Comment est né ce projet ?
Aurélie Van Den Daele : Lors d’une réunion préparatoire aux Zébrures d’Automne, Hassane Kassi Kouyaté, directeur de la manifestation, Laurent Lalanne, qui était alors le secrétaire général du CDN, et moi-même nous interrogions sur la parité dans la création artistique. Face à la difficulté de répondre à cette question, nous avons eu l’envie d’en faire le sujet même d’un processus créatif. Les bases ainsi posées, j’ai commandé à plusieurs autrices du monde entier des textes répondant à cette simple injonction : Je crée, je vous dis pourquoi. Elles étaient dix au début de l’aventure, et d’autres se sont jointes par la suite. L’idée était de composer une cartographie des gestes créateurs féminins, d’explorer l’empêchement et le désir de créer à travers différents contextes.
Comment avez-vous sélectionné les autrices ?
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Aurélie Van Den Daele : Le Festival Les Francophonies – de l’écriture à la scène a joué un rôle essentiel grâce à son réseau. Pour beaucoup des autrices auxquelles je me suis adressée, j’avais lu certaines de leurs pièces, mais je n’avais jamais travaillé avec elles. Cela m’a permis de garder une distance avec ce qu’elles racontaient et la manière dont je pouvais les mettre en scène. Le processus a été long. J’ai entretenu avec la plupart d’entre elles une correspondance épistolairequi a créé un lien particulier, fait d’échanges sur la littérature, la musique et leurs réalités respectives. Cette relation a donné une profondeur supplémentaire aux textes qu’elles ont livrés, rendant compte de leurs combats personnels et de leurs inspirations profondes.
Comment avez-vous transformé ces textes en spectacle ?
Aurélie Van Den Daele : D’abord, j’ai été frappée par la récurrence des thèmes abordés : empêchement familial, sociétal ou personnel. L’intensité des témoignages était telle qu’une lecture frontale était inconcevable. J’ai donc imaginé une expérience immersive, inspirée d’*Une chambre à soi* de Virginia Woolf, qui servait de fil rouge au spectacle. Le public est invité à déambuler dans un espace fragmenté en plusieurs chambres, où chaque actrice donne voix à un texte. Des casques permettent d’intégrer des environnements sonores et de plonger dans l’intimité des autrices. Ce dispositif scénique favorise une immersion totale, permettant au spectateur de ressentir pleinement l’émotion et la complexité des récits.
Le projet a-t-il évolué depuis sa création en 2022 ?
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Aurélie Van Den Daele : Le corpus s’agrandit continuellement. Certaines voix manquaient encore à l’appel, notamment celles des femmes invisibilisées. De plus, nous avons intégré des citations collées dans l’espace scénique pour enrichir l’expérience au-delà du texte entendu. Cette ouverture constante du projet lui permet d’être en perpétuel dialogue avec les réalités contemporaines.
Comment adaptez-vous le spectacle à chaque lieu ?
Aurélie Van Den Daele : L’expérience reste une déambulation sous casque, mais nous adaptons toujours l’installation à l’architecture et à l’histoire du lieu. Par exemple, le TQI, ancienne manufacture, offre un espace chargé de mémoire, très différent d’un lieu plus contemporain. Nous étudions donc chaque lieu en profondeur pour que le spectacle s’y intègre de manière organique, renforçant ainsi le dialogue entre le texte et l’espace.
Le projet se distingue aussi par sa dimension pluridisciplinaire…
Aurélie Van Den Daele : Oui, nous avons fait appel à une dessinatrice et à une chanteuse. Il était essentiel pour moi de mélanger les arts et de faire dialoguer différents corps de métier. Chaque discipline apporte une texture supplémentaire à l’expérience, enrichissant la perception sensorielle du spectateur et amplifiant l’impact émotionnel du spectacle.
Qu’espérez-vous que le public retienne de ce voyage artistique ?
Aurélie Van Den Daele : J’aimerais qu’il ressente la force et la nécessité de la création féminine, et qu’il prenne conscience des obstacles encore présents. Mais surtout, j’espère qu’il soit touché par l’intimité et l’universalité de ces voix venues d’ailleurs. À travers cette immersion, je souhaite que chacun puisse trouver un écho personnel à ces témoignages, que cela suscite des réflexions et, pourquoi pas, des vocations.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Je crée et je vous dit pourquoi, Cartographie au féminin du désir créateur. Une idée d’Aurélie Van Den Daele
création le 24 septembre 2022 au Théâtre de l’Union dans le cadre des Zébrures d’Automne 2022
Durée 1h30 environ
Tournée
4 au 8 mars 2025 au TQI
10 avril 2025 au Théâtre de Pantin
17 mai 2025 Au Théâtre de Corbeil
Textes commandés à des autrices francophones – Bibatanko (RDC), Gaëlle Bien-Aimé (Haïti), Alison Cosson (France), Marie Darah (Belgique), Daniely Francisque (France-Martinique), Maud Galet-Lalande (France), Halima Hamdane (France-Maroc), Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin), Hala Moughanie (Liban), Emmelyne Octavie (France-Guyane), Johanne Parent (Canada)
Conception et mise en scène d’Aurélie Van Den Daele
Collaboration artistique Charline Curtelin
Avec Sumaya Al Attia, Claire Gaudriot, Isabelle Girard, Léa Miguel, Marie Quiquempois, Diane Villanueva
Conception graphique et illustration Claire Gaudriot
Direction technique Laurent Balutet
Conception technique et sonore Grégoire Durrande et Nourel Boucherk
Régie générale et création lumières Jérôme Léger • Régie lumière Charles Duverneix • Dispositif scénique Atelier décor du Théâtre de l’Union – CDN du Limousin Alain Pinochet et Jean Meyrand Création costumes Atelier costumes du Théâtre de l’Union – CDN du Limousin Simon Roland, Adélaïde Baylac-Domengetroy.