Irène Jacob © Richard Schroeder
Irène Jacob © Richard Schroeder

Irène Jacob, une voix entre les mondes 

Entre deux répétitions, la comédienne à l'affiche dans quelques jours de Golem, la nouvelle création d’Amos Gitaï, parcourt sa carrière avec une sensibilité lumineuse et une passion déliée, ponctuée d’intenses pas de côté. 

Voix feutrée, regard profond, sourire discret, Irène Jacob fait partie de ces artistes dont la présence saisit. Sur pellicule comme sur les planches, elle dégage une intensité rare, une humanité tout en retenue. « Ce qui m’attire, c’est la richesse des histoires et des collaborations », explique-t-elle. Son parcours, jalonné de rencontres et d’explorations, témoigne d’une curiosité insatiable pour les récits et les voix qui les portent. 

Golem d'Amos Gitaï © Simon Gosselin
Photo de répétition © Simon Gosselin

Parmi ses collaborations les plus marquantes, celle avec Amos Gitaï occupe une place singulière, inscrivant son travail dans une réflexion sur la mémoire, l’identité et l’engagement artistique. De La Voix humaine de Roland Auzet où elle murmurait les mots de Cocteau dans un cube de plexiglas suspendu au-dessus des spectateurs, à La Maladie de la mort d’après Duras sous la direction très cinématographique de Katie Mitchell, elle n’a cessé d’explorer des territoires singuliers et de s’aventurer sur de nouveaux chemins.

Irène Jacob rencontre Amos Gitaï par son mari, l’acteur Jérôme Kircher, qui faisait partie de la distribution d’Exil intérieur. « Présenté au Théâtre de la Ville, la pièce mettait en lumière les écrivains de la Résistance à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Elle évoquait la manière d’aborder, par les mots, ce qui va advenir, ce que l’on pressent avant le drame. Comment prendre position, comment rendre compte ? » C’était un très beau spectacle, toujours accompagné d’une musique en live extraordinaire.

Le courant passe entre le réalisateur israélien et la comédienne. Elle participe à son spectacle suivant, Les Derniers jours d’Itzhak Rabin. « C’était vertigineux, je plongeais au cœur de l’actualité brûlante, d’un moment historique où la paix entre Israël et la Palestine était envisageable. Rabin et Arafat se rencontraient, se serraient la main, scellaient un pacte… puis la violence s’intensifiait jusqu’à l’assassinat de Rabin. L’espoir se brisait et sur le plateau, nous donnions, avec un Chœur, voix à cette tragédie. »

Golem d'Amos Gitaï © Simon Gosselin
Photo de répétition © Simon Gosselin

Cette démarche se prolonge dans Golem, où elle retrouve Amos Gitaï pour la troisième fois. « C’est avant tout une aventure collective extraordinaire. Sur scène, des Palestiniens, des Israéliens, des Français, un Iranien… On parle arabe, yiddish, hébreu, français et ce langage universel : la musique. » En explorant la figure mythique du Golem, créature artificielle protectrice, mais incontrôlable, Amos Gitaï questionne à travers les mots d’Isaac Bashevis Singer, de Joseph Roth, Léon Poliakov, Lamed Shapiro, ainsi que par ceux des artistes au plateau, le sort des minorités et leur capacité à renverser les rapports de force. Le mythe du Golem propose la création d’un être artificiel, un  « super-héros » pour se sauver. « Cela nous renvoie à nos propres créations modernes, comme l’intelligence artificielle… Saurons-nous toujours les maîtriser ? »

Travailler avec Amos Gitaï implique une approche singulière. « Il conçoit le spectacle comme un cinéaste, en arrivant avec des projections, des musiques, une direction visuelle très forte », analyse Irène Jacob. Puisque chez le metteur en scène israélien, la musique joue un rôle central, dans cette nouvelle création se croisent des chœurs et des voix de divers horizons. « Il y a une chanteuse palestinienne, une autre qui chante en ladino, l’espagnol des juifs séfarades d’Espagne et de leurs descendants, des chants en yiddish… C’est un spectacle porté par des voix, quasi opératique. » 

Loin du jeu naturaliste qu’elle affectionne, elle s’immerge dans une mise en scène stylisée. « Nous avons proposé des scènes ludiques, comme Micha Lescot en juge excentrique du fanatisme religieux ou moi en petite fille. Mais le spectacle a aussi pris une tournure solennelle, poétique et abstraite. » Une évolution qui prend volontairement du recul sur l’actualité pour évoquer l’ancienneté du mythe Golem, les injustices et persécutions qui à travers les siècles universellement l’accompagnent.  « Golem tu es l’esprit de l’exil, l’âme collective de tous ceux qui errent sur la terre. Protège les vagabonds, les nomades, les opprimés… de tout le mal et les difficultés que leur infligent leurs persécuteurs. », récite la comédienne.

