophes) et récolté la parole de ceux qu’ils nomment « les experts du quotidien ». Ils abordent l’incident d’Air France, mais aussi celui des drames de France Télécom qui sont le résultat d’une déshumanisation des relations au travail liée à la rentabilité à outrance. Le prisme de l’école et de la cellule familiale permet de montrer la difficulté à définir la violence. La fin de leur spectacle, comme une mise en abîme, met en scène l’éclatement d’une troupe de théâtre obligée pour sa survie financière, de mettre dehors l’un des membres.
Une belle unité pour un spectacle frappant
Passant du monde de l’enfance à celui du travail, de l’individuel au collectif, de victimes à « bourreaux », parents dépassés, DRH en burn-out, salariés humiliés…, ils sont six et pourtant si nombreux. Dans ce foisonnement de personnages et d’émotions, les membres sociétaires de la troupe, qui étaient dans le précédent spectacle A la Vie, comme Solenne Keravis, Manumatte (Grès), Charles Zévaco et les nouveaux François Clavier (Vie et Destin, Maîtres anciens), Samantha Le Bas (Le Rameau d’or) et Julie Moulier (Indestructible, J’accuse [France],Histoire de la violence) nous ont transportés. Bravo.
Marie-Céline Nivière
Les mots doux, d’Élise Chatauret, Thomas Pondevie et la compagnie Babel
spectacle créé le 1er mars 2023 à La Manufacture – CDN de Nancy-Lorraine
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris.
Du 19 mars au 30 mars 2025
durée 1h30.
Tournée
8 avril 2025 au Gallia – Théâtre Cinéma de Saintes (17)
10 et 11 avril 2025 au Théâtre d’Angoulême, Scène nationale (16)
15 avril 2025 à L’Empreinte, Scène nationale de Brive-Tulle (19)
16 mai 2025 Les Passerelles de Pontault-Combault (77)
Mise en scène : Élise Chatauret
Dramaturgie : Thomas Pondevie
Avec François Clavier, Solenne Keravis, Samantha Le Bas, Manumatte, Julie Moulier, Charles Zévaco
Scénographie et assistanat à la mise en scène : Charles Chauvet
Construction décor : Les ateliers de la Comédie de Saint-Étienne – CDN
Costumes : Solène Fourt
assistée de Marion Morvan
Lumières : Léa Maris
Création sonore : Lucas Lelièvre.
