Gaëlle Hermant © DR
Gaëlle Hermant © DR

Gaëlle Hermant : artiste du sensible et de l’invisible

Après Danser Delhi d'Ivan Viripaev, pour sa deuxième mise en scène, la metteuse en scène porte sur la scène du TGP, avec la complicité d'Olivia Barron, ses propres mots. Avec Maria, elle plonge dans l'univers singulier d'une cartomancienne. Entre deux répétitions, elle remonte le fil mémoriel de son parcours.

Votre premier souvenir d’art vivant ?
Ma mère qui chante Atom Heart Mother de Pink Floyd à tue tête : une transe entre beauté rage et liberté. Toutes les œuvres de Myazaki pour la puissance féminine, la puissance des sujets abordés dans un espace poétique décalé où le rêve emplit la réalité.

Le théâtre de Villepreux où j’ai pu voir passer tant d’artistes et commencer la musique et le théâtre là-bas. Je me souviens très bien de la sensation d’entrer en scène pour venir jouer mon premier morceau de violon lors de l’audition de l’école de musique. Le silence avant de commencer. Cette chaleur de réunir des gens dans une salle pour assister en direct à un partage sensible ne m’a jamais quitté.

Photo de répétition de Maria de Gaëlle Hermant et Olivia barron © Gaëlle Hermant
Photo de répétition de Maria de Gaëlle Hermant et Olivia barron © Gaëlle Hermant

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
J’étais une enfant clairement hyperactive et vu que je fatiguais un peu tout le monde, on m’a inscrit à beaucoup d’activités. Aujourd’hui je réalise à quel point j’ai  eu une chance extrême de découvrir tant de choses et à quel point je suis profondément constituée de tout ce rapport à l’art et au sport. J’ai fait du judo et du violon pendant plus de 10 ans. Le week end j’étais en compétition et en audition.

A 13 ans je suis entrée dans une troupe amateur adulte, ils n’avaient pas assez de monde et ils m’ont autorisé à venir, avec ma mère. Tous les ans nous créions un spectacle au Théâtre de Villepreux. Et j’ai quitté cette troupe à 18 ans quand j’ai été prise à l’école Claude Mathieu. Je n’y croyais pas du tout.

Le jeu était pour moi un tel endroit de vertige et d’abandon. J’ai adoré cette sensation qu’au théâtre il y a toujours quelque chose en mouvement, que rien n’est jamais figé parce qu’on travaille avec le présent et qui on est. Cet espace infini de recherche avec le sensible. Toute mon enfance mon père m’a répété cette phrase « Touche à tout, bon à rien. » Et le jour où j’ai été prise à l’école Claude Mathieu, j’ai eu la sensation de trouver un endroit où tout se rejoignait. Ca m’a permis de me recentrer.

Pourquoi ce métier ?
La mise en scène a été pour moi une suite logique dans le rapport au plateau. J’ai commencé par le jeu et j’ai très vite été fascinée par le rapport à la construction,  quelle résonance crée ce texte, cette oeuvre ici et maintenant. Je suis profondément émue de voir un.e comédien.ne se développer et trouver le rapport à un texte à travers sa propre sensibilité. Ce métier m’offre une place au coeur de notre société. C’est une liberté de penser et de choisir de défendre des sujets qui est extraordinaire.

Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé. Une anecdote marquante ?
Je me souviens d’un week end assez fou où je passais d’une représentation en extérieur dans un parc avec la troupe amateur où je jouais Ania dans La Cerisaie et enchainer avec les répétitions de Faust, l’opéra que nous montions au même moment avec la chorale du collège et où je chantais un des diables. Je me souviens d’un tourbillon de vies et d’émotions et ressortir de ce week-end là avec la sensation d’être vivante.

Danser Delhi d'Ivan Viripaev, mise en scène de Gaëlle Hermant © DR
Danser Delhi de Viripaev, mise en scène de Gaëlle Hermant © DR

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La première fois que j’ai vu jouer Kathryn Hunter dans une pièce de Peter Brook aux bouffes du Nord. Et Note on the Circus puis Grande – de Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel. Parce que leurs spectacles sont unique et non identifié. Pour leur folie, leur joie et leur liberté.

Quelles sont les belles rencontres qui ont marquées votre parcours ?
Ce métier est fait de rencontres. J’ai eu la chance de croiser la route de Jean Bellorini avec qui j’ai beaucoup travaillé sur la troupe éphémère au TGP à Saint Denis, où nous montions un spectacle chaque année avec des jeunes de Saint-Denis. « La Troupe éphémère est une des incarnations de ce rêve, où chaque jeune comédien est aussi un citoyen poète. » Jean a été la première personne à soutenir mes spectacles. Tout comme Macha Makeïeff. La rencontre avec Julie Deliquet et le soutien qu’elle m’apporte aujourd’hui est à son tour marquant dans mon parcours.