Golem d'Amos Gitaï © Simon Gosselin
Photo de répétition © Simon Gosselin

La narration est un élément important qui traverse son travail d’actrice que ce soit chez Katie Mitchell, dans La maladie et la mort  ou  chez Thomas Ostermeier dans l’adaptation de Retour à Reims de Didier Eribon, où elle devient une passeuse de texte, une voix qui façonne la pensée. « C’est magnifique la pensée vive, c’est comme si à chaque mot on tentait de comprendre le monde, soi, l’autre, ses malaises et ses espoirs. J’ai toujours admiré les conteurs qui vous emportent loin, leur pensée est pensée longue », remarque-t-elle. « Un sociologue, un philosophe, un écrivain… Ils vous emmènent dans une histoire dont ils connaissent déjà les virages, les détours, les précipices. J’aime l’idée d’accompagner le spectateur dans ce voyage. » 

Avec le conte de Singer, qu’elle porte dans Golem, c’est d’autant plus singulier et troublant, qu’il a écrit toute sa vie en yiddish. « Quand il a reçu le prix Nobel de littérature, se souvient-elle, il a dit une chose magnifique : que la raison principale de ce choix est parce que j’aime les fantômes. Et que rien ne va mieux aux fantômes qu’une langue qui se meurt. Plus la langue est morte, plus le fantôme est vivant. Pour autant que je sache, tous les fantômes parlent le yiddish, adorent le yiddish et le parlent… » Passionnée, elle vibre à travers les mots, les histoires qu’elle porte en scène ou devant une caméra. Il y a en elle une sorte de feu sacré, pas celui qui consume, mais plutôt celui bienveillant, qui réchauffe et envoûte. 

Golem d'Amos Gitaï © Simon Gosselin
Photo de répétition © Simon Gosselin

Si son travail avec Amos Gitaï illustre son goût pour l’engagement collectif, il s’inscrit aussi dans un cheminement artistique où le récit et la transmission sont centraux. Depuis son enfance, Irène Jacob ressent cette attraction pour le conte. « Petite, jadorais interpréter ma famille, jai écrit de petites pièces, raconté des histoires en participant à une radio libre … Jouer a toujours été une évidence. »

Sa carrière oscille ainsi entre cinéma et théâtre, entre œuvres grand public et projets plus intimes. « Je choisis souvent en fonction des gens, de laventure quils proposent », souligne-t-elle. 

Ce goût pour les grands écarts artistiques, son éclectisme la mène à incarner une inspectrice dans la série Log-out d’Ami Cohen, un thriller haletant qui sera présenté en mars au festival Séries mania, ou glisser dans la peau de Madame Maigret dans le prochain film de Pascal Bonitzer qu’elle tourne actuellement. « Je suis heureuse de rencontrer des univers différents. Récemment, j’ai eu la chance de tourner avec le réalisateur Rithy Panh au Cambodge, jamais, je n’aurais pu l’imaginer !« 

Quant à la notoriété, elle ne la fuit pas, mais elle ne la cherche pas à tout prix non plus. « Si un film dans lequel je joue faisait cinq millions dentrées, je serais ravie !  », dit-elle en riant. « Mais comment le prévoir ? Ce qui mintéresse, cest la richesse des histoires et des collaborations. Et j’espère le partager avec le plus grand nombre »

Avec Golem, Amos Gitaï et son équipe poursuivent un travail de mémoire et de transmission, où chaque voix apporte un regard, une autre vision du monde, une matière à réfléchir. Dans cette aventure, Irène Jacob continue d’être cette passeuse d’histoires, une actrice qui, sans bruit, mais avec force, donne une âme aux récits qu’elle porte.


Golem d’ Amos Gitaï et Marie-José Sanselme
La Colline – Théâtre national
4 rue Malte-Brun
75020 Paris
Du 4 mars au 3 avril 2025
Durée estimée 2h15

mise en scène d’Amos Gitaï assisté de Céline Bodis, Talia De Vries, Anat Golan
avec Bahira Ablassi, Irène Jacob, Micha Lescot, Laurent Naouri, Menashe Noy, Minas Qarawany, Anne-Laure Ségla
les musiciens Alexey Kochetkov au violon et synthés, Kioomars Musayyebi au santour, Florian Pichlbauer au piano
et les chanteuses Dima Bawab, Zoé Fouray, Sophie Leleu, voix et harpe, Marie Picaut
recherche – Rivka Markovitski Gitaï
lumières de Jean Kalman assisté de Juliette de Charnacé
son d’Eric Neveux
scénographie d’Amos Gitaï assisté de Sara Arneberg Gitaï
coiffures et maquillage de Cécile Kretschmar 
costumes de Fanny Brouste assistée d’Isabelle Flosi 
patine costumes – Emmanuelle Sanvoisin
vidéo de Laurent Truchot
conseiller musical et chef de chœur – Richard Wilberforce
préparation et régie surtitres – Katharina Bader
conseiller et coach yiddish
 – Shahar Fineberg
fabrication des accessoires, costumes et décor – ateliers de La Colline

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