Ruth Childs © Marine Magnin
Ruth Childs © Marine Magnin

Ruth Childs, la fantaisie et l’instinct comme moteur

Danseuse et chorégraphe, l’artiste anglo-américaine installée en Suisse depuis plus de vingt ans cultive un esprit libre et indomptable. Explorant la danse comme une échappatoire au quotidien, elle façonne une œuvre inclassable, à la poésie brute et radicale.

Dans le cadre épuré et apaisant du Nabi, restaurant niché au cœur de Plateforme 10 à Lausanne, Ruth Childs s’accorde une pause bien méritée entre deux représentations. Le début de saison a été particulièrement dense : création de Fun Times, pièce pour cinq interprètes, tournées de ses solos Blast! et fantasia, résidences… Rien ne semble freiner l’élan de cette nouvelle étoile de la scène contemporaine helvétique. La danse, elle l’a dans la peau.

Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin
Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin

Silhouette longiligne, chevelure blond vénitien, regard clair, la danseuse et chorégraphe a grandi aux États-Unis, bercée par la musique et le mouvement. Née à Londres en 1984, elle découvre très tôt la fascination de la scène par ses lumières, ses costumes, sa magie. « J’ai commencé la musique très tôt, mon père est un grand mélomane qui nous a initié très tôt avec mon frère à cet univers. Néanmoins, l’envie de mouvement était plus forte. Je dansais tout le temps à la maison », raconte-t-elle. Si le nom de sa tante, Lucinda Childs, brille dans l’histoire de la danse postmoderne, c’est sa grand-mère qui l’initie, l’emmenant à New York voir des ballets. « Mon premier coup de cœur, c’était le ballet, le spectacle », se souvient-elle.

Dans la campagne du Vermont, loin des grandes métropoles artistiques, elle fait ses premiers entrechats dans une petite école locale. Soutenue par un professeur passionné, elle intègre un cursus sport-études en danse avant de rejoindre le London Studio Center à dix-huit ans. « J’ai commencé à me lasser du ballet, à ressentir des douleurs, un cadre trop rigide », confie-t-elle.

Très vite, l’étroitesse du cadre académique la contraint. Peu à peu, elle se tourne vers la danse contemporainequi lui ouvre un champ des possibles insoupçonné. C’est à Genève, au Ballet Junior, qu’elle trouve en 2003 son terrain de jeu. « Jai découvert un monde où chaque chorégraphe, chaque interprète apporte sa personnalité, où la recherche et lexpérimentation sont au cœur du processus », explique-t-elle.

La Suisse devient son laboratoire d’exploration, un espace où l’absurde et la fantaisie ont leur place. Elle se nourrit de rencontres décisives : Foofwa d’Imobilité, La RibotGilles JobinMassimo FurlanMarco Berrettini et Yasmine Hugonnet. « J’adorais improviser, j’adorais faire du théâtre. J’étais plus à l’aise dans ce cadre où je pouvais lâcher prise », ajoute-t-elle.

Blast ! de Ruth Childs © Marie Magnin
Blast! de Ruth Childs © Marie Magnin

Pendant plus de quinze ans, elle arpente les scènes aux côtés de figures majeures, oscillant entre rigueur et lâcher-prise, engagement absolu et espièglerie. Mais le saut vers la création personnelle est vertigineux. « Lenvie d’écrire mes propres pièces était là, mais je nassumais pas complètement. Lombre de Lucinda, pour qui j’ai dansé, planait et c’était intimidant », admet-elle.

Elle ose pourtant. En 2013, elle tâte le terrain avec le groupe pop Scarlett’s Fall, puis franchit un cap en 2018 avec The Goldfish and the Inner Tube, conçu avec Stéphane Vecchione. L’année suivante, elle crée son premier solo, fantasia, à l’ADC de Genève, puis enchaîne avec Blast! en 2022, présenté à La Bâtie. En 2024, Fun Times, sa première pièce de groupe créée à l’Arsenic de Lausanne, marque un tournant. « Après des années en studio seule, j’avais besoin d’échanger avec d’autres, de partager le processus », confie-t-elle.

Sa méthode de travail est instinctive, presque cinématographique. « Je pars souvent d’une image, d’une sensation, d’une énergie », explique-t-elle. Héritière des figures postmodernes new-yorkaises comme Yvonne Rainer et bien évidement Lucinda, sa tante, elle insuffle pourtant à son art une dimension plus personnelle. « Il y a quelque chose de très américain dans ma manière d’aller au bout des choses, de ne jamais lâcher prise. Mais il y a aussi mon côté britannique, mon humour pince-sans-rire. Chez moi, on faisait toujours des blagues, des parodies. C’est une manière voir le monde », raconte-t-elle.

Fun Times de Ruth Childs ©️ Marie Magnin
Fun Times de Ruth Childs ©️ Marie Magnin

En parallèle de ses créations scéniques, elle questionne sans cesse les frontières entre danse, performance et musique. Elle fonde, en 2014, l’association Scarlett’s pour porter ses projets et favoriser des processus collaboratifs. En 2016, une résidence de six mois à Berlin, soutenue par le canton de Genève, lui permet d’affiner ses recherches. En 2021, une bourse du Centre culturel suisse à Paris et de La Becque en Suisse l’amène à collaborer avec Cécile Bouffard sur Delicate People.

Aujourd’hui, Ruth Childs (artiste associée au CCN2 – Centre chorégraphique national de Grenoble 2023-2024) est résidente à l’Arsenic, Lausanne. Sa compagnie Scarlett’s est soutenue conjointement par la Ville de Genève, le Canton de Genève et Pro Helvetia pour la période 2024-2026. Clairement, l’artiste a le vent en poupe, ses passages en France, notamment à Avignon ou à l’Atelier de Paris/CDCN, sont remarqués et son travail salué.

Avec Fun Times, elle franchit une nouvelle étape, affirmant son passage d’interprète à créatrice. « Mon engagement sur scène est politique parce que jessaie de donner un maximum, d’être la plus sincère possible », affirme-t-elle.

Loin de s’arrêter en si bon chemin, elle continue d’explorer les croisements entre danse, vidéo et performance sonore. Son corps devient laboratoire, terrain de jeu, espace d’expérimentation. Ruth Childs ne se contente pas d’un cadre. Elle avance, toujours en quête, insaisissable et libre.


Fun Times de Ruth Childs
Création en octobre 2024 à l’Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Lausanne

Tournée
9 au 13 avril 2025 au Pavillon-ADC, Genève

Dates passées
21 et 22 novembre 2024 à L’Atelier de Paris / CDCN, avec le Centre culturel suisse, dans le cadre de la Swiss Dance Week

Chorégraphie de Ruth Childs en collaboration avec les danseur·euses
Avec Bryan Campbell, Ruth Childs, Karine Dahouindji, Cosima Grand, Ha Kyoon Larcher
Direction technique et création lumière – Joana Oliveira
Recherche et création sonore – Stéphane Vecchione
Assistante – Flow Marie
Costumes de Tara Mabiala
Scénographie de Melissa Rouvinet
Œil extérieur de Madeleine Fournier
Coaching vocal de Bertille Puissat

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com