Sur le plateau plongé dans la pénombre, des silhouettes s’esquissent. Ombres suspendues, fantômes en attente. La scène vibre d’une rythmique sourde, un battement en arrière-plan. Soudain, une présence surgit. Une danseuse fend l’obscurité, happée par un halo de lumière blanche. Son corps hésite entre lenteur et fulgurance, comme traversé par l’esprit d’Amaya. Mais ici, point de zapateado martelé, la frappe des talons cède la place à une gestuelle plus ample, plus aérienne. Une danse où l’empreinte du flamenco se devine, mais où l’écriture chorégraphique s’aventure ailleurs.
Dialogue entre hier et aujourd’hui

Bientôt, un danseur la rejoint. Puis un autre. Les sept interprètes, tous épatants, entrent progressivement dans l’espace scénique, terrain de jeu entre hier et aujourd’hui. Ils empruntent au flamenco son langage, mais en déconstruisent la syntaxe et en étirent le souffle. Bras qui cinglent l’air, torsions, enjambées nerveuses… Chaque corps s’empare à sa manière de la figure de Carmen Amaya. Certains en saisissent la rage gitane, d’autres la précision vertigineuse. Ensemble, ils tissent un dialogue, un maillage mouvant entre tradition et réinvention.
Carmen Amaya. Une icône pour les passionnés, un nom parfois méconnu du grand public. Née à Barcelone en 1913, elle danse dès l’enfance sur les tables du restaurant familial. Exilée en 1937, elle électrise Hollywood avant de revenir en Europe, marquant de son empreinte le flamenco moderne. Robes à volants abandonnées, pantalons adoptés, elle impose un style nerveux, percussif, une danse affranchie des codes. Peu d’archives subsistent, mais son aura traverse le temps.
Loin d’un hommage, une évocation

Aina Alegre ne cherche pas à raconter. Elle capte l’élan. Elle fouille dans l’instinct, dans l’urgence du geste. S’appuyant sur des rythmes flamenco déconstruits et sur un Boléro de Ravel revisité, elle entraîne ses interprètes dans une transe éruptive, une partition qui se compose et se défait sous nos yeux, oscillant entre tension et abandon. La musique pulse, les corps résonnent. Chaque envolée est rattrapée par une rupture, un contretemps, une dissonance qui relance l’élan. Loin d’une simple célébration, Fugaces est une expérience sensorielle, une onde vive autant qu’un hommage en perpétuelle métamorphose, que les magnifiques lumières de Jan Fedinger sublime.
Il y a dans cette création une matière dense, une recherche exigeante qui demande encore quelques ajustements et quelques petits resserrements. Mais l’essentiel est là : l’énergie circule, l’alchimie opère, et le public, emporté, se laisse happer par cette danse habitée où le flamenco dialogue avec d’autres langages, du fandango au hip-hop, en passant par la techno. Une onde vibrante où chaque mouvement revisité esquisse un rituel fiévreux où le corps devient mémoire et incarnation.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Fugaces d’Aina Alegre
Création
MC2 : Grenoble
4 rue Paul Claudel
38000 Grenoble
Durée 1h environ
Tournée
20 au 22 mars 2025 /à la MAC Créteil dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne / La Briqueterie – CDCN
25 Mars 2025 au Théâtre de Corbeil-Essonnes dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne / La Briqueterie – CDCN
23 et 24 avril 2025 au Festival Dias da Dança – Porto
19 et 20 septembre 2025 à la Biennale de la Danse de Lyon, France
Conception & direction artistique – Aina Alegre
avecAdèle Bonduelle, Maria Cofan, Cosima Grand, Hanna Hedman, Hugo Hagen, Yannick Hugron, Gwendal Raymond
Création lumière de Jan Fedinger
Création et espace sonore de Vanessa Court
Costumes d’Aina Alegre et Andrea Otín
Coordination technique – Juliette Rudent-Gili
Asssistante du projet – Séverine Bauvais