Un immense chapiteau bleu, blanc, rouge à la forme inédite, rappelant pour les uns une bouteille de vin, pour les autres un hangar à avion, s’est installé à deux pas du théâtre. C’est la marque de fabrique des frères Forman, qui, à chaque création, imaginent un nouveau lieu de spectacle nomade voyageant de ville en ville. Devant cette étonnante structure de toile plastifiée, une caravane très foraine sert de billetterie. Passé le contrôle, chacun est invité à prendre un masque d’oiseau. L’immersion dans le célèbre poème persan de Farid al-Din Attar, écrit en 1177, doit être totale.
Une atmosphère orientale

Regroupés devant l’entrée de cette étrange tente, les spectateurs pénètrent par petits groupes de vingt dans l’antre où les attendent surprises et émerveillements. Un oiseau noir, en surplomb, veille, tandis que des Persans, vêtus comme au XIIe siècle, guident le public jusqu’aux gradins dans un dédale de moucharabiehs et de miroirs. Conçu comme un passage initiatique, ce prologue invite à abandonner ses soucis pour instaurer une atmosphère de conte.
Trois anecdotes racontant la cruauté des rois ouvrent le bal. Loin d’être exemplaires, ces souverains de fables sont plus imbus de leur rang que soucieux du bien-être de leur peuple. Comment échapper à leur tyrannie et où trouver Simorgh, ce monarque bienveillant qui saura gouverner avec justice, en prenant soin des plus faibles et en offrant à chacun sa part de bonheur ?
Des plumes et des becs
Par la magie du théâtre et du cirque, les hommes se muent en oiseaux pour chercher cet être légendaire qui leur rendra espoir et vérité. Le chemin est long et semé d’embûches. Chaque volatile, à tire de plumes, entre dans la danse, avec ses humeurs, ses défauts et son caractère. Le paon, vaniteux, parade avec majesté, déployant sa queue aux mille couleurs. Le canard, plus pataud, s’amuse de ses atterrissages quelque peu grotesques, contrastant avec l’énergie bondissante de la pie, toujours en mouvement, toujours à l’affût. De discussions en palabres, d’entraide en solidarité, arriveront-ils à trouver des réponses à leurs multiples questions ?

Quelques coupes dans le texte original, dont la traduction française par Jean-Claude Carrière, a été monté notamment par Peter Brook et Guy-Pierre Couleau, allègent la narration, peut-être un peu trop, au risque d’atténuer la profondeur du voyage spirituel imaginé par le poète persan. Si l’amour et la vérité demandent des sacrifices – leitmotiv de l’œuvre –, la force du spectacle réside notamment dans la performance des circassiens. Leur mimétisme avec les volatiles est confondant. Ils se glissent dans les plumes avec aisance, tout en laissant entrevoir, derrière les déguisements, le maquillage et les masques, une humanité fascinante.
L’union entre artisanat et high-tech
La mise en scène de Petr Forman, qui, pour une fois, a travaillé sans son frère jumeau Matej, jongle habilement entre tradition et modernité. Si le spectacle déploie un charme presque désuet avec ses décors évoquant un théâtre d’antan, il se nourrit aussi des dernières innovations technologiques. Grâce au mapping et aux projections 3D, l’espace se transforme, s’agrandit, donnant l’impression de voler aux côtés des interprètes. Pendant une seconde, on traverse une jungle foisonnante, avant de frôler des ailes des falaises de pierre grises, puis de plonger dans une rivière. L’effet est saisissant.
Loin de la réalité, dans un univers bien à elle, cette Conférence des Oiseaux pêche peut-être par trop d’ellipses, laissant quelques spectateurs sur le côté de la route. Cependant, elle touche par sa capacité à mélanger artisanat et haute technologie, à faire virevolter les couleurs dans un ballet de plumes hypnotiques. Le conte est beau, c’est certain, même s’il se perd quelque peu dans sa narration et dans un visuel trop soigné…
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La conférence des Oiseaux d’après le poème persan de Farid al-Din Attar
Théâtre-Sénart
premières françaises
8-10 Allée de la Mixité, Carré Sénart
77127 Lieusaint
du 4 au 12 mars 2025
durée 1h20 environ
Tournée
22 au 26 mars 2025 à L’Azimut, Antony – Châtenay-Malabry en partenariat avec le Théâtre les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux Dans le cadre du Festival MARTO
8 au 16 avril 2025 au Théâtre de Caen dans le cadre du Festival SPRING
28 avril au 3 mai 2025 à la Maison de la culture de Bourges, Scène nationale
15 au 21 mai 2025 au Cratère, Scène nationale d’Alès
23 au 29 juin à L’Arc, Scène nationale Le Creusot en partenariat avec l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône
Mise en scène de Petr Forman
scénario d’Ivan Arsenjev, Petr Forman et Jean Claude Carriére
création plastique de Josef Lepša
musique de Simone Thierrée
conseiller littéraire au sujet d’Attar Nora Sequardtová
avec Manuel Ronda (Itálie), Daniel Raček (Slovensko), François Brice (France), Rob Hayden (USA), Milan Herich (Slovensko), Maureen Bator (France), Petr Forman, Marek Zelinka, Veronika Švábová, Tereza Krejčová, Miroslav Kochánek, Zuzana Sýkorová, Ivan Arsenjev, Petr Horký, Philippe Leforestier, Hana Rabenhauptová, Ivan Zobák Pelikán