Dans sa nudité la plus totale, le plateau ne laisse rien deviner de ce qui va se jouer dans les minutes qui viennent. Pour l’heure, seuls quelques projecteurs, chaises et tréteaux disposés çà et là suggèrent que le théâtre peut advenir à tout moment. Mais dans la pénombre, les comédiennes et comédiens sont encore à s’échauffer, bavarder, ressasser leur texte tandis que le public finit de s’installer. Cette crudité, instituée d’emblée, dissémine quelques indices sur la suite à venir. En montant Orphans de Dennis Kelly, le tg STAN s’empare en effet d’une matière brute qu’il transforme peu, au bénéfice d’une interprétation qui puise sa force dans celle du texte.
Le jeu de la vérité
Le public n’était pas prévenu : à compter des premières notes de musique puissamment projetées dans les enceintes, il ne sera plus question de reprendre son souffle. Sans crier gare, les quatre interprètes mettent en marche la machine du théâtre qui se tend d’un bout à l’autre de la représentation. En quelques minutes, des planches de bois sont disposées en guise de plancher, créant un espace exigu tendant à représenter le huis-clos suggéré par le texte. Tout autour, l’espace est pourtant immense, mais le regard est nécessairement attiré au centre de ce plateau symbolique. Ici va se jouer le jeu de la vérité.
Et pour cause, dans Orphans, il est question de ce que l’on choisit de dire ou de taire. La mécanique de Kelly est d’ailleurs bien huilée. De non-dits en sous-entendus, l’auteur britannique joue avec les perceptions de ses personnages comme avec celles des spectateurs. À de multiples reprises, il laisse entendre qu’une résolution est possible avant de la démanteler dans la foulée. Ainsi mène-t-il sa pièce de révélation en révélation, au fil d’un thriller intra-familial dont la portée s’étend peu à peu. Car à mesure que Liam explique les raisons pour lesquelles il est couvert de sang, c’est tout le portrait d’une société qui se dessine en filigrane à travers les préjugés ou le racisme. Ainsi soulève-t-il progressivement une question morale, opposant la loi et la justice à la sensibilité et la protection que l’on attend de sa propre famille.
Révéler le texte
À dire vrai, le schéma narratif qui consiste à dévoiler la vérité par couches pour parvenir à une révélation finale n’a rien de particulièrement surprenant, d’autant qu’il est caractéristique de l’écriture de Kelly. Il y a donc peu de suspense à attendre de ce côté-là. Ce que propose le tg STAN, en revanche, c’est de révéler toute la violence tacite des faits en évitant leur surinterprétation. Ainsi Jolente De Keersmaeker, Atta Nasser et Haider Al Timimi s’affairent-ils à équilibrer leur jeu entre naturalisation et détachement. Texte à la main, Ibtissam Boulbahaiem évolue autour d’eux comme soutien en cas d’oubli… Et s’il s’agissait finalement d’autre chose que de théâtre ?
Cette version d’Orphans pourrait tout aussi bien être vue comme une reconstitution des faits, expliquant par là-même son peu d’artifices. Toujours est-il que c’est en suivant scrupuleusement le texte que le tg STAN en révèle l’humour, le rythme et la cruauté, essentiels à la dramaturgie. Augmentée par son interprétation autant que par la complicité créée entre interprètes et spectateurs, la pièce alimente alors une certaine empathie. Elle joue en définitive sur l’effrayant tableau de l’identification. Jusqu’où irions-nous pour protéger un proche ? Quelle valeur accorde-t-on à sa propre famille ? Des questions restées en suspens auxquelles il vaut peut-être mieux ne pas trouver de réponse…
Peter Avondo – Envoyé spécial à Toulouse
Orphans de Dennis Kelly
Théâtre Garonne
1 avenue du Château d’eau
31300 Toulouse
Du 5 au 8 mars 2025
Durée 1h
Tournée
10 et 11 mars 2025 au Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence
Texte : Dennis Kelly
De et avec Ibtissam Boulbahaiem, Jolente De Keersmaeker, Atta Nasser, Haider Al Timimi
Création lumières : Stef Stessel
Costumes : Sietske Van Aerde