Et au sein de mon équipe, j’ai la chance de travailler depuis plusieurs spectacles avec des personnes que je considère comme mes piliers dans la création : Viviane Hélary en musique, Benoit Laurent en construction et lumière, Léo Rossi-Roth au son, Olivia Barron en dramaturgie et co-écriture, Noé aux costumes et Jules Garreau en jeu.

Où puisez-vous votre énergie créative ?
Dans ma famille, de médecins, le soin aux autres, l’empathie et l’altruisme sont  des valeurs centrales. J’ai été confrontée très jeune à notre rapport à la mort, aux maladies, et très vite la compréhension que nous ne sommes pas invincible m’a donné un rapport à la vie assez puissant et joyeux. Une certaine urgence de vivre et d’avancer. Je crois énormément à la puissance du présent. Je réalise tous les jours que défendre des sujets qui me tiennent à coeur à travers mon métier est un luxe à préserver. Et depuis que j’ai des enfants leur joie, leur inventivité et l’envie de me démener pour leur transmettre ca continue de renforcer la nécessité de défendre le théâtre, cet endroit de rencontre et d’humanité.

En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Parce que c’est essentiel. On vit actuellement une période où la culture est en danger. Cette création est une bataille de trois années pour que tout tienne debout. A chaque étape on m’a dit que ca n’allait pas fonctionner, que je n’y arriverais pas. Trop ambitieux, six personnes au plateau, une co-écriture, il n’y a plus d’argent, tout était mouvant. Actuellement, nous ressentons toustes que le monde est en train de prendre un grand virage, et ce n’est pas le moment de l’accepter ou d’abandonner, mais c’est le moment de se battre.


À l’heure où partout sur le territoire national, au-delà de restrictions budgétaires, se multiplient des attaques idéologiques sans précédent contre le service public des Arts et de la Culture. A l’heure où certaines régions et certains départements décident de la suppression parfois totale de leurs subventions à la Culture, il est urgent de rappeler que la culture doit rester un service public pour que soient préservés ces espaces de dialogue, de liberté artistique, de complexité, de curiosité pour l’altérité qui fondent notre humanité.

Photo de Répétion de Danser Delhi de Viripaev, mise en scène de Gaëlle Hermant © OFGDA
Photo de Répétion de Danser Delhi de Viripaev, mise en scène deGaëlle Hermant © OFGDA

Que représente la scène pour vous ?
Un endroit où le partage avec le public d’une histoire intime permet le partage d’un propos de façon sensible. Avec ce spectacle Maria je souhaite transmettre l’histoire de cette femme et inviter chaque spectateurice, comme elle le fait dans sa vie et sa pratique, à partager leurs histoires, leurs doutes. « Pour que l’humanité puisse mieux rêver pour mieux réaliser les choses ». Son histoire est le chemin d’une réparation en cours, la scène peut permettre ça et ça je trouve ça magnifique.

Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer ?
Quand mon cerveau et mon cœur sont alliés dans la nécessité absolu de raconter.

Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Avec des artistes dont la bienveillance, la joie et l’amour de l’autre sont au coeur de ce qu’iels sont et de leurs démarches.

Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Si tout est possible je rêverais de participer au retour en puissance d’un vrai service public soutenu par l’état (école, hôpital et culture). J’ai la chance d’être aidé par des subventions publiques et j’ai bien conscience que sans elles mes projets ne pourrait pas voir le jour. Et je les vois se dégrader. J’aimerais être associée à une maison, à un théâtre, un territoire et trouver du sens à développer une mission de service public grâce au théâtre. Je ne me dis pas que c’est impossible. Je me dis juste qu’il faut nous en donner les moyens. Aujourd’hui mon rêve est de pouvoir continuer à exercer mon métier.

Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Je suis fascinée par Kae Tempest.


Maria de Gaëlle Hermant et Olivia Barron
Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis Cedex
Du 6 au 16 mars 2025
durée 1h45 environ

Tournée
11 avril 2025, Théâtre Eurydice, ESAT, Plaisir

Mise en scène et scénographie de  Gaëlle Hermant
Avec John Arnold, Manon Clavel, Boutaïna El Fekkak, Jules Garreau, Viviane Hélary (VIOLON), Claudine Pauly (VIOLONCELLE)
Chorégraphie de Stéphanie Chêne
Lumière, régie génrale et construction du décor -Benoît Laurent
Musiquede Viviane Hélary
Son de Léo Rossi-Roth
Costumes de Noé Quilichini
Fabrication de maquette et suivi de construction –  Margot Clavières

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