Léna Paugam © Isabelle Vaillant
Léna Paugam © Isabelle Vaillant

Léna Paugam : Quand le silence devient poésie scénique

Après l’avoir créé fin février au Théâtre de Lorient, la metteuse en scène présente Ovni rêveur – Le Corps éparpillé dans la tête du 12 au 15 mars à La Villette. Rencontre avec l’impalpable.

Léna Paugam : Tout a commencé par mon envie de travailler avec Babouillec. En 2018, lorsque j’ai mis en scène le scénario des Idiots de Lars von Trier, je me suis intéressée aux représentations et aux fantasmes liés à la figure de l’idiot. J’ai alors découvert ses textes, une écriture d’une force et d’une liberté inouïe. Je lui ai proposé de participer au spectacle en répondant à la question : « Les idiots sont-ils des anges ? » Sa façon de dynamiter les préjugés était absolument irrésistible !

Pendant des années, j’ai cherché comment faire vivre la poétique de Babouillec sur scène. Finalement, j’ai choisi de l’inviter à habiter le plateau, à explorer avec nous ce que la scène représente pour elle. Je voulais créer un espace où son langage puisse résonner dans toute son intensité.

OVNI RÊVEUR, LE CORPS ÉPARPILLÉ DANS LA TÊTE d' Hélène Babouillec, mise en scène de Léna Paugam © DR
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Léna Paugam : Absolument. Elle est autiste non verbale. Son rapport au monde est différent, et son écriture témoigne d’un regard singulier sur notre rapport à l’altérité. Accompagnée au quotidien par sa mère et des aidants, elle a encore très peu d’autonomie. Mais il était essentiel pour nous que le spectacle ne parle pas d’autisme, mais bien d’une rencontre sur scène entre elle, en tant qu’artiste, et le danseur et chorégraphe Thierry Thieû-Niang.

Pour des raisons de santé, ce dernier ne sera pas présent sur scène durant les représentations. C’est à présent le comédien et performeur Félicien Fonsino, formé par Thierry, qui l’accompagne sur le plateau. Nous avons exploré ensemble ce qui peut naître du silence partagé. Notre première question a été : comment mettre en scène un langage qui ne passe pas par la parole, mais par le corps, par la présence pure ? Après plusieurs semaines d’expérimentation, Babouillec a écrit un texte qui parle de notre travail. Dans le spectacle, il est porté par la voix enregistrée d’Arthur H.

Léna Paugam : C’était tout le défi ! Babouillec n’a pas la même organisation corporelle que nous : sa motricité et ses sensations sont différentes. Nous avons mené plusieurs résidences à La Villette, explorant un langage scénique qui passe avant tout par le corps. Nous avons improvisé de longues séquences à partir de thèmes choisis.

Quand son texte est apparu, nous avons suivi son fil en créant des tableaux oniriques qui évoluent selon la présence des deux corps en scène. Hélène (alias Babouillec) est très surprenante. Elle ne reproduit jamais les choses à l’identique. « On ne me fige pas dans la réécriture de mon esprit », me dit-elle. C’est un choix que je souhaite respecter. Mon parti pris est de ne pas contraindre ses mouvements et de la laisser libre de vivre son texte de l’intérieur, au présent de la représentation. Chaque soir est donc différent, ce qui rend chaque représentation unique.

© Aurélien Jan
© Aurélien Jan

Léna Paugam : C’est, je crois, ce qui fait sa beauté. Même si nous avons une structure narrative, nous avons appris à accueillir l’imprévisible. Babouillec ouvre le spectacle par un monologue écrit en direct : personne ne sait ce qu’elle va dire avant qu’elle ne l’écrive, pas même moi. C’est un moment d’une intensité rare, qui nous plonge dans son rapport à l’écriture, à la pensée, au monde. Cette scène initiale est comme une porte que nous franchissons avec elle, nous immergeant dans un autre rapport à l’écoute.

Léna Paugam : Son texte parle de la scène comme d’une hétérotopie, un lieu où tout devient possible, où la liberté d’être soi se manifeste pleinement. Elle s’amuse du paradoxe théâtral : « En liberté, l’animal est sauvage ; en cage, le fauve se rebelle. La scène est une liberté de cage pour donner au corps à vivre l’animal de l’autre, comme le sacre d’une naissance à l’envol de l’esprit. ». À travers le mouvement et l’immobilité, à travers ce dialogue singulier entre elle et Félicien Fonsino, nous assistons à une véritable danse de l’invisible. Sa poétique emplit l’espace.

© Julie Bertuccelli
© Julie Bertuccelli

Léna Paugam : Des choses qui semblent très simples nécessitent pour Hélène un travail et un effort considérables. Mais le fait d’être en scène avec Félicien a beaucoup de sens pour elle. Parler de la Rencontre, de ce qui la rend possible, de ce qu’elle requiert, dépasse la question de l’autisme et nous ouvre une porte vers notre humanité. Hélène a passé les vingt premières années de sa vie dans le silence total, sans école, sans apprentissage formel de la lecture ou de l’écriture. C’est par hasard que sa mère a compris qu’elle savait lire, en observant un simple jeu d’agencement de formes et la manière de le ranger. Pas à pas, années après années, elles ont cheminé l’une vers l’autre pour se rencontrer et se comprendre. Cette histoire est incroyable. Aujourd’hui, Hélène communique à l’aide d’une boite comprenant un alphabet de petites lettres. Écrire est devenu pour elle un acte vital, une manière d’être en relation avec le monde. Elle est l’autrice de plusieurs romans, œuvres poétiques. Dernièrement, est paru également un livret d’opéra.

Léna Paugam : Incontestablement. Babouillec est une des voix majeures de notre époque. Son courage, sa générosité, sa poésie dépassent toutes les limites et offrent. Son est une véritable ode à la différence et à la patience, à cet « amour du silence jusque dans son imperfection ». C’est une expérience inoubliable, une invitation à ressentir la force du silence et du corps en mouvement. Une véritable traversée poétique, où chaque spectateur est convié à reconsidérer la puissance du langage et de la présence.


Ovni rêveur – Le Corps éparpillé dans la tête de Babouillec
Création le 25 février 2025 au Théâtre de Lorient

Tournée
12 au 15 mars 2025 à La Villette – Paris
24 avril 2025 au Théâtre de la Fleuriaye à Carquefou

Dates passées
4 et 5 mars 2025 au Quartz – Scène nationale de Brest

Mise en scène de Léna Paugam assistée de Caroline Darchen
Avec Babouillec et Félicien Fonsino avec la participation de Véronique Truffert
Voix – Arthur H
Transmission chorégraphique – Thierry Thieû Niang
Scénographie de Pierre Nouvel 
Vidéo de Thomas Lanza
Création sonore de Xavier Jacquot 
Création lumières de Louisa Mercier
Costumes de Philomena Oomens 
Dramaturgie de Leslie Six
Régie générale – Damien Farelly
Accompagnement de Babouillec – Chimène Barros et Renaud Tefnin 

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